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Exonération totale en cas de force majeure : exigence d’une faute imprévisible de la victime

La faute de la victime n’exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle constitue un cas de force majeure. Or la chute d’un pilote sur un circuit n’est pas imprévisible pour les motards qui le suivent.

« Puisque la causalité permet d’attribuer la responsabilité d’un dommage, réciproquement, celui à qui l’on impute la responsabilité d’un dommage peut échapper à toute obligation de le réparer s’il réussit à démontrer que ce dommage est dû à une cause qui n’a rien avoir avec lui […]. C’est alors la négation de la causalité d’origine. Le droit français admet que la cause étrangère soit totalement exonératoire à condition de revêtir les caractères de la force majeure, c’est-à-dire à condition que l’événement soit irrésistible, imprévisible et extérieur à celui qui s’en prévaut » (R. Bigot et A. Cayol, Le droit de la responsabilité civile en tableaux, préf. P. Brun, Ellipses, 2022, p. 140). Une décision rendue par la deuxième chambre civile le 30 novembre 2023 (n° 22-16.820, D. 2023. 2191 ) confirme le maintien de ces trois critères pour retenir l’existence d’un cas de force majeure, et ce y compris en matière extracontractuelle.

L’espèce

À la suite de la chute d’un motard lors d’une séance de « roulage » sur un circuit fermé, le responsable de la sécurité entre sur la piste en agitant un drapeau jaune. Le pilote d’une autre motocyclette, en le voyant, freine brusquement et chute à son tour sur le sol, avant d’être percuté par une troisième motocyclette. La victime assigne en indemnisation de son dommage corporel le conducteur de la troisième motocyclette, ainsi que l’assureur de ce dernier. La cour d’appel rejette sa demande en retenant l’existence d’une faute de conduite imprévisible et irrésistible de sa part, entraînant l’exonération totale de l’autre conducteur de sa responsabilité de gardien.

Elle retient, en effet, qu’il s’agissait d’une session réservée à des pilotes confirmés, habitués du circuit qu’ils connaissaient parfaitement, et qu’une séance d’information était donnée avant chaque « roulage » sur les règles de comportement à observer sur la piste (pt 6). Dès lors, le fait pour la victime de freiner brutalement sans nécessité – le motard préalablement tombé à terre n’empiétant pas sur la piste – et sans respecter les consignes de sécurité – le drapeau jaune imposant de ralentir et non de freiner brutalement –, était constitutif d’une faute de conduite en lien de causalité avec le dommage (pts 8 et 9) et que l’autre pilote ne pouvait pas prévoir (pt 13).

Dans son pourvoi, la victime invoque, d’abord, un défaut de base légale au regard des articles 1241 et 1242, alinéa 1er, du code civil. Elle rappelle que « pour exonérer le gardien de la chose instrument du dommage, les juges doivent caractériser une faute de la victime et son lien de causalité avec le dommage dont cette dernière demande réparation ». Elle conteste alors l’existence d’une faute de conduite, insistant sur le fait que, bien qu’étant une habituée du circuit, elle n’était pas licenciée – contrairement à l’autre conducteur –, leur commune appartenance au classement confirmé ne résultant que « des performances de temps réalisées au tour », et que seule une « séance d’information était réalisée notamment pour expliquer les couleurs des drapeaux et le comportement à observer » avant chaque séance de roulage (pt 4).

La victime soutient, ensuite, que les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l’article 1242, alinéa 1er, du code civil. Après avoir rappelé que « l’exonération totale du gardien de la chose instrument du dommage suppose que la faute de la victime revête les caractéristiques de la force majeure », elle souligne de nouveau qu’elle n’était pas licenciée et maîtrisait mal les règles de sécurité concernant notamment la signification des couleurs des drapeaux. En conséquence, selon elle, « le freinage brutal d’un participant en cas d’accident lors d’une course de motocyclette, ne saurait être considéré comme un événement imprévisible ».

La deuxième chambre civile rejette le premier moyen en se retranchant derrière l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond concernant l’existence d’une faute de conduite (pt 9). Convaincue par l’argumentation développée dans le second moyen, elle casse cependant la décision de la cour d’appel pour violation de l’article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du code civil en rappelant, dans un attendu de principe, que « la faute de la victime n’exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle constitue un cas de force majeure » (pt 12). Or, selon elle, « la chute d’un pilote sur un circuit ne constitue pas un fait imprévisible pour les motards qui le suivent » (pt 14).

L’application du régime de responsabilité du fait des choses

Il convient d’abord de noter que seuls sont visés, en l’espèce, les textes du droit commun de la responsabilité civile (C. civ., art. 1241 et 1242), alors même que le dommage résulte d’une collision entre deux motocyclettes, lesquelles sont sans conteste des véhicules terrestres à moteur (VTAM) au sens de la loi dite Badinter du 5 juillet 1985. Bien que non définie par la loi, la notion de VTAM a progressivement été précisée par la jurisprudence, laquelle a posé plusieurs critères : l’engin concerné doit être un « véhicule », ce qui suppose qu’il soit destiné au transport de personnes et/ou de marchandises (Civ. 2e, 20 mars 1996, n° 94-14.524 : tel n’est pas le cas d’un engin de damage manipulé par le manche par un ouvrier) ; ce véhicule doit être « terrestre » – autrement dit circuler sur le sol – et être doté d’un «...

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