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Article
Exception d’incompétence et motivation du déclinatoire de compétence
Exception d’incompétence et motivation du déclinatoire de compétence
L’interdiction faite à une juridiction saisie d’une exception d’incompétence de désigner la juridiction compétente n’est pas de nature à écarter les dispositions de l’article 75 du code de procédure civile qui oblige l’auteur du déclinatoire de compétence d’indiquer sous peine d’irrecevabilité la juridiction compétente.
par Antoine Bolzele 14 mars 2019
Les règles de compétence sont faussement simples. Rendue sous l’empire de dispositions antérieures au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la solution de l’arrêt commenté n’est pas remise en cause par les nouveaux textes qui ont modifié la procédure d’appel et supprimé le contredit de compétence. Ici, il s’agissait d’une question portant sur la motivation du déclinatoire de compétence sur laquelle la Cour de cassation se montre particulièrement exigeante. En l’espèce, un litige opposait devant le tribunal de grande instance de Valenciennes l’acheteur d’un terrain à son vendeur, lequel s’était vu notifier l’exercice d’un droit de préemption urbain par une communauté d’agglomération. Dans ce litige, l’acheteur évincé avait demandé dans un premier temps la nullité de vente et des dommages-intérêts, puis seulement des dommages-intérêts. Une exception d’incompétence est soulevée par la communauté d’agglomération devant le juge de la mise en état au profit de la juridiction administrative. Cette exception est accueillie et fait l’objet d’un recours devant la cour d’appel qui confirme l’incompétence du tribunal de grande instance au profit du juge administratif. Un pourvoi en cassation est alors formé au motif que le déclinatoire de compétence qui avait conduit les juges du fond à s’estimer incompétents n’était pas suffisamment précis au regard des dispositions de l’article 75 du code de procédure civile. De fait, le déclinatoire se bornait à conclure dans son dispositif que le tribunal de grande instance de Valenciennes était incompétent. Dans les motifs, il était seulement indiqué que litige relevait de la compétence exclusive de l’ordre administratif. Pour la cour d’appel, le déclinatoire désignait avec une clarté suffisante le tribunal administratif. Compte tenu de la nature du litige, il ne pouvait s’agir que de la juridiction administrative du premier degré se situant dans le Nord de la France ce dont il résultait que c’était le tribunal administratif de Lille qui était compétent. C’est ce jeu de déductions en chaîne conduisant à restaurer la précision juridique imposée par les règles de procédure en matière de déclinatoire de compétence que la Cour de cassation censure. Selon le juge du droit, l’auteur d’une exception d’incompétence doit donner dans son déclinatoire des précisions suffisamment claires pour que la désignation de la juridiction soit certaine. Et cela sans exception, ni dispense, la Cour de cassation le spécifiant clairement : « l’interdiction faite à la juridiction saisie d’une exception d’incompétence au profit du juge administratif de désigner la juridiction administrative n’est pas de nature à écarter l’obligation faite par l’article 75 du code de procédure civile d’indiquer sous peine d’irrecevabilité la juridiction compétente ». À la limite d’une cassation disciplinaire, l’arrêt commenté n’en revêt pas moins une richesse normative qui mérite que l’on s’y arrête.
