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Exercer une activité non-concurrente pendant un arrêt maladie

L’exercice d’une activité, pour le compte d’une société non-concurrente de celle de l’employeur, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt. Pour fonder un licenciement, l’acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer un préjudice à l’employeur ou à l’entreprise, lequel ne saurait résulter du seul paiement par l’employeur des indemnités complémentaires aux allocations journalières.

par Loïc Malfettesle 25 mars 2020

Il est de jurisprudence constante que l’obligation de loyauté du salarié à l’égard de son employeur s’impose y compris lorsque le contrat est suspendu pour arrêt maladie (V. Soc. 15 juin 1999, n° 96-44.772 P, D. 2000. 511 , note C. Puigelier ; Dr. soc. 1999. 842, obs. A. Mazeaud , ou encore dernièrement Soc. 20 févr. 2019, n° 17-18.912 P,  Dalloz actualité, 14 mars 2019 ; D. 2019. 436 ; ibid. 2020. 405, obs. Centre de droit et d’économie du sport (OMIJ-CDES) ; JA 2019, n° 603, p. 39, étude M. Julien et J.-F. Paulin ; Dr. soc. 2019. 363, obs. J. Mouly ; ibid. 432, étude A.-M. Grivel ; JS 2019, n° 196, p. 8, obs. F. Lagarde ). La Cour de cassation est toutefois venue tempérer la possibilité pour l’employeur de sanctionner le salarié sur ce fondement, en subordonnant sa réaction à la démonstration d’un préjudice subi par l’employeur ou l’entreprise (Soc. 12 oct. 2011, n° 10-16.649, D. 2011. 2604, obs. J. Siro ; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2011. 698, obs. S. Maillard-Pinon ). C’est sur cette dernière condition et son appréciation que l’arrêt rendu le 26 février 2020 vient apporter des précisions.

En l’espèce, une salariée embauchée comme secrétaire commerciale a été placée en arrêt maladie et a été licenciée six mois plus tard pour faute grave, cette dernière ayant exercé une activité pour le compte d’une société qui n’était pas son employeur pendant son arrêt de travail.

Cette dernière a saisi les juridictions pour faire juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle fut déboutée de sa demande par les juges du fond, qui considérèrent le licenciement fondé. Ils relevèrent en effet que la salariée avait continué à percevoir un complément de salaire versé par son employeur pendant son arrêt de travail pour maladie, caractérisant un préjudice subi par ce dernier dans la mesure où l’intéressée s’était par ailleurs enrichie pendant cette période par son intéressement à une autre affaire, qu’elle n’exerçait ni à titre bénévole, ni de façon occasionnelle.

Les juges estimèrent peu importants l’absence de caractère concurrentiel de l’activité, le régime de sorties libres de l’arrêt de travail et la connaissance qu’avait l’employeur de la qualité d’associée de la salariée, et virent dans l’exercice de cette activité extérieure un manquement fautif à l’obligation de loyauté d’une gravité telle qu’elle fait obstacle à la poursuite du contrat de travail.

Saisie d’un pourvoi de l’intéressée, la chambre sociale de la Cour de cassation ne va toutefois pas suivre ce même raisonnement.

Les hauts magistrats vont en effet affirmer que l’exercice d’une activité, pour le compte d’une société non concurrente de celle de l’employeur, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt.

La chambre sociale ajoute que pour constituer un manquement fautif à l’obligation de loyauté et fonder un licenciement, l’acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer un préjudice à l’employeur ou à l’entreprise, lequel ne saurait résulter du seul paiement par l’employeur des indemnités complémentaires aux allocations journalières.

Cette solution vient confirmer que le fait de travailler pendant un arrêt de travail pour le compte d’une autre société ne caractérise pas en soi un manquement à l’obligation de loyauté (Soc. 12 oct. 2011, préc.). Aussi faut-il que cette activité périphérique cause un préjudice à l’employeur, ce préjudice ne pouvant résulter du seul versement par l’employeur du complément aux indemnités journalières de la sécurité sociale versé en raison de l’arrêt maladie, alors même que le caractère lucratif et habituel de l’activité du salarié est établi, comme c’était le cas dans la présente espèce.

En clair, il faudra que l’employeur parvienne à démontrer un préjudice autre, dont l’exercice d’une activité concurrentielle devrait constituer la principale incarnation. Tel sera le cas lorsque le salarié exercera pour son compte pendant son arrêt maladie la même activité que celle de son employeur (Soc. 21 oct. 2003, n° 01-43.943, JA 2019, n° 603, p. 39, étude M. Julien et J.-F. Paulin ; Dr. soc. 2004. 114, obs. J. Savatier ). En l’absence d’activité concurrente, il apparaîtra difficile pour un employeur de sanctionner un salarié qui exercerait une activité pendant son arrêt de travail.

La chambre sociale consacre ainsi une acception restrictive de l’obligation de loyauté. Une telle solution peut étonner dans la mesure où l’arrêt maladie du salarié représente un coût pour l’employeur. Mais c’est oublier que l’exercice d’une activité pendant son arrêt maladie ne préjuge pas nécessairement du bien-fondé de celui-ci, ni de la mauvaise foi du salarié. Si l’employeur a des doutes sur la réalité de la cause justifiant l’arrêt, ou sur le respect des restrictions qu’il prévoit, il disposera toujours de la possibilité de demander une contre-visite, c’est-à-dire un contrôle médical de l’arrêt de travail (C. trav., art. L. 1226-1). Il pourra résulter de celui-ci une perte du bénéfice des indemnités complémentaires à l’allocation journalière prévue en cas de maladie (CSS, art. L. 321-1).