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Extorsion avec violences ayant entraîné la mort : comment démontrer le lien de causalité entre les violences et le décès ?

Dans l’arrêt rapporté, la chambre criminelle apporte d’utiles précisions au sujet de la caractérisation du crime d’extorsion avec violences ayant entraîné la mort. 

par Dorothée Goetzle 21 octobre 2019

Suite à la défenestration d’une femme dont le corps sans vie était retrouvé dans la cour intérieure d’un immeuble, les gendarmes étaient requis. Ils découvraient que le décès de la victime était lié à une dette en rapport avec un trafic de stupéfiants. En effet, l’enquête établissait que le créancier de la victime avait demandé à deux amis, qui hébergeaient occasionnellement la jeune femme, de la convaincre de monter dans leur appartement situé à l’aplomb du lieu de découverte de son corps sans vie. L’individu à qui la victime devait de l’argent s’était ensuite présenté dans le logement dans lequel la victime était piégée. Dans ce contexte, une altercation éclatait entre les protagonistes. Pour échapper à l’emprise de son agresseur, la victime prenait la fuite par la fenêtre.

Une information judiciaire était ouverte contre une personne non dénommée, du chef d’extorsion avec violences ayant entraîné la mort. Les trois individus présents dans le logement au moment de la défenestration étaient placés en garde à vue puis mis en examen. In fine, le créancier étaient mis en accusation du chef de tentative d’extorsion avec violences ayant entraîné la mort et les deux autres individus pour complicité de cette infraction. La chambre de l’instruction confirmait le renvoi devant la cour d’assises sous l’accusation de tentative d’extorsion avec violences ayant entraîné la mort.

Pour justifier ce choix, les juges du fond s’appuyaient notamment sur l’exploitation du téléphone de la victime et sur les témoignages particulièrement intéressants recueillis dans son entourage. En effet, il s’évinçait de ces témoignages que les violences visées par la prévention, consécutives à un vol de stupéfiants, s’inscrivaient dans un contexte de violences réitérées depuis plusieurs mois. Avant d’être attirée dans ce guet-apens qui lui a coûté la vie, la victime avait déjà signalé « craindre pour sa vie ». Les déclarations d’un des deux complices étaient d’ailleurs particulièrement éclairantes. En effet, l’intéressé indiquait qu’avant de s’enfuir par la fenêtre, la victime était dans un état de peur panique. Se sentant piégée et après avoir subi des violences avec le plat d’un couteau et un coup de poing, elle avait enjambé le garde-corps de la fenêtre et s’était laissée glisser pour échapper à son agresseur.

L’intéressé formait un pourvoi en cassation. Dans un moyen unique, il soulevait la violation des articles 121-4, 121-5 , 312-7, 312-8 et 312-9 du code pénal et 591 et 593 du code de procédure pénale.

Selon lui, aucun lien de causalité n’était établi entre les violences et le décès et, ce faisant, l’infraction d’extorsion avec violences ayant entraîné la mort ne pouvait pas lui être imputée. Il considérait que la motivation de la chambre de l’instruction était contradictoire. En effet, il reprochait aux juges du fond d’avoir affirmé que la décision prise par la victime de s’enfuir par la fenêtre d’un appartement se trouvant au troisième étage résultait de la diminution de sa vigilance et de ses capacités à apprécier les risques de chute du fait de sa consommation de stupéfiants tout en considérant paradoxalement que le lien de causalité était établi entre les violences et le décès. En outre, il soulignait qu’au moment des faits il se situait à plusieurs mètres de la victime qui pouvait quitter l’appartement sans avoir à s’enfuir par la fenêtre. Enfin, il reprochait aux juges du fond de ne pas avoir recherché si au moment où la victime s’était défenestrée elle était menacée.

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Les hauts magistrats relèvent, en effet, que contrairement aux prétentions du requérant qui, au demeurant, reconnaît avoir commis des violences sur la victime quelques instants avant sa défenestration, le décès n’était pas dû à l’exposition récente de la victime au cannabis et à la cocaïne. En effet, son décès était la conséquence directe des violences inscrites dans un contexte antérieur de pressions permanentes, exercées avec une arme, en l’espèce un couteau, et accompagnées de manœuvres destinées à empêcher toute fuite de la jeune femme (v. Rép. pén, v° Extorsion, par M. Redon). Ce faisant, la chambre criminelle constate que la chambre de l’instruction a répondu aux articulations essentielles des mémoires dont elle était saisie (sur ce motif de cassation, v. Crim. 12 juin 2019, n° 19-82.557, Dalloz actualité, 15 juill. 2019, obs. D. Goetz ; 15 mai 2019, nos 19-81.531 et 18-80.121, Dalloz actualité, 28 mai 2019, obs. D. Goetz) et a relevé, à l’encontre du requérant, l’existence de charges à ses yeux suffisantes pour ordonner son renvoi devant la cour d’assises. En conséquence, la Cour de cassation n’ayant pas pour rôle de contrôler la consistance des charges relevées par la juridiction d’instruction, elle rejette le pourvoi.

Ce choix est logique. En effet, pour que le crime d’extorsion avec violences ayant entraîné la mort soit caractérisé, il n’est pas nécessaire que la mort ait été envisagée comme résultat ni même que le processus généré par les violences y conduise directement. Il suffit que la mort soit la conséquence de la situation de contrainte créée par l’agresseur, ce qui était le cas en l’espèce. Cet arrêt est à rapprocher d’un arrêt du 6 août 2003 dans lequel la chambre criminelle avait adopté le même raisonnement dans un cas où pour échapper à la contrainte ou aux suites des actes signés sous son empire, la victime s’était volontairement donné la mort (Crim. 6 août 2003, n° 03-82.904).