La Cour de cassation profite de cette affaire pour rappeler le contenu concret des deux obligations qui pèsent sur le plaideur qui soulève une exception d’incompétence. La première obligation est de justifier en fait et en droit les raisons pour lesquelles on estime la juridiction saisie incompétente. La seconde est de désigner la juridiction que l’on estime régulièrement compétente. C’est sur cette seconde obligation que l’arrêt apporte une précision importante. En effet, la désignation de la juridiction que l’on estime compétente doit être spéciale et non générale. En l’espèce, le déclinatoire visait la juridiction administrative dans son ensemble, ce qui est insuffisant pour la cour régulatrice. Même si elle ne lie pas le juge, il faut que la désignation de la juridiction que l’on estime compétente soit suffisamment claire et précise pour pouvoir être considérée comme certaine (Civ. 1re, 31 janv. 1990, n° 87-18.170, Bull. civ. I, n° 27 ; D. 1990. 461 , note J.-P. Rémery ). De même, une désignation principale assortie d’une désignation subsidiaire ne satisfait pas aux exigences de l’article 75 du code de procédure civile (Civ. 1re, 15 oct. 1996, n° 95-10.234, D. 1996. 248 ; Rev. crit. DIP 1997. 90, note H. Muir Watt ). Cette obligation ne varie pas selon que l’exception est soulevée au profit d’une juridiction judiciaire, administrative ou étrangère (Civ. 1re, 8 juill. 2009, n° 08-16.711, Procédures 2009. Comm. 302, obs. R. Perrot). Dans ce dernier cas, cependant, la rigueur s’amenuise. Seule la localisation de l’État étranger est requise, la localisation exacte de la juridiction n’étant pas exigée (Soc. 17 mars 1998, n° 93-40.442 et n° 95-41.582, D. 1998. 100 ). Dans le cas d’une option de compétence, la règle est aussi assouplie, l’auteur du déclinatoire pouvant désigner une seule juridiction ou toutes les juridictions compétentes (Soc. 12 févr. 1964, RTD civ. 1964. 781, obs. P. Hébraud). Le déclinatoire de compétence est donc un acte de procédure très particulier dans le sens où il ne saisit pas le juge d’une demande car le juge n’est pas lié par l’indication de la juridiction que l’on estime compétente. Cette exigence de désigner spécialement la juridiction compétente a été introduite par les rédacteurs du code de procédure civile pour mettre fin à des contestations générales de la compétence, souvent présentées à des fins dilatoires. Il s’agit donc d’un « instrument formaliste de lutte contre les manœuvres purement dilatoires » (RTD civ. 1961. 372, obs. P. Hébraud). En effet, en fixant dès le stade du déclinatoire les termes du débat qui portent sur l’incident d’incompétence, on s’assure qu’il sera plaidé rapidement. On voit donc que la Cour de cassation veille à la positivité de cette idée en se montrant pointilleuse sur la motivation du déclinatoire de compétence. D’ailleurs, la réforme de la procédure d’appel qui a conduit la suppression de la procédure du contredit de compétence n’a pas remis en cause les règles très strictes en matière de motivation du déclinatoire de compétence. On peut néanmoins s’interroger à la lecture de l’arrêt commenté sur la cohérence générale de ces règles au regard de la bonne administration de la justice.
Si les règles de compétence sont faussement simples, c’est parce qu’elles sont conçues en considération des droits substantiels alors que leur finalité est procédurale. Les chefs de compétence matériels sont établis en fonction de la matière litigieuse qui détermine l’action en justice. Leur rôle procédural est de trouver un juge. Le lien que les règles de compétence établissent entre l’action en justice et la juridiction sont mélangées de l’un et de l’autre approchant ainsi soit la notion d’irrecevabilité, soit la notion d’exception de procédure. Cette situation a donné lieu à une abondante littérature doctrinale, notamment en droit international privé où l’on débat à n’en plus finir sur la distinction entre compétence et pouvoir juridictionnel du juge étatique ou de l’arbitre, il en est de même concernant les immunités de juridiction. D’un point de vue concret, les exceptions de compétence sont l’expression d’une erreur du demandeur dans le choix du juge appelé à trancher le litige. En pratique, cet incident n’est pas grave en soi puisque qu’il existe immanquablement un juge compétent et que depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 l’assignation devant une juridiction incompétente interrompt la prescription. Le problème procédural est celui du temps que prend le règlement de cet incident. En principe, le plaideur ne devrait pas en perdre beaucoup pour trouver son juge, que son choix initial soit le bon ou non. La bonne administration de la justice commande que les règles de procédure devant régler cet incident obéissent à une logique fondamentale de célérité. Et cela d’autant plus que l’ancienne procédure avait donné le plus mauvais exemple en la matière (H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t. II, La compétence, Sirey, 1973, nos 639 s.). C’est pourquoi, la procédure de contredit issue du code de procédure civile de 1976 se voulait particulièrement rapide avec un formalisme allégé à l’extrême. Et pour aller encore plus vite, le législateur a soumis les exceptions tirées d’un défaut