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Les États généraux de la justice dressent une feuille de route

Dalloz actualité a pu consulter le rapport du comité des États généraux de la justice. Dressant un panorama au cordeau de la situation de la justice, le comité envisage plusieurs pistes d’évolution, qui devraient être la feuille de route du quinquennat à venir. Résumé des principales propositions.

par Pierre Januel, Journalistele 9 juin 2022

Le comité des États généraux, présidé par Jean-Marc Sauvé, a finalisé ses travaux il y a plusieurs semaines. La remise des conclusions attend la fin des échéances électorales, mais, comme différents confrères (l’Opinion, le Figaro et BFM TV), Dalloz actualité a pu consulter le rapport de 217 pages, intitulé Rendre justice aux citoyens. Très riche dans l’état des lieux qu’il établit, il suggère de nombreuses pistes d’évolution.

Une justice « au bord de la rupture »

Pour le comité, « l’institution judiciaire paraît grippée. Pour beaucoup, elle serait en lambeaux ». Il dresse un rapport sombre, de la « banalisation de la loi » à la « crise du service public de la justice » et de « l’autorité judiciaire ». Cet état des lieux sans complaisance reprend de nombreux rapports rédigés ces dernières années, du manque de moyens, aux problèmes d’informatisation, d’allongement des délais ou de gestion des ressources humaines.

Le comité rejette différentes pistes. Ainsi, il reste en majorité attaché à l’unité du corps judiciaire, veut le maintien du juge d’instruction et ne plaide que pour un renforcement limité des pouvoirs du CSM. Par ailleurs, la déjudiciarisation « a aujourd’hui atteint ses limites ».

L’enjeu est budgétaire. Pour le comité, il faudra recruter au moins 1 500 magistrats supplémentaires au cours du prochain quinquennat. « Ce nombre devra être affiné sur la base du référentiel en cours de construction. » Il propose aussi de recruter 2 500 à 3 000 greffiers supplémentaires, 2 000 agents et arriver à 2 000 juristes assistants. Le comité regrette la faible rémunération des agents du ministère et suggère des revalorisations.

Revoir l’organisation judiciaire et le CSM

L’organisation judiciaire est contestée. Aujourd’hui, il n’y a « pas de lien clair entre la budgétisation et l’activité des juridictions ». L’idée d’un regroupement autoritaire des cours d’appel suscite l’hostilité des élus. Le comité suggère plutôt de créer au-dessus, une carte de régions judiciaires, recoupant les régions administratives. Chaque région judiciaire disposerait d’un budget opérationnel de programme avec des secrétariats généraux de région judiciaire, responsables des aspects budgétaires, immobiliers et informatiques. Ce scénario n’interdit pas au ministère de poursuivre la réflexion sur la fusion de cours d’appel. De même, des tribunaux judiciaires chefs de file dans chaque département permettraient de rationaliser sans fusionner.

Sur les réformes constitutionnelles, le comité propose la suppression de la Cour de justice de la République et s’est penché sur le CSM. Il souhaite son avis conforme sur les décisions concernant les magistrats du parquet, mais sans lui donner un pouvoir d’initiative sur les nominations des procureurs de la République et des procureurs généraux. Si le conseil disposerait d’un rôle consultatif sur le budget et les projets de loi pouvant affecter le fonctionnement des juridictions, le comité ne préconise pas de transfert de compétence entre la DSJ et le CSM. Il rejette aussi l’idée d’un « procureur général de la nation ». C’est au gouvernement, qui est responsable devant le Parlement, de définir la politique de la nation. Certains membres du comité ont également regretté le mode de scrutin des magistrats au CSM, qui « a pu favoriser la présence d’une seule organisation syndicale en son sein ». L’idée d’un scrutin unique de liste nationale a recueilli l’adhésion d’une majorité.

