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Exception de parodie, un nouvel épisode : Tintin au pays de Hopper

L’exception de parodie doit être appréciée de façon restrictive et in concreto. Elle exige une intention humoristique évidente, de préférence comportant une certaine intensité et suppose l’identification immédiate de l’œuvre parodiée. L’œuvre parodique doit s’en distinguer sans créer un risque de confusion entre les œuvres en cause et sans appropriation du travail d’autrui. Ainsi, ne peuvent relever de cette exception les œuvres qui empruntent les ressorts d’œuvres premières pour s’attribuer le bénéfice de leur notoriété et vivre de leur rayonnement. Il ne peut jamais s’agir d’une démarche commerciale à grande échelle qui ne répond pas à la loi du genre de la parodie, nécessairement ponctuelle.

Les origines du contentieux

Un artiste peintre sculpteur et parodiste, M. Marabout, a réalisé une série de tableaux « impliquant » l’œuvre d’Hergé, plus précisément les œuvres que constituent les personnages qu’il a créés. Il y interroge notamment la vie sensuelle, amoureuse et la psychologie du personnage de Tintin, ce qui l’a déterminé à mettre en scène ce personnage si connu dans des situations inédites inspirées des toiles du peintre américain Hopper. Ses travaux ont été rendus publics dès 2014 à travers diverses expositions dont celle intitulée Tintintamarre. En mai 2015, la société Moulinsart, devenue Tintinimaginatio, particulièrement soucieuse de faire respecter ses droits portant sur les œuvres d’Hergé, et après avoir découvert la mise en vente en vente via son site Internet des peintures, lui a reproché ce qui constitue selon elle des adaptations, sans autorisation, de différents éléments extraits de l’œuvre d’Hergé.

La société Tintinimaginatio, aux côtés de laquelle est intervenue la légataire universelle des droits moraux d’Hergé, assigne M. Marabout pour contrefaçon de droits d’auteur, atteinte au droit moral et parasitisme devant le Tribunal judiciaire de Rennes . En effet, elle lui reproche spécialement, d’une part, d’avoir reproduit ou adapté les personnages de l’univers de Tintin, sans autorisation, et, d’autre part, de s’être inscrit dans le sillage d’Hergé, de s’être servi de la notoriété de ses personnages et de leur auteur, pour attirer le grand public et vendre ses toiles. Outre des mesures tendant à la réparation des préjudices subis, à la communication d’un certain nombre d’informations permettant l’évaluation de ces préjudices, la société demande l’interdiction de commercialiser et surtout la destruction de toutes les peintures arguées de contrefaçon. Une telle demande s’agissant de créations artistiques est aussi rarement sollicitée que, à mon sens, particulièrement violente, et à tout le moins disproportionnée… L’artiste revendique quant à lui, pour l’essentiel, le bénéfice de l’exception de parodie consacrée à l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle.

La décision de première instance

Le Tribunal judiciaire de Rennes (10 mai 2021, n° 17/04478, Dalloz actualité, 25 mai 2021, obs. F. Donaud ; Dalloz IP/IT 2021. 563, obs. P. Mouron ; Légipresse 2021. 434, étude P. Pérot ; Propr. intell. 2021, n° 80, p. 79, comm J.-M. Bruguière ; LEPI juill. 2021, p. 2, obs. A. Lebois ; RLDI 2021, n° 184, p. 9, note C. Latil ; Propr. industr. 2021, chron. 8, § 4, obs. J. Larrieu) fut convaincu du bien-fondé des prétentions de l’artiste. Pour lui donner gain de cause, il précise les conditions ou éléments devant être satisfaits pour que l’exception de parodie puisse être retenue. À ce titre, l’identification immédiate de l’œuvre parodiée requise est en l’espèce considérée comme manifeste. La nécessaire distinction entre l’œuvre parodique et l’œuvre parodiée est caractérisée par le choix de l’artiste d’un support différent de celui de la bande dessinée, d’une composition évoquant l’œuvre de Hopper et de la mise en scène des célèbres personnages dans des situations « habituellement inconnues et où ils apparaissent visiblement déplacés ». On notera d’ailleurs que le tribunal se réfère dans cette perspective au personnage fictif de « l’observateur même très moyennement attentif », lequel n’est pas prévu par la loi, pour constater qu’il « existe (ainsi) une distanciation suffisante avec l’œuvre prétendue contrefaite. Enfin, l’intention humoristique est, selon le tribunal, exprimée par M. Marabout, mais surtout perçu par le public, comme en attestent les nombreux témoignages dont disposent les juges : intention non seulement exprimée donc, mais aussi décelée.

Le tribunal souligne ressentir lui-aussi – ce qui est rare dans une affaire de parodie – l’intention humoristique du défendeur. Dans cette perspective, il constate « que l’œuvre austère d’Edward Hopper se trouve réinterprétée dans un sens plus animé, plus vivant par l’inclusion de personnages (et de véhicules) notamment issus de l’œuvre de B qui viennent y vivre une relation sans doute teintée d’affection et d’attirance sexuelle ». Il aurait été sans doute plus « orthodoxe », en s’interrogeant sur l’existence d’une parodie des œuvres d’Hergé (des œuvres-personnages ou des Aventures de Tintin), de ne pas se focaliser sur la réinterprétation de l’œuvre de Hopper… Le tribunal relève néanmoins plus loin que « l’effet humoristique est constitué par l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des œuvres de Hopper et de l’absence de présence féminine au côté de Tintin, à l’exception des personnages caricaturaux de (…), cet effet invite le spectateur à imaginer une suite qui provoque le sourire ».

Spécificités de l’appel

En appel, le sort des œuvres de Xavier Marabout fut moins heureux. On relèvera d’ailleurs s’agissant du nombre d’œuvres litigieuses – vingt-quatre en cause d’appel, quinze de plus qu’en première instance –, que le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir de l’artiste peintre, estimant que leur inclusion en cause d’appel dans le périmètre du procès ne modifie pas l’objet du litige.

En première instance furent discutées l’originalité des œuvres prétendues contrefaites ou la titularité des droits les concernant, ce qui permit d’ailleurs à la cour d’appel, comme au tribunal, d’affirmer que « les personnages originaux de bande dessinée sont protégés indépendamment de l’œuvre dans laquelle ils apparaissent » (§ 50). En cause d’appel, ces questions sont délaissées et les discussions essentielles concernent l’exception de parodie (la liberté d’expression artistique également) et la caractérisation du prétendu comportement parasitaire. Le présent commentaire se concentrera sur l’exception de parodie.

Principe d’interprétation stricte des exceptions aux droits d’auteur

La cour d’appel précise que « s’agissant d’une exception », « la parodie doit être appréciée de façon restrictive et, en toute hypothèse in concreto ». La première assertion appelle une réaction. En effet s’il est admis que les exceptions aux droits de l’auteur, comme toute exception selon l’adage « exceptio est strictissimae interpretationis », doivent être strictement interprétées –, il me semble qu’affirmer la nécessité d’une appréciation restrictive va au-delà. Comment faire produire à une exception son plein effet, ce que permet une interprétation stricte, si celle-ci est restrictive ?

Une lecture restrictive critiquable

La Cour de justice est intervenue, à plusieurs reprises, pour affirmer que si les exceptions au droit d’auteur doivent être interprétées strictement, l’effet utile de chaque exception aux droits d’auteur prévues à l’article 5 de la directive 2001/29/CE dite société de l’information, devait être préservé (v. depuis, CJUE 16 juin 2011, aff. C-462/09, Stichting de Thuiskopie c/ Opus Supplies Deutschland GmbH, pt 34, D. 2011. 1816 ; Légipresse 2011. 397 et les obs. ; RTD com. 2011. 551, obs. F. Pollaud-Dulian ; Propr. intell. 2011, n° 40, p. 316, obs. A. Lucas ; CJUE 1er déc. 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer, pt 133, D. 2012. 471, obs. J. Daleau , note N. Martial-Braz ; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2012. 12 et les obs. ; ibid. 161, comm. J. Antippas ; RTD com. 2012. 109, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 118, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 120, obs. F. Pollaud-Dulian ). La Cour procède ainsi à une interprétation de chaque exception au regard de la finalité de la directive, de celle de l’article 5 qui les consacre, et de la finalité propre à chaque exception. Dans son arrêt Deckmyn, première et unique décision pour l’heure relative à l’exception de parodie (CJUE 3 sept. 2014, aff. C-201/13, D. 2014. 2097 , note B. Galopin ; Légipresse 2014. 457 et les obs. ; ibid. 604, comm. N. Blanc ; JAC 2014, n° 17, p. 10, obs. E. Scaramozzino ; RTD com. 2014. 815, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2016. 358, obs. F. Benoît-Rohmer ; Propr. intell. 2014. 393, obs. J.-M. Bruguière ; CCE 2014. Comm. 82, note C. Caron ; RIDA oct. 2014, p. 387, obs. P. Sirinelli ; JCP E 2015. 1389, n° 7, obs. A. Zollinger ; RLDI 2014/108. 3583, obs. C. Castets-Renard), la Cour a réaffirmé ce raisonnement. Elle a tout d’abord dit pour droit que la parodie constituait une notion autonome du droit de l’Union (pt 15). Elle souligne en second lieu qu’en « l’absence de toute définition, dans la directive 2001/29/CE, de la notion de parodie, la détermination de la signification et de la portée de ce terme doit être établie, selon une jurisprudence constante de la Cour, conformément au sens habituel de celui-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel il est utilisé et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie » (pt 16). La Cour rappelle en troisième lieu le principe de l’interprétation stricte (et non restrictive) d’une exception tout en soulignant que l’interprétation de la notion de parodie doit, en tout état de cause, permettre de sauvegarder l’effet utile de l’exception ainsi établie et de respecter sa finalité (pt 23). Elle insiste en précisant notamment que le fait qu’il s’agisse d’une exception n’a pas pour conséquence de réduire – ce qui fait écho selon moi à une approche restrictive – le champ d’application de l’article 5, § 3, sous k de la directive consacrant cette exception, par des conditions qui ne ressortent ni du sens habituel du terme « parodie » dans le langage courant, ni du libellé de cette disposition. La Cour procède ainsi au rappel et à la précision des objectifs poursuivis par la directive en général (pt 25) et de la finalité des exceptions (pt 26). Si dans les autres décisions relatives aux exceptions la Cour prend soin également de préciser la finalité de l’exception litigieuse aux fins de son interprétation (v. CJUE 1er déc. 2011, aff. C-145/10, Painer, pt 133, préc. ; CJCE 1er mars 2012, aff. C-604/10, Association Premier League, pts 162-163, D. 2012. 735 ; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2012. 207 et les obs. ; JS 2012, n° 119, p. 9, obs. G.D. ; RTD com. 2013. 739, chron. P. Gaudrat ), cette précision est ici plus implicite. Elle observe ainsi, après avoir relevé que les exceptions visent à maintenir un « juste équilibre » entre, notamment, les droits et les intérêts des auteurs, d’une part, et ceux des utilisateurs d’objets protégés, d’autre part, que l’application de l’exception de parodie doit respecter un juste équilibre entre les intérêts et les droits des titulaires et la liberté d’expression de l’utilisateur.

