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Les exigences de motivation dans les affaires de fraude fiscale et de blanchiment

Par un arrêt du 29 janvier 2020, la chambre criminelle est venue préciser les exigences de motivation de l’évaluation du préjudice de l’État dans une affaire de fraude fiscale et de blanchiment de ce délit et a rappelé celles applicables à la peine complémentaire de confiscation.

par Ophélia Claudele 12 février 2020

La motivation du préjudice de l’État dans les affaires de blanchiment de fraude fiscale

S’il est constant que l’administration fiscale est recevable, sur le fondement de l’article L. 232 du Livre des procédures fiscales, à se constituer partie civile dans les affaires de fraude fiscale, cette action se limite à lui permettre de suivre la procédure pénale et d’y participer. En revanche, cette action ne lui permet pas d’obtenir une indemnisation, le préjudice subi par le Trésor public étant réparé par les majorations et les amendes fiscales dans le cadre de la procédure administrative distincte de la procédure pénale (Crim. 16 avr. 1970, n° 68-92.344 ; 17 avr. 1989, n° 88-81.183, RDI 1991. 118, chron. G. Roujou de Boubée ; RSC 1990. 582, obs. J. Pradel ; RTD com. 1990. 88, obs. B. Bouloc ; ibid. 157, obs. P. Bouzat ).

Il est cependant admis que, dans le cadre d’infractions de droit commun, l’État peut demander réparation du préjudice subi par le Trésor sur le fondement du droit commun notamment dans les affaires d’escroquerie à la TVA (Crim. 19 juin 1978, n° 73-92.900). La chambre criminelle a même jugé que l’État pouvait se voir allouer des dommages-intérêts correspondant au quantum des sommes indûment obtenues en dépit de la possibilité pour l’administration fiscale de recouvrer le montant de la taxe fraudée. Cette solution est justifiée selon la chambre criminelle car l’action en réparation du dommage serait « distincte de l’action en recouvrement de la taxe fraudée » (Crim. 16 mai 2018, n° 17-81.973, Dalloz jurisprudence).

Il s’agissait, jusqu’en 2014, de l’un des rares cas autorisés de constitution de partie civile de l’État ; une telle action se heurtant à l’idée que l’action publique, et a fortiori la protection des intérêts publics, est normalement portée par le ministère public.

La chambre criminelle a toutefois étendu la possibilité pour l’État de se constituer partie civile et de demander réparation de son préjudice dans un arrêt du 17 décembre 2014 rendu dans le cadre du pouvoir formé contre l’arrêt de la chambre de l’instruction ayant confirmé le montant de la caution à l’encontre de la banque UBS. La chambre criminelle avait en effet confirmé que « la dissimulation des biens et des droits éludés [engendre] obligatoirement des dommages financiers importants, compte tenu de la pérennité, de l’habitude et de l’importance de la fraude, entraînant nécessairement pour l’État la mise en œuvre de procédures judiciaires pour faire valoir ses droits et recouvrer ses créances, indépendamment du préjudice économique et budgétaire déjà actuel, caractérisé par l’absence de rentrée des recettes fiscales dues, et tout particulièrement en cette période d’importants déficits budgétaires au plan national » (Crim. 17 déc. 2014, n° 14-86.560, Dalloz jurisprudence).

Sur la base de cette jurisprudence, les juges du fond allouent désormais des dommages-intérêts à l’État dans les affaires de blanchiment de fraude fiscale.

Tel était le cas de l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui a été censuré. Dans cette affaire, la cour avait approuvé le raisonnement du tribunal correctionnel qui avait apprécié le préjudice résultant du blanchiment de fraude fiscale sur la base du « revenu généré et des actifs en capital qui échappent à l’impôt sur la fortune mais également compte tenu de l’ancienneté des faits et de l’importance de la fraude des procédures multiples mises en œuvre pour recouvrer ses créances, ce tout particulièrement à une période de déficits budgétaires importants » (Paris, pôle 5, ch. 13, 19 mai 2017, n° 15/03218, E. Daoud et V. Chatelin, L’optimisation fiscale au banc des accusés, AJ pénal 2017. 445 ).

