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La faute dolosive privative de la garantie d’assurance serait-elle sciemment en cage ?

La Cour de cassation reprend sa définition de la faute dolosive qui s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, qui ne se confond pas avec la conscience du risque d’occasionner le dommage. Elle censure encore les juges du fond qui, pour faire jouer l’exclusion légale, n’ont pas entrepris une telle recherche imposée par un contrôle strict.

L’article L. 113-1 du code des assurances est soumis au mouvement perpétuel pour fixer ce qu’est la faute inassurable émanant de l’assuré comme en témoigne le dernier quinquennat en cours. Dans ces colonnes la question a pu être posée : « Ultimes précisions sur la définition de la faute dolosive ? » (R. Bigot et A. Cayol, note ss. Civ. 2e, 6 juill. 2023, n° 21-24.833, Dalloz actualité, 20 sept. 2023; RDI 2023. 546, obs. D. Noguéro ). Sans surprise, sa « conception resserrée », davantage protectrice des intérêts des assurés victimes, envisagée par ces auteurs, se maintient.

La résurgence de l’autonomie affichée de la faute dolosive est connue depuis des affaires retentissantes de suicide de l’assuré (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-14.306 B, D. 2020. 1106 ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle ; RDI 2021. 262, étude A. Pélissier ; 20 mai 2020, n° 19-11.538 B, Dalloz actualité, 9 juin 2020, obs. R. Bigot; D. 2020. 1107 ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle ; RDI 2021. 262, étude A. Pélissier ; « la faute intentionnelle et la faute dolosive, au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances, sont autonomes, chacune justifiant l’exclusion de garantie dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire » ; D. Noguéro, L’exclusion légale de la faute dolosive en cas de suicide, Gaz. Pal. 27 oct. 2020, n° 389r9, p. 46). L’assureur supporte la charge de la preuve de l’exclusion légale (Civ. 2e, 6 févr. 2020, n° 18-17.868 B, Dalloz actualité, 25 févr. 2020, obs. R. Bigot ; D. 2020. 336 ; ibid. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre ; AJ contrat 2020. 289 ; Gaz. Pal. 16 juin 2020, n° 380d2, p. 60, note P. Giraudel).

Fermement depuis 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a clairement proclamé l’indépendance de la faute dolosive dans son interprétation de l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, tout en la définissant. En définitive, en 2023, la troisième chambre civile – qui connaît de l’assurance construction – s’est alignée (Civ. 3e, 30 mars 2023, n° 21-21.084 B, Dalloz actualité, 12 avr. 2023, obs. S. Porcher ; P. Brun, La troisième chambre civile de la Cour de cassation rejoint la position de la deuxième sur l’autonomie de la faute dolosive, RCA 2023. Étude 7 ; D. 2023. 1941 , note B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia ; ibid. 1142, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre ; ibid. 1293, note A. Pélissier ; Gaz. Pal. 11 juill. 2023, n° GPL451x3, p. 39, note D. Noguéro ; P. Dessuet, L’autonomie du dol par rapport à la faute intentionnelle. Quelles conséquences en matière de construction ?, RDI 2023. 388 ; D. 2023. 1941 , note B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia) sur l’autonomie défendue par la chambre spécialisée du droit des assurances et la définition donnée de cette faute, exclusion légale de garantie à côté de la faute intentionnelle. Par une étude commune des deux chambres réunies, ce mouvement a été récapitulé dans sa chronologie et le « point d’arrivée » salué (Cour de cassation, par L. Leroy-Gissinger, F. Besson, S. Ittah et J.-F. Zedda, Les exclusions de garantie en droit des assurances, étude des 2e et 3e chambres civiles, Recueil annuel des études, juill. 2023, p. 51, spéc. p. 74 s., et p. 83 pour la généralisation aux autres chambres). Les juges ne s’appesantissent pas sur les hoquets de la construction progressive. L’effet demeure identique de ce genre de faute : la privation de la garantie du contrat d’assurance lorsque l’exclusion légale – faute intentionnelle ou dolosive – a vocation à s’appliquer, avec un rayonnement erga omnes. Il en va ainsi sauf renonciation non équivoque de l’assureur (Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 19-10.371, AJDI 2020. 505 ; BJDA.fr 2020, n° 69, obs. B. Néraudau et P. Guillot) qui, en fait, demeure assez improbable.

Le genre de l’exclusion légale connaît une variété d’espèces depuis que la faute dolosive n’est plus assimilée à celle intentionnelle. La reconnaissance du dualisme des fautes accueilli avec faveur, l’analyse générale consiste à souligner que l’on s’est ainsi évadé de l’approche restrictive de l’exclusion légale qui consiste à retenir, sous l’appellation de la faute intentionnelle subjective, la recherche du dommage tel qu’il s’est réalisé. Dans cette conception, l’intention ne doit pas dévier du résