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Fait des choses : caractérisation du rôle actif de l’animal

La responsabilité du fait des animaux est engagée lorsque la chute de la victime, cavalière confirmée et de très bon niveau, ne peut s’expliquer que par l’anormalité du comportement des deux chiens même s’ils ne se sont pas approchés à moins de dix mètres et n’ont montré aucune agressivité.

par Anaïs Hacenele 19 février 2019

L’article 1243 du code civil dispose que « le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé ; soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé ».

« Ce texte, d’une importance capitale en 1804, n’a plus qu’un rôle secondaire, par suite de la diminution des tâches confiées aux animaux dans la vie économique, et surtout de « l’invention » de l’article 1242, alinéa 1er, in fine » (J. Julien, « Responsabilité spéciale du fait des animaux », in P. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2018-2018, n° 2222.12). La responsabilité du fait des animaux (avec la responsabilité du fait des bâtiments en ruine) est la première responsabilité du fait des choses consacrée par le code civil de 1804. Au départ pour faute, elle a ensuite été objectivée. Désormais, elle n’est plus qu’une application particulière de l’article 1242, alinéa 1er, dont la force normative a été reconnue par le juge judiciaire en 1896 (Civ. 16 juin 1896, Teffaine).

L’arrêt de rejet rendu le 17 janvier par la deuxième chambre civile renseigne sur l’engagement de la responsabilité du propriétaire d’un animal en l’absence de contact entre lui et le siège du dommage. Les arrêts de la Cour de cassation dans lesquels elle se prononce sur le rôle actif d’un animal dans la survenance d’un dommage sont suffisamment rares pour que celui-ci attire et mérite une certaine attention.

En l’espèce, une cavalière a été victime d’une chute de cheval imputée à la survenance inattendue, sur le chemin, de deux gros chiens. Avec ses parents, elle assigne les propriétaires de ces derniers et leurs assureurs respectifs en réparation des préjudices subis. Les juges du fond les ont reconnus coresponsables et les ont condamnés in solidum à réparer les dommages causés à la victime directe et aux victimes par ricochet. Les coresponsables se sont pourvus en cassation reprochant à la cour d’appel d’avoir retenu le rôle actif du comportement de leur animal alors que celui-ci ne présentait aucune anomalie.

La Cour de cassation fut donc amenée à s’interroger sur le rôle actif des chiens dans la chute de la victime sans qu’il y ait eu de contact entre eux et le siège du dommage.

En tant que variante de la responsabilité générale du fait des choses, la responsabilité du fait des animaux impose la présence du triptyque classique : une chose, un gardien et rôle actif (sur cette responsabilité, v. J.-P. Marguénaud, L’animal en droit privé, Puf, 1992 ; S. Antoine, Le droit et l’animal : évolutions et perspectives, D. 1996. 126 ; J.-P. Marguénaud, L’animal dans le nouveau code pénal, D. 1995. 187 ; La personnalité juridique des animaux, D. 1998. Chron. 205 ).

En l’espèce, ce n’est ni la condition de chose ni celle de gardien qui est discutée mais celle du lien de causalité.

Lorsque l’animal, en mouvement, est entré en contact avec le siège du dommage, de la même façon que pour la responsabilité générale du fait des choses, son rôle actif est présumé (Cass. 26 mai 1852, DP 1852. 1. 286). Il est établi que l’animal est l’instrument du dommage sans que la victime ait besoin de démontrer autre chose que sa simple intervention matérielle. Les règles probatoires lui sont très favorables par le renversement de la charge de la preuve auquel procède le juge. En revanche, en l’absence de contact, les règles changent et le principe issu de l’article 1315 du code civil s’applique. L’absence de contact n’empêche pas l’existence d’un rapport de causalité (Civ. 2e, 24 févr. 1982, NP, Gaz. Pal. 1982. 2. Pan. 250) mais la victime doit le démontrer.

Pour établir le rôle actif de l’animal dans la survenance de son dommage, doit-elle prouver spécifiquement l’anormalité de la position de l’animal ou de son comportement ou peut-elle prouver le rôle actif de quelle que manière que ce soit ?

