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Expertise et valeur des droits sociaux : aspects procéduraux

La décision par laquelle le président du tribunal de grande instance procède à la désignation d’un expert chargé de déterminer la valeur de droits sociaux est sans recours possible.

par François Mélinle 15 juin 2018

L’affaire jugée par la deuxième chambre civile le 7 juin 2018 concerne des circonstances très simples à présenter.

Dans le cadre d’un litige relatif à la détermination de la valeur de droits sociaux, une expertise judiciaire est ordonnée. Par la suite, une requête en rectification d’erreur matérielle est déposée et une décision est prononcée en conséquence. L’une des parties forme alors un pourvoi en cassation à l’encontre de celle-ci. Cependant, la recevabilité du pourvoi est contestée.

Ces circonstances sont quelque peu arides mais elles donnent l’occasion à la Cour de cassation de confirmer sa jurisprudence habituelle.

L’article 1843-4 du code civil dispose que, dans les cas où la loi renvoie à lui pour fixer les conditions de prix d’une cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné soit par les parties, soit, à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible (sur cette procédure, v. B. François et J. Moury, Cession de droits sociaux, Dalloz, 2018 ; Cessions de parts et actions, Mémento Francis Lefebvre, 2017-2018, nos 37525 s.).

Cette dernière précision concernant l’absence de recours possible est d’une grande importance pratique. La Cour de cassation lui accorde une pleine portée en retenant, de manière répétée, que « cette disposition s’applique, par sa généralité, au pourvoi en cassation comme à toute autre voie de recours » (Civ. 1re, 6 déc. 1994 n° 92-18.007, RTD com. 1995. 430, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 804, obs. M. Jeantin ) et qu’il n’y est dérogé qu’en cas d’excès de pouvoir (Civ. 2e, 1er juin 2017, n° 16-15.577, Dr. sociétés 2017. 182, obs. R. Mortier). Bien plus, l’absence de recours vaut également lorsqu’il est procédé au remplacement de l’expert (Com. 15 mai 2012, n° 11-12.999, Dalloz actualité, 4 juin 2012, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2012. 491, note E. Schlumberger ).

Par le principe reproduit en tête de ces observations, l’arrêt du 7 juin 2018 confirme cette approche désormais bien établie. Il reproduit également les termes de la jurisprudence qui vient d’être citée à propos du pourvoi en cassation et de la réserve de l’excès de pouvoir.

L’arrêt fournit en outre une intéressante précision, à propos de la rectification d’erreur matérielle qui était intervenue en l’espèce.

L’ordonnance qui désigne l’expert peut évidemment, dans les conditions du droit commun, être l’objet d’une rectification d’erreur matérielle, si une telle erreur vient à être constatée. Toutefois, une difficulté apparaît à la lecture de l’article 462 du code de procédure civile. Ce texte énonce en effet que les erreurs matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu, mais il ajoute que, si la décision rectifiée est passée en force de chose jugée, la décision rectificative ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation.

Cette dernière précision ouvrait-elle la voie, en l’espèce, au pourvoi, malgré les termes de l’article 1843-4 excluant tout recours ? L’arrêt apporte une réponse négative à cette question : « la décision qui statue sur la rectification d’une prétendue erreur matérielle ne peut être frappée de pourvoi en cassation dès lors que la décision rectifiée n’est pas elle-même susceptible d’un tel recours ». Il s’agit, là encore, de la confirmation d’une position bien établie (par ex., Soc. 16 déc. 1998, n° 97-44.596 ; sur ce, v. Rép. pr. civ., Jugement, par F. Eudier et N. Gerbay, n° 496). Le pourvoi a dès lors été déclaré irrecevable par l’arrêt.