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Fake news : « une loi qui fera date au nombre des grandes lois de défense des libertés publiques »

Jeudi, l’Assemblée a débattu des propositions de loi sur les fausses informations, sans pouvoir finir l’étude du texte. Les débats, souvent âpres et confus, n’ont pas réussi a établir une définition convaincante de la fausse information. Le gouvernement devra trouver une date avant la suspension estivale pour étudier les 157 amendements restants.

par Pierre Januelle 11 juin 2018

Plateformes, référé et CSA

Les deux propositions de loi (un texte ordinaire et un texte organique qui l’applique à la présidentielle, v. Dalloz actualité, 13 mars 2018, obs. C. Fonteix isset(node/189564) ? node/189564 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189564) contiennent des dispositifs assez disparates.

D’une part, l’article premier introduit pour les plateformes en ligne (Facebook, Twitter) des obligations de transparence sur le ciblage de contenus d’information pendant les périodes électorales (trois mois avant le premier tour) des élections nationales. Les plateformes devront notamment indiquer qui a sponsorisé ces contenus d’informations et pour quels montants. L’Assemblée nationale a également adopté deux amendements du corapporteur Bruno Studer (LREM) imposant la transparence sur les critères de ciblage et prévoyant la compilation de ces données dans un registre public.

Le second dispositif, le plus décrié, prévoit la création d’une procédure de référé permettant, en période électorale, de demander de bloquer la diffusion d’un contenu en ligne par « toutes mesures proportionnées et nécessaires ». Ces actions pourront être portées devant la 23e chambre du tribunal de grande instance de Paris à la demande du ministère public, de tout candidat, de tout parti ou de toute personne ayant intérêt à agir. Le juge aura quarante-huit heures pour se prononcer. Hors des garanties de la loi de 1881, cet article vise la diffusion plus que la publication.

Enfin, si on omet les dispositifs sur l’éducation aux médias (souvent de niveau réglementaire), le texte prévoit l’extension des pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) mais également de son domaine de compétence. Le CSA pourra refuser le conventionnement de services de télévision non hertziens, suspendre pendant la période électorale la diffusion d’un service conventionné étranger, voire résilier unilatéralement la convention.

Mais, surtout, un amendement introduit en commission permet au CSA de mettre un pied sur internet, endroit où il rêve d’aller depuis plusieurs années. Le CSA aura une mission « de lutte contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte à la sincérité du scrutin » et un pouvoir de recommandation à l’égard des plateformes. Une extension loin d’être anodine, qui éloigne le CSA de l’audiovisuel, mais qui n’a pas beaucoup été débattue en commission. Car le débat aura surtout porté sur la notion même de fausse information et sur le référé.

Le procès des fausses informations et des vrais journalistes

Dans son discours introductif, la ministre de la culture n’a cessé de mettre en avant l’importance des journalistes et des professionnels. Et elle a martelé qu’« aucune de ses dispositions n’est susceptible de porter atteinte à la liberté d’expression ou à celle de la presse ». Cette insistance, un peu lourde, visait à répondre aux nombreuses inquiétudes qu’a suscitées ce texte chez les journalistes. Elle s’est même avancée en déclarant qu’« en aucun cas, les articles de presse professionnelle ne seraient concernés », quand rien dans le texte ne l’exclut.

Mais, après la mobilisation contre la loi Secret des affaires, la ministre ne souhaite pas ouvrir un nouveau front avec la profession. D’où son emphase et les hommages appuyés à l’hebdomadaire 1, à « Élise Lucet pour ses enquêtes » et même à « Alex Vizorek et Charline Vanhoenacker pour leurs chroniques acides » qui « sont le pouls de la liberté de la presse dans notre pays ». Glorifier ceux qui sont le plus susceptibles de vous attaquer, cela s’appelle déminer. Car, pour le ministère de la culture, l’ennemi se trouve d’abord sur internet. « Les plateformes vendent des likes et des followers à tous [et] suspendent nos démocraties à la loi du marché. Elles livrent les opinions publiques à des vendeurs de sensation. »

À fronts renversés, l’opposition veut faire la défense de la liberté d’expression mais surtout le procès des médias. Le député Insoumis Michel Larive cite plusieurs grands ratés des médias, allant jusqu’à ressortir les charniers de Timisoara (1989) et l’hôpital de Koweit City (1990). Son président Jean-Luc Mélenchon revient lui longuement sur son comité de déontologie (v. Dalloz actualité, 7 déc. 2017, Le droit en débats, par C. Bigot). Il s’en prend aussi aux pouvoirs du CSA sur les chaînes étrangères et se demande s’il lui revient de décider de notre géopolitique.

