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Faillite personnelle et insuffisance d’actif : ne pas confondre sanction et responsabilité

L’existence d’une insuffisance d’actif n’est pas une condition de la faillite personnelle. Partant, le tribunal qui rejette la demande du liquidateur tendant au prononcé de la faillite personnelle d’un dirigeant à défaut d’établir l’existence d’une telle insuffisance ajoute à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas.

À l’heure où vient d’être lancé, le 27 mai dernier, un nouveau chantier de simplification du droit des entreprises en difficulté, impulsé par le Conseil d’État dont l’avis publié en 2024 dénonçait notamment la difficile compréhension des sanctions professionnelles (Conseil d’État, Note pour l’étude simplification relative au livre VI du code de commerce « Des difficultés des entreprises », 20 juin 2024, spéc. nos 30 et 31), l’arrêt rendu le 12 juin 2025 par la chambre commerciale de la Cour de cassation tombe à point nommé.

En l’espèce, à la suite du placement successif d’une société en redressement puis en liquidation judiciaires, le liquidateur avait agi à l’encontre du dirigeant en responsabilité pour insuffisance d’actif et en prononcé de sa faillite personnelle.

La Cour d’appel de Saint-Denis a toutefois débouté le liquidateur de ses deux demandes, pour une seule et même raison : le défaut d’établissement, par celui-ci, d’une insuffisance d’actif.

On comprend en conséquence assez naturellement le pourvoi formé par le liquidateur, qui reposait sur un double fondement. S’agissant du rejet de la responsabilité pour insuffisance d’actif, était invoquée la méconnaissance des termes du litige dans la mesure où l’existence de l’insuffisance d’actif n’était aucunement contestée par les parties, lesquelles ne s’opposaient qu’au regard des fautes reprochées au dirigeant et à leur lien de causalité avec cette insuffisance. Quant au rejet du prononcé d’une faillite personnelle, était mis en avant l’ajout par les juges du fond d’une condition non prévue par les textes la régissant, à savoir la preuve d’une insuffisance d’actif.

Grand bien lui en prit puisque la chambre commerciale l’a suivi sur ces deux points en cassant l’arrêt d’appel.

Nous passerons sur la cassation au visa de l’article 4 du code de procédure civile s’agissant de la responsabilité pour insuffisance d’actif. Ce n’est ici que l’application d’une règle traditionnelle de la procédure civile dont il ne faudrait pas oublier l’application dans le contentieux des entreprises en difficulté : l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, ce que le juge ne saurait modifier. Or, étant donné que les parties s’accordaient sur l’existence d’une insuffisance d’actif et ne discutaient que des fautes commises par le dirigeant et leur lien avec cette insuffisance, les juges du fond ont bien modifié l’objet du litige en déboutant le liquidateur de sa demande à raison de l’insuffisance des éléments de preuve pour établir l’insuffisance d’actif. La censure est donc ici parfaitement justifiée.

Le point qui nous retiendra est celui qui justifie la publication de l’arrêt au Bulletin, à savoir la cassation de la décision d’appel, au visa des articles L. 653-4 et L. 653-5 du code de commerce, quant au rejet de la demande visant au prononcé de la faillite personnelle du dirigeant. Après avoir rappelé qu’ils résultent de ces textes « que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle du dirigeant de la personne morale débitrice contre lequel a été relevé un ou plusieurs faits qu’ils énumèrent sans qu’il soit tenu de constater l’existence d’une insuffisance d’actif », les Hauts magistrats censurent en effet les juges du fond pour avoir violé les textes susvisés, par refus d’application, « en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas ».

Si cette solution ne peut qu’être approuvée au regard de sa logique, elle permet néanmoins d’ouvrir la discussion quant à ses suites.

La logique

Pour comprendre la logique de l’arrêt commenté, encore convient-il de rappeler sommairement ce qu’est la faillite personnelle. « Sanction professionnelle emblématique du livre VI du code de commerce » (F. Pérochon, F. Reille, M. Laroche, V. Martineau-Bourgninaud, T. Favario et A. Donnette, Entreprises en difficulté, 12e éd., LGDJ, 2024, n° 3223), bien que dotée d’une terminologie maladroite qui prête à confusion en raison de sa connotation historique (en reprenant le « vieux nom de faillite, qui désignait autrefois la procédure collective elle-même », v. P. Pétel, Procédures collectives, 11e éd., Dalloz, 2023, n° 428 ; v. égal., A. Jacquemont, N. Borga et T. Mastrullo, Droit des entreprises en difficulté, 13e éd., LexisNexis, 2025, n° 1145), elle vise à éliminer du monde des affaires certaines personnes physiques, en leur interdisant tout exercice d’une fonction dirigeante ou de contrôle d’une entreprise (C. com., art. L. 653-2), pendant un certain délai fixé par le tribunal (C. com., art. L. 653-11, al. 1er, qui ne peut excéder 15 ans), à raison de la commission d’un ou plusieurs faits énumérés aux articles L. 653-3 et suivants du code de commerce.

Au sein de ces derniers, la condition de l’existence d’une...

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