Le comité note la « perte d’attractivité rapide des fonctions d’encadrement supérieur en juridiction depuis quinze ans » : « autrefois synonymes de prestige, elles sont désormais perçues comme une somme de charges ingrates et sans contrepartie ». Les compétences managériales doivent être davantage diffusées. « Il faut aussi permettre aux magistrats de bâtir des projets de carrière plus individualisée » et plus spécialisée, notamment en matière économique. Il suggère également de renforcer l’évaluation des chefs de cours et des magistrats de la Cour de cassation, à travers « un mécanisme d’évaluation à 360° par un comité indépendant composé de membres nommés notamment par le garde des Sceaux et le CSM », afin de dissocier évaluation et nomination.

Sauver la justice civile

Le comité insiste sur la dégradation de la justice civile. Les effectifs de magistrats dédiés diminuent et la part des jugements des tribunaux de grande instance frappés d’appel est passée de 16 % en 2008 à 25 % en 2019. Le comité veut renforcer la collégialité et les moyens alloués à la première instance. En contrepartie, l’appel serait limité et deviendrait à terme une simple voie de réformation. Cela nécessite de rompre le lien entre le grade et l’emploi dans la magistrature, pour accueillir plus de magistrats expérimentés en première instance. Certains contentieux (loyers impayés, délais de paiement, fixation des pensions alimentaires) seraient barémisés. Le rapport propose aussi de renforcer la prise en charge des frais d’avocat par la partie perdante.

Le comité souscrit à l’expérimentation d’un « tribunal des affaires économiques », qui regrouperait notamment les professions libérales et les agriculteurs. Il propose d’accroître la participation des parties au financement, mettant fin au principe de gratuité. Enfin, il suggère de constituer une filière de juges civilistes économiques.

Les conseils des prud’hommes seraient transformés en tribunaux du travail, à la composition identique. Rattachés aux tribunaux judiciaires, le ministère de la Justice deviendrait l’unique pilote de leur administration. Pour réduire les délais, le rôle des greffes dans la mise en état serait renforcé avec l’orientation ab initio des affaires vers une conciliation, une audience paritaire ou une audience de départage. Pour les cas d’urgence, le comité suggère de créer un référé « sauvegarde de l’entreprise » et un référé « garantie du salarié ».

Pour la protection des majeurs vulnérables, le formalisme du mandat de protection future doit être simplifié. Le comité propose de consacrer une présomption de gestion d’affaires. Le retour de la double habilitation des services de placement, d’aide éducative à domicile et d’action éducative en milieu ouvert est également très souhaitable pour favoriser la sortie du mineur de la sphère judiciaire.

Simplifier sans affaiblir la justice pénale

Le comité préconise une réécriture du code de procédure pénale en rappelant que « l’impératif de simplification ne saurait conduire à remettre en cause la garantie des droits ». Le pouvoir de sanction autonome du parquet a atteint ses limites. Pour améliorer la réparation des victimes, le comité recommande de transférer au juge civil l’indemnisation des préjudices complexes. Il veut favoriser le statut de témoin assisté à celui de mis en examen, qui serait réservé au cas où des mesures coercitives sont envisagées.

La fonction de JLD souffre d’un « réel déficit d’attractivité ». Le comité reprend l’idée de scinder ses missions entre matière pénale d’une part et matières civile et administrative d’autre part, qui permettrait de faire appel à un magistrat non spécialisé.

La surpopulation carcérale est un enjeu important. Le bilan de la réforme de 2019 est mitigé. Tout en rejetant le numerus clausus, le comité est favorable à la mise en place d’un mécanisme de régulation de la population carcérale par la définition, pour chaque établissement pénitentiaire, d’un seuil d’alerte et d’un seuil de criticité. En cas de dépassement, les différents acteurs de la chaîne pénale se réuniraient pour définir des mesures de régulation, comme lors de la crise sanitaire. Le comité propose aussi de renforcer la présence des SPIP en juridiction et de créer une agence nationale de prévention de la récidive et de la probation.