de pouvoir juridictionnel de la juridiction saisie au régime des exceptions d’incompétence alors que ce sont deux notions différentes, l’une ayant trait à la nature d’un pouvoir, celui de juger, l’autre n’étant que la mesure de ce pouvoir (G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, 2e éd., PUF, 1996, p. 175). Malheureusement, ces bonnes intentions procédurales se sont trouvées contredites par la multiplication au cours de ces dernières années du nombre des juridictions et des différents pouvoirs juridictionnels au sein d’une même juridiction dont les attributions sont exclusives pour éviter toute contrariété de décisions. On a voulu ainsi spécialiser les juges et concentrer entre leurs mains le destin de tel et tel litige. Mais cette distribution des matières litigieuses par des règles de compétence, de surcroît exclusives, a accru le risque d’erreur dont le plaideur est la victime directe. De même, les cas de sursis à statuer augmentent de façon automatique par le jeu des questions préjudicielles générales ou spéciales. En outre, cet effet distributif n’est pas totalement articulé à l’effet attributif de la décision du juge qui statue sur sa compétence. En effet, si le juge désigne le tribunal qu’il estime compétent, alors sa décision s’impose aux parties sans qu’elles puissent le contester pour ne pas perdre encore plus de temps. Mais cela n’est pas possible lorsque le juge compétent appartient à une juridiction administrative, répressive, arbitrale ou étrangère. Dans ce cas, le juge doit seulement renvoyer les parties à mieux se pourvoir. Il n’y a pas d’effet attributif. Dès lors, si la distribution des litiges se fait par la voie juridictionnelle, le juge saisi ne peut pas désigner lui-même la juridiction compétente. Parce que le juge n’est pas lié par le choix fait par l’auteur du déclinatoire qu’il n’y a pas de lien logique avec l’obligation de motiver le déclinatoire. Cette rupture de la logique est encore plus évidente en l’absence d’effet attributif de juridiction de la décision du juge statuant sur sa compétence. On impose à l’auteur du déclinatoire un formalisme qui ne sert à rien. En l’espèce, l’exception d’incompétence était soulevée de façon générale au profit de la juridiction administrative. C’est pourquoi, on peut trouver sévère de prononcer l’irrecevabilité du déclinatoire au motif qu’il n’était pas assez précis dans la désignation de la juridiction compétente puisque cela n’a absolument aucune conséquence sur l’office du juge qui n’est pas lié par le déclinatoire et qui, en tout état de cause, ne pouvait pas désigner la juridiction administrative. Et si la juridiction avait eu la mauvaise idée de gagner du temps en le faisant, elle se serait exposée à une cassation pour violation de l’article 96, devenu l’article 81 du code de procédure civile (Civ. 1re, 16 mai 2012, n° 10-26.970, Procédures 2012. Comm. 208, obs. R. Perrot). C’était un peu l’idée des juges d’appel qui pour rendre service au plaideur avaient forcé l’interprétation du déclinatoire pour dire que le tribunal compétent était le tribunal administratif de Lille alors qu’il avait seulement évoqué la juridiction administrative. On est bien en présence, chose rare, d’un formalisme pur sanctionné par une irrecevabilité ou par une cassation.
Les intentions confuses du législateur conduisent inexorablement à des injonctions contradictoires dont souffrent les justiciables et les praticiens. La suppression du contredit de compétence qui alourdit considérablement l’exercice de cette voie de recours que l’on voulait simple et rapide en est la parfaite illustration. Désormais, outre la déclaration d’appel qui doit être motivée, il faut saisir le premier président par requête pour être autorisé à assigner à jour fixe ou bénéficier d’une fixation prioritaire (C. pr. civ., art. 84). L’appel est instruit et jugé comme en matière de procédure à jour fixe si les règles applicables à l’appel des décisions rendues par la juridiction dont émane le jugement frappé d’appel imposent la constitution d’avocat. Dans le cas contraire, selon la procédure prévue à l’article 948 du code de procédure civile (C. pr. civ., art. 85). Mais pourquoi exiger une requête pour saisir le premier président d’un appel sur une décision d’incompétence ? La requête pour saisir le premier président doit lui permettre d’apprécier l’existence d’un péril afin de fixer un bref délai, ce qui n’a guère de sens en matière de compétence. La saisine du premier président, telle qu’elle figure dans la déclaration d’appel, ne suffit-elle pas à remplir l’objectif de simplification et d’accélération de la procédure d’appel remplaçant le contredit ? Selon les textes, il semble que non. Bref, autant de chausse-trappes pour un justiciable à qui l’on fait payer le prix d’une organisation judiciaire inutilement lourde et complexe. En entretenant l’exigence d’un formalisme qui ne répond à aucune nécessité concrète, l’arrêt porte le témoignage de la survivance d’un système épuisé qui transporte avec lui un frein à l’accès au juge. On attend donc avec impatience la création d’un guichet unique de greffe qui devrait permettre de régler d’un seul clic les faux problèmes de compétence.
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