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Exclusion de l’application immédiate de dispositions relatives à la prescription de l’action publique

Les dispositions prévues à l’article 4 de la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale ne contreviennent pas aux exigences relatives à la prescription de l’action publique qui découlent des articles 8 et 16 de la Déclaration de 1789, pas plus qu’au principe d’égalité devant la loi.

par Sofian Goudjille 1 octobre 2021

La loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, qui a allongé le délai de prescription en matière délictuelle en le portant à six ans, a ajouté au code de procédure pénale un article 9-1 qui, certes, reprend la jurisprudence désormais classique de la chambre criminelle de la Cour de cassation selon laquelle « le délai de prescription de l’action publique de l’infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique » mais en limite la portée en créant un délai butoir de douze années « à compter du jour où l’infraction a été commise », au-delà duquel la prescription, si elle n’a pas été interrompue, est acquise.

Pour rappel, selon l’article 112-2, 4°, du code pénal, sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur « lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l’action publique ».

Par dérogation à cette règle qui régit l’application dans le temps des lois de prescription, le législateur a introduit, à l’article 4 de la loi de 27 février 2017, la disposition arguée d’inconstitutionnalité dont il résulte que l’instauration du délai butoir de douze ans, disposition plus douce que le droit prétorien antérieur, ne s’applique pas aux infractions pour lesquelles « la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique » est intervenue avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

C’est cette dernière disposition qui a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), laquelle a été transmise au Conseil constitutionnel par un arrêt de la chambre criminelle en date du 02 juin 2021 (Crim. 2 juin 2021, n° 21-80.726).

Les arguments

Selon le requérant, les dispositions prévues à cet article 4, en ce qu’elles font obstacle à l’application immédiate de l’article 9-1 du code de procédure pénale, issu de la même loi, qui limite le report du point de départ de la prescription de l’action publique des infractions occultes ou dissimulées, méconnaîtraient le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce protégé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Il fait valoir, ensuite, qu’en excluant l’application de l’article 9-1 du code de procédure pénale pour les infractions occultes ou dissimulées ayant fait l’objet de poursuites avant l’entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017, le législateur aurait permis que de telles poursuites perdurent pour des infractions anciennes et dont ni la nature ni la gravité ne le justifie. Il en résulterait une méconnaissance des exigences relatives à la prescription de l’action publique qui découlent des articles 8 et 16 de la Déclaration de 1789.

Il ajoute par ailleurs que le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence en renvoyant à l’« interprétation jurisprudentielle » des dispositions applicables sous l’empire du régime antérieur.

En outre, il soutient qu’en prévoyant de telles dispositions transitoires pour les infractions occultes ou dissimulées, alors que cette loi avait pour but de remédier à leur « imprescriptibilité de fait », le législateur aurait méconnu les principes de précision, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.

Il estime enfin que ces dispositions seraient contraires au principe d’égalité devant la loi en ce qu’elles permettraient que des mêmes faits, commis à la même date, soient soumis à des règles de prescription différentes selon qu’ils ont déjà fait l’objet ou non de poursuites avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Réponse

Saisi de cette QPC, le Conseil constitutionnel a dans un premier temps rappelé qu’aux termes de l’article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l’empire de la loi ancienne la loi pénale nouvelle, plus douce, revient à permettre au juge de prononcer les peines prévues par la loi ancienne et qui, selon l’appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires.

Seulement, pour le Conseil, les dispositions contestées, qui portent sur des règles relatives à la prescription de l’action publique, n’instituent ni une infraction ni une peine. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce à l’encontre des dispositions contestées ne peut qu’être écarté.

Dans un second temps, les Sages ont rappelé qu’en vertu du principe de nécessité des peines, il appartient au législateur, afin de tenir compte des conséquences attachées à l’écoulement du temps, de fixer des règles relatives à la prescription de l’action publique qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions.

Or, les dispositions contestées ont pour seul objet d’organiser les conditions d’application dans le temps de la loi du 27 février 2017, et non de fixer des règles relatives à la prescription de l’action publique.

Par conséquent, elles ne contreviennent pas aux exigences relatives à la prescription de l’action publique qui découlent des articles 8 et 16 de la Déclaration de 1789. Pour les mêmes motifs, le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence doit donc être écarté.

Observations

L’article 4 de la loi du 27 février 2017 a déjà donné lieu à deux questions prioritaires de constitutionnalité, fondées, pour la première, sur le principe d’égalité entre les citoyens, garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et, pour la seconde, à la fois sur le principe précité, sur le principe de rétroactivité in mitius consacré par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que sur la garantie des droits et la présomption d’innocence affirmées aux articles 16 et 9 de cette Déclaration. La chambre criminelle a refusé de transmettre ces QPC dans deux arrêts en date du 28 juin 2017 (Crim. 28 juin 2017, n° 17-90.010 et n° 17-81.510). Dans le second arrêt, la chambre criminelle a énoncé que « la question posée, portant sur une disposition ayant vocation à aménager dans le temps les conséquences de la modification des règles relatives à la prescription des crimes et délits qui a pour seul effet de faire obstacle à l’exercice des poursuites, est étrangère aux droits et libertés garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme définissant les principes de légalité criminelle et de nécessité des peines ».

Seulement, postérieurement à ces arrêts, le Conseil constitutionnel a rendu une décision le 24 mai 2019, par laquelle il a, de manière inédite, jugé pour la première fois qu’ « il résulte du principe de nécessité des peines, protégé par l’article 8 de la Déclaration de 1789, et de la garantie des droits, proclamée par l’article 16 de la même déclaration, un principe selon lequel, en matière pénale, il appartient au législateur, afin de tenir compte des conséquences attachées à l’écoulement du temps, de fixer des règles relatives à la prescription de l’action publique qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions » (Cons. const. 24 mai 2019, n° 2019-785 QPC, D. 2019. 1815, et les obs. , note J.-B. Perrier ; ibid. 1626, obs. J. Pradel ; ibid. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ pénal 2019. 398, obs. S. Papillon ; Constitutions 2019. 305, Décision ; Dr. pénal 2019. 26, obs. Conte). Ainsi, et contrairement à ce qu’avait jugé la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel liait le droit à la prescription à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme.

Or s’agissant de l’application de la loi dans le temps, laquelle intéressait le Conseil dans la présente décision, deux principes découlent de l’article 8, celui de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère, et celui de la rétroactivité in mitius.

Le Conseil constitutionnel a conféré valeur constitutionnelle au principe de rétroactivité in mitius dans sa décision du 20 janvier 1981. Saisi de dispositions qui tendaient à l’écarter, il les a censurées au motif que « le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l’empire de la loi ancienne la loi pénale nouvelle, plus douce, revient à permettre au juge de prononcer les peines prévues par la loi ancienne et qui, selon l’appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires » (Cons. const. 20 janv. 1981, n° 80-127 DC, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, JCP 1981. II. 19701, note Franck)

Ainsi, tel que formulé, le principe de rétroactivité in mitius découle non pas du principe de légalité mais du principe de nécessité des délits et des peines.

Or comme nous l’avons dit, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 24 mai 2019 s’appuie pour fonder son contrôle de constitutionnalité des lois de prescriptions sur le principe de nécessité des délits et des peines.

Compte tenu des termes de la décision du Conseil constitutionnel du 24 mai 2019 et de sa référence au principe de nécessité, il n’était donc pas évident que le Conseil constitutionnel ait entendu écarter l’application du principe de rétroactivité in mitius s’agissant des lois de prescription, ce qui, au passage, justifiait bien le caractère sérieux de la QPC posée.

Le Conseil était ainsi invité dans la présente décision à dire si des dispositions ayant pour effet de moduler l’application dans le temps de règles relatives à la prescription de l’action publique entraient dans le champ d’application de l’article 8 de la Déclaration de 1789 et étaient donc soumises à ses principes.

À cette question, le Conseil a répondu que les dispositions de l’article 4 n’instituaient ni une infraction, ni une peine. Or c’est uniquement à de telles règles de fond que le Conseil applique, de manière constante, les principes de l’article 8 de la DDH, comme l’illustrait déjà la motivation, dans des termes proches, de sa décision du 30 juillet 2010 rendue en réponse à un grief tiré de la méconnaissance du principe de non-rétroactivité de la loi pénale à des dispositions ouvrant une voie de recours contre des perquisitions opérées en matière fiscale (Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-19/27 QPC, Constitutions 2010. 595, obs. C. de La Mardière ).

Le Conseil a dès lors considéré que le grief tiré de la méconnaissance du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce à l’encontre des dispositions contestées ne pouvait qu’être écarté, cette interprétation s’inscrivant dans le droit fil de sa jurisprudence antérieure que la reconnaissance d’une exigence constitutionnelle nouvelle propre aux règles de prescription de l’action publique, sur le double fondement des articles 8 et 16 de la Déclaration de 1789, n’a pas remise en cause.