En matière de responsabilité générale du fait des choses, lorsque le rôle actif n’est pas présumé, la jurisprudence distingue deux situations :

  • soit la chose est en mouvement mais elle n’est pas entrée contact avec le siège du dommage. Dans ce cas, la victime doit prouver le rôle actif par tous moyens ;
     
  • soit la chose est entrée en contact avec le siège du dommage mais elle n’était pas en mouvement. Dans ce cas, la victime doit prouver son rôle actif en établissant précisément son vice ou sa position anormal.

Puisque l’article 1245 est soumis aux mêmes règles que l’article 1243 du code civil, en cas de mouvement de l’animal sans contact avec le siège du dommage, la victime doit pouvoir prouver le rôle actif sans démontrer une quelconque anormalité.

En effet, au regard des solutions jurisprudentielles, le juge n’exige pas la preuve d’un vice ou d’une anormalité. Un certain nombre de décisions, essentiellement rendues par des juridictions du fond, ont reconnu l’existence du lien de causalité dans des hypothèses très variées sans imposer cette preuve particulière.

En l’absence de contact entre l’animal et le siège du dommage, le comportement de l’animal peut être l’instrument du dommage en raison de la frayeur qu’il provoque chez la victime (Cass. 2 déc. 1940, Gaz. Pal. 1940. 2. 302 ; Civ. 2e, 8 mars 1956, D. 1956. Somm. 151 ; 16 nov. 1961, D. 1962. Somm. 82 ; 27 sept. 2001, n° 00-10.208, Bull. civ. II, n° 148 ; D. 2001. IR 2948 ; Nîmes, 7 avr. 2009, Jurisdata n° 003157) notamment par son agressivité, laquelle provoque une chute (Aix-en-Provence, 24 janv. 2007, Jurisdata n° 339650 ; Montpellier, 28 mars 2007, Jurisdata n° 341008 ; Aix-en-Provence, 13 sept. 2007, Jurisdata n° 351089).

Il est même arrivé que le juge retienne comme cause du dommage le simple cri de l’animal (Reims, 20 juin 2005, Jurisdata n° 296412 : aboiement d’un chien provoquant la chute d’une cycliste ; contra Grenoble, 15 mai 2006, JCP 2006. IV. 3327).

De façon encore plus souple, certaines décisions retiennent comme rôle actif la seule présence de l’animal (Aix-en-Provence, 14 févr. 2006, Jurisdata n° 310167 : corps d’un chien sur une autoroute, imposant à un conducteur un contournement au cours duquel il perd le contrôle de son véhicule ; Versailles, 27 avr. 2004, Jurisdata n° 255625 : simple présence d’un chien effrayant un poney, désarçonnant sa cavalière ; contra Rouen, 19 mai 2005, Jurisdata n° 271670 ; Limoges, 8 mars 2007, Jurisdata n° 335786 ; Montpellier, 24 mai 2016, n° 14/04316). Cette présence doit toutefois être prouvée. C’est pourquoi, lorsque le comportement de l’animal est invoqué, mais qu’aucun témoignage ne permet de le confirmer, la responsabilité du propriétaire ne peut pas être engagée (v. Toulouse, 1er févr. 2005, Jurisdata n° 279775).

Le juge judiciaire fait preuve d’une grande « indulgence » (J. Julien, « Responsabilité spéciale du fait des animaux », in P. Le Tourneau, ibid., n° 2222.14) et retient une conception souple du rôle actif de l’animal. En l’espèce toutefois, bien que le lien de causalité soit retenu, deux aspects de la décision attirent l’attention.

D’une part, le fait que la Cour de cassation évoque expressément l’anormalité du comportement de l’animal. D’autre part, l’énumération des multiples éléments permettant de la caractériser et de retenir la responsabilité.