« Il est bien mort, votre Charlie ! »

Tout au long de la soirée, la violence envers le texte va aller crescendo. Car, après les quatre motions de procédure (dont trois de la France insoumise), l’heure et demie de discussion générale, il y a encore les inscrits sur article avant de pouvoir enfin entamer les amendements. Situé juste après la proposition de loi sur le portable à l’école (qui a duré plus de qutre heures et demie), le débat a commencé à 16h10. Le premier vote n’aura lieu qu’à 23h30.

Tout cela laisse du temps aux députés de monter dans les tours. Avec l’arrivée des députés Rassemblement national (parler de Front national serait une fake news), le climat va encore gagner en tension. Peu actifs à l’Assemblée, souvent absents sur des textes importants, les six députés RN viennent en bande, derrière leur cheffe, et rivalisent de saillies souvent de mauvais goût.

Le député RN Sébastien Chenu parle de la ministre comme « une sorte de speakerine de la bien-pensance ». Cette comparaison sexiste n’ayant pas fait mouche du premier coup, il la répétera plus tard dans les débats, pour obtenir une suspension de séance. « Oui, il est loin, Charlie. Il est bien mort, votre Charlie ! », ose-t-il. Marine Le Pen surenchérit : « Vous êtes des gens dangereux ! Oh oui, vous êtes des gens dangereux ! ».

L’ex-candidat à la présidentielle Jean Lassalle a « découvert que ce pays n’avait plus aucune liberté d’expression. Si vous n’êtes pas dans le cadre de la bien-pensance, vous êtes immédiatement rejeté et mis de côté ». Nicolas Dupont-Aignan applaudit, convoque Zola et accuse lui aussi : « en vérité, vous êtes un pouvoir élu sur une manipulation permanente d’une démocratie fausse ». Les gens vont sur internet car ils savent que « vos journalistes sont totalement achetés par neuf milliardaires ». « Dupont-Lajoie ! », s’exclame le corapporteur.

Face à ce défouloir gênant, la ministre s’exclame en réponse : « Nous sommes fiers de soutenir une loi qui fera date au nombre des grandes lois de défense des libertés publiques ». Bloc contre bloc, le texte n’étant alors plus qu’un prétexte pour des débats politiques.

Une nouvelle définition de la fausse information

L’étude des amendements permet au moins d’aborder le fond de la proposition de loi. Les nouvelles obligations imposées aux plateformes ont suscité peu de controverse. C’est surtout la nouvelle procédure de référé qui a suscité les critiques. En commission, les députés lui ont adossé une définition de la fausse information qui a suscité de nombreuses critiques (« Toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable constitue une fausse information. »).

La corapporteure Naïma Moutchou veut la modifier (« Toute allégation ou imputation d’un fait, inexacte ou trompeuse, constitue une fausse information. »), mais la ministre n’est pas convaincue. Pour le gouvernement, la définition déjà dégagée par la jurisprudence était suffisante. Françoise Nyssen souhaite également ajouter l’adverbe « manifestement », pour limiter le fait d’avoir une portée trop large au référé. Les députés Insoumis et PS notent la faiblesse de cette nouvelle définition et ses aspects tautologiques. Le Sénat devrait l’amender.

Mais la députée LR Brigitte Kuster interrompt ce débat juridique car elle a un rappel au règlement important. « J’aimerais savoir si la caméra qui se trouve en face de moi a un problème. Depuis l’ouverture des débats, il se trouve que cette caméra exclut systématiquement de l’image le banc où je me trouve. » Les députés LR ne sont que… trois. Dans le débat parlementaire, l’important ce n’est pas le texte. C’est l’image.