Lorsque la cour d’appel, dans la décision qui nous retient, juge que l’exception de parodie doit être interprétée restrictivement, il me semble qu’elle méconnait la position de la Cour de justice, comme celle de la jurisprudence française. Ni justifiée, ni opportune selon moi, une telle interprétation ne permettrait pas de respecter l’équilibre des intérêts voulu par le législateur et recherché par la définition même des exceptions. D’ailleurs, la Cour de justice invite encore au respect de cet équilibre lorsque, dans ses arrêts de grande chambre de juillet 2019. Elle y souligne que si les juges ne peuvent créer de nouvelles dérogations au droit d’auteur sur le seul fondement de la liberté d’information et donc d’expression, il appartient au législateur de garantir cet équilibre dans la définition des droits et exceptions conformément au droit de l’Union, et aux juges, dans la mise en œuvre des exceptions, de réaliser une balance des intérêts de nature à préserver la liberté d’expression lorsque celle-ci justifie l’exception légale, ce qui exclut de retenir une application restrictive (CJUE , gr. ch., 29 juill. 2019, aff. C-469/17, Funke Medien NRW GmbH, pt 71, D. 2019. 1606 ; Dalloz IP/IT 2019. 464, obs. N. Maximin ; ibid. 2020. 317, obs. A. Latil ; Légipresse 2019. 451 et les obs. ; ibid. 541, obs. V. Varet ; ibid. 2020. 69, étude C. Alleaume ; RTD com. 2020. 53, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 83, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2019. 927, obs. E. Treppoz ; ibid. 2020. 324, obs. F. Benoît-Rohmer ; Propr. intell. 2019, n° 73, p. 29, obs. A. Lucas ; CCE 2020. Comm. 1, obs. C. Caron ; aff. C-476/17, Pelham GmbH, D. 2019. 1742 , note G. Querzola ; Dalloz IP/IT 2019. 465, obs. N. Maximin ; ibid. 2020. 317, obs. A. Latil ; Légipresse 2019. 452 et les obs. ; ibid. 541, obs. V. Varet ; ibid. 2020. 69, étude C. Alleaume ; RTD com. 2020. 74, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2019. 927, obs. E. Treppoz ; ibid. 2020. 324, obs. F. Benoît-Rohmer ; CCE 2019. Comm. 75, obs. C. Caron ; JCP 2019. 992, note J.-M. Bruguière ; Propr. intell. 2019, n° 73, p. 46 ; aff. C-516/17, Spiegel Online GmbH, pt 55, D. 2019. 1605 ; Dalloz IP/IT 2020. 317, obs. A. Latil ; Légipresse 2019. 451 et les obs. ; ibid. 541, obs. V. Varet ; ibid. 2020. 69, étude C. Alleaume ; ibid. 322, étude N. Mallet-Poujol ; RTD com. 2020. 83, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2019. 927, obs. E. Treppoz ; ibid. 2020. 311, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 324, obs. F. Benoît-Rohmer ).

Fondement de l’exception « de parodie »

La cour d’appel ne réaffirme pas expressément le fondement de l’exception, que le tribunal avait clairement formulé en soulignant que « l’exception de parodie est destinée à garantir la liberté d’expression des artistes, ce principe a donc valeur constitutionnelle et impose au juge de vérifier qu’il existe un juste équilibre entre cette liberté et les droits de l’auteur source de l’inspiration du parodiste » (v. aussi sur cette affirmation, Paris, 18 févr. 2011, n° 09/19272, SAS Arconsil c/ Sté de droit belge Moulinsart, Légipresse 2011. 141 et les obs. ; ibid. 142 et les obs. ; ibid. 233, comm. P. Vilbert ; CCE 2012. Comm. 1, note C. Caron ; Propr. intell. 2011, n° 39, p. 187, obs. J.-M. Bruguière). Cette justification de l’exception est unanimement admise, tant par la jurisprudence que par la doctrine. Elle a également été consacrée par l’arrêt Deckmyn, lequel souligne encore que « la parodie constitue un moyen approprié pour exprimer une opinion ».

Cette justification explique peut-être qu’une partie de l’argumentation de la défense dans notre affaire sous commentaire soit fondée sur la liberté d’expression. On peut néanmoins s’interroger sur l’opportunité de développer un tel argumentaire justifiant la reproduction ou l’adaptation des personnages d’Hergé par la seule liberté d’expression artistique. En effet, c’est par la consécration d’exceptions que la liberté d’expression est garantie en droit d’auteur. La Cour de justice, dans les arrêts de juillet 2019 précités, l’a rappelé avec force. Et si la Cour de cassation avait un temps jugé que la liberté d’expression, à elle seule, pouvait justifier une contrefaçon ou une limitation de la condamnation qui s’ensuit (Civ. 1re, 15 mai 2015, n° 13-27.391, Klasen, D. 2015. 1094, obs. A. T. ; ibid. 1672 , note A. Bensamoun et P. Sirinelli ; Légipresse 2015. 331 et les obs. ; ibid. 474, comm. V. Varet ; JAC 2015, n° 26, p. 6, obs. E. Treppoz ; ibid. 2016, n° 39, p. 28, étude E. Treppoz ; RTD com. 2015. 509, obs. F....

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