À la lecture des moyens du pourvoi il en résulte que, pour la cour d’appel saisie, l’anormalité n’est pas une condition nécessaire à l’engagement de la responsabilité des propriétaires des deux chiens. Néanmoins, le pourvoi affirme que la preuve d’une « anomalie » est requise. Il y a donc une divergence sur ce point entre les juges du fond et les parties au pourvoi que doit trancher la Cour de cassation.

Si la Cour de cassation rejette le pourvoi et va dans le sens de la décision des juges du fond, elle relève toutefois que l’anormalité a été caractérisée. Est-ce à dire alors que c’est une condition nécessaire à la responsabilité du gardien de l’animal en l’absence de contact ? Elle ne le dit pas expressément. Deux interprétations sont alors possibles.

Soit la haute juridiction y fait référence sans en faire une condition nécessaire mais pour montrer aux demandeurs au pourvoi que, même si elle n’est pas indispensable, l’anormalité est en l’espèce bien présente. Soit, elle y fait référence parce qu’elle anticipe l’éventuelle prochaine réforme de la responsabilité civile. L’alinéa 3 du projet dispose qu’hormis l’hypothèse de la chose en mouvement et entrée en contact, « il appartient à la victime de prouver le fait de la chose, en établissant soit le vice de celle-ci, soit l’anormalité de sa position, de son état ou de son comportement ». La preuve du vice ou de l’anormalité de la chose, y compris lorsque c’est un animal puisque le projet ne distingue plus entre la responsabilité générale et les responsabilités spéciales, est une condition nécessaire à l’établissement de son rôle actif dans la survenance du dommage.

La décision précise également la caractérisation de l’anormalité en elle-même. Dans un premier temps, la deuxième chambre civile sélectionne plusieurs éléments relevés par les juges du fond qui lui permettent d’affirmer qu’elle est bien présente. Ces divers éléments renvoient à plusieurs caractéristiques rattachées à différents points.

Elle retient d’abord des caractéristiques propres à l’animal en évoquant la taille des chiens. Elle relève ensuite des caractéristiques propres à leur comportement en rappelant le fait qu’ils aient soudainement couru vers la victime.

Elle poursuit par l’identification d’éléments propres à la victime de manière à s’assurer que celle-ci n’est pas à l’origine, même pour partie, de son dommage. Il est ici précisé que la victime est une cavalière confirmée et de très bon niveau, ce qui démontre que sa chute ne peut s’expliquer que par l’emballement du cheval sur lequel elle était, lequel est dû au comportement des chiens ou à celui du cheval de son ami, lui-même affolé par les chiens. 

Enfin, elle retient des éléments propres aux circonstances entourant la survenance du dommage en relevant que les chiens n’étaient pas tenus en laisse et qu’ils ont surgi d’un talus en surplomb non visible, ce qui a accentué l’effet de surprise et de peur au moins pour le premier cheval.

Dans un second temps, elle indique les éléments qui sont indifférents et qui ne permettent pas d’écarter la responsabilité des propriétaires. Sur ce point, elle précise que le fait que les chiens ne se soient pas approchés à moins de dix mètres des chevaux et qu’ils ne se soient pas non plus montrés agressifs ne suffit pas à exclure leur rôle actif.

Parce que le premier cheval a eu peur des chiens, un lien de causalité est établi et il se prolonge jusqu’à la chute de la cavalière victime provoquée soit par la peur du premier cheval imputée à l’arrivée des chiens soit par la peur de l’arrivée des chiens.

S’il n’est pas permis de douter du lien entre la présence des chiens et la chute de la victime, on peut toutefois s’interroger sur la véritable présence de l’anormalité du comportement des chiens. D’une part, parce que les juges du fond, en relevant tous ces éléments, disent, dans le même temps, qu’il n’est pas nécessaire de prouver l’anormalité, c’est donc qu’ils considèrent qu’ils ne permettent pas de l’établir. D’autre part, parce que, si les chiens ont bien contribué à la survenance de la chute, il n’est pas évident de considérer que leur comportement a été particulièrement anormal en ce que, justement, ils ne se sont ni approchés trop près ni montrés agressifs.