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Faut-il inscrire le concept de féminicide dans le droit pénal ?

Un rapport de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale s’est penché sur le concept de féminicide. Si la rapporteure Fiona Lazaar soutient la diffusion du terme, elle est hostile à l’inscription de ce concept dans le droit pénal, mais souhaite une reconnaissance symbolique par l’Assemblée, par le moyen d’une résolution.

par Pierre Januelle 20 février 2020

L’émergence du concept de féminicide

Au nom de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée, la députée Fiona Lazaar (LREM) a conduit une série d’auditions sur le féminicide. Forgé dans les années 1970, puis théorisé en 1992 par les sociologues Jill Radford et Diane Russell, le concept est aujourd’hui utilisé par différentes instances politiques internationales. Il a ainsi été reconnu en 2012 par l’Organisation mondiale de la santé, pour qui ces crimes « s’inscrivent dans des cadres de violences systémiques et dans une logique de domination masculine ».

Le terme a récemment connu une diffusion plus large en France, grâce au travail des associations féministes qui décomptent les féminicides. Pour la rapporteure, cet emploi « utile et pertinent […] permet de nommer un phénomène de société qui nécessite des réponses spécifiquement adaptées ». Car le crime de féminicide s’inscrit dans un continuum de violences sexistes et sexuelles à l’encontre des femmes.

Ces crimes, mal compris selon l’auteure, ont longtemps été invisibilisés. Elle note l’importance du moment de la séparation du couple dans la perpétration des féminicides et les défaillances de la société et des administrations : 42 % des victimes étaient allées voir les policiers ou les gendarmes avant leur mort. « De manière plus générale, c’est l’ensemble de la société qui doit prendre conscience de ses propres préjugés et manquements. »

Contre l’inscription du terme dans le droit pénal

Aujourd’hui, un crime ou un délit contre une personne est aggravé s’il est commis à raison de son sexe ou de son genre (C. pén., art. 132-77). Aller plus loin dans la reconnaissance du féminicide dans le code pénal poserait, selon la députée, plusieurs problèmes.

D’abord en raison de la polysémie du terme : « le féminicide peut être employé pour désigner le meurtre d’une femme, au même titre que le terme d’homicide désignerait celui d’un homme. » L’ONU Femmes admet-elle, deux définitions : « le meurtre d’une femme ou d’une fille du fait d’être une femme ou une fille, ou d’être perçue comme telle » et « le meurtre, intime ou non intime, d’une femme ou d’une fille, comme expression d’une domination masculine, patriarcale et d’une volonté d’emprise ». L’utilisation, par les médias, du féminicide pour désigner les meurtres de femmes par leur (ex)compagnon, constitue une autre définition du terme.

Autre risque : « celui d’entériner en droit la catégorisation des femmes comme victimes des hommes », ce qui pourrait contribuer à ancrer le sexisme dans notre ordre judiciaire. Autre difficulté majeure d’une infraction autonome de féminicide : l’atteinte au principe constitutionnel d’égalité devant la loi.

Enfin, le rapport soulève le manque d’opérationnalité du terme : « en retenant la définition d’un meurtre de femme en raison de son sexe, il ne serait en effet pas simple de prouver le caractère sexiste du crime, ce qui empêcherait tout simplement de qualifier l’infraction et donc d’en condamner l’auteur ».

Un projet de résolution

En conclusion, la délégation aux droits des femmes déposera un projet de résolution sur le sujet, qui marquerait une reconnaissance symbolique, si l’Assemblée l’adoptait. Dans son projet, la délégation « considère que le terme de féminicide désigne les meurtres de femmes en raison de leur sexe, en particulier lorsque ceux-ci sont commis par le partenaire intime ou ex-partenaire intime ». Par ailleurs, elle souhaite que l’emploi du terme « soit encouragé en France afin de reconnaître le caractère spécifique et systémique de ces crimes et ainsi de mieux nommer ces réalités intolérables pour mieux y mettre un terme ». Plus qu’une inscription juridique, la délégation souhaite un usage politique, médiatique et institutionnel, « aussi large que possible » du terme.