C’est cette motivation qui a été censurée par la chambre criminelle, considérant que « ces motifs […] ne mettent pas la Cour de cassation en mesure de s’assurer que les juges n’ont pas inclus dans l’indemnisation le préjudice issu de la fraude fiscale ». La chambre criminelle a en outre rappelé que les juges du fond « n’ont pas compétence pour réparer le préjudice subi par le Trésor public du fait du délit fiscal, qui est indemnisé par les majorations fiscales et les intérêts de retard ».

Il s’agit d’un rappel important car les juges du fond avaient, à plusieurs occasions ces dernières années, justifié le montant des dommages et intérêts à l’État sur le montant de la fraude fiscale à l’origine du blanchiment.

Les juges du fond doivent donc maintenant justifier que le montant des dommages et intérêts demandés par l’État ne se confond pas avec le préjudice résultant de la fraude fiscale.

La motivation de la peine de confiscation

La peine de confiscation a fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la chambre criminelle depuis une dizaine d’années. La chambre criminelle a notamment rendu un arrêt important le 27 juin 2018 posant le principe selon lequel, « hormis le cas où la confiscation, qu’elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit de l’infraction, le juge en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit de la confiscation de tout ou partie du patrimoine » (Crim. 27 juin 2018, n° 16-87.009, Dalloz actualité, 24 juill. 2018, obs. M. Recotillet ; D. 2018. 1494 ; ibid. 2259, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ; Rev. sociétés 2018. 674, note B. Bouloc ; RTD com. 2018. 804, obs. B. Bouloc ). Dans ce même arrêt, la chambre criminelle avait exigé des juges du fond qu’ils motivent la mesure de manière détaillée : « assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l’origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s’expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété du prévenu ».

Dans la lignée de cet arrêt, la chambre criminelle a censuré des arrêts dans lesquels les juridictions du fond avaient, à tort, réalisé un contrôle de proportionnalité de la mesure alors que la saisie portait sur un bien produit de l’infraction (Crim. 15 mai 2019, n° 18-84.494, Dalloz actualité, 13 juin 2019, obs. L. Jay ; D. 2019. 1105 ; 26 juin 2019, n° 19-80.235, Dalloz actualité, 31 juill. 2019, obs. C. Fonteix ; D. 2019. 1337 ).

Au contraire, lorsque la mesure visait des biens constituant tout ou partie du patrimoine, la chambre criminelle a rappelé la nécessité de procéder à un contrôle de proportionnalité et « de préciser la nature et l’origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure » (Crim. 16 janv. 2019, n° 17-86.581, Dalloz actualité, 19 févr. 2019, obs. C. Fonteix ; D. 2019. 128 ; AJ pénal 2019. 218, obs. J. Hennebois ). Dans un arrêt du 12 juin 2019, la chambre criminelle est allée jusqu’à censurer pour défaut de motivation l’arrêt dans lequel la cour d’appel n’avait pas effectué de contrôle de proportionnalité de la mesure de confiscation qui portait sur des biens dont les prévenus n’avaient pas justifié de l’origine (Crim. 12 juin 2019, n° 18-83.396, Dalloz actualité, 8 juill. 2019, obs. S. Fucini ; D. 2019. 1230 ; ibid. 1858, obs. C. Mascala ; AJ pénal 2019. 444, obs. Y. Mayaud ). La chambre criminelle impose donc un niveau d’exigence élevé en jugeant que le contrôle de proportionnalité doit s’appliquer dans tous les cas sauf dans ceux où il est démontré que le bien est le produit de l’infraction.

L’arrêt du 29 janvier 2020 de la chambre criminelle s’inscrit dans le sillon de cette jurisprudence exigeante en considérant que la confiscation des biens détenus par les sociétés civiles immobilières déclarées coupables de complicité de fraude fiscale par organisation d’insolvabilité et blanchiment « aux motifs propres et adoptés que Mme X est la représentante légale de ces sociétés et l’associée très largement majoritaire, à hauteur de 98 % et de 99 % » ne permet pas d’apprécier l’étendue de l’exigence de motivation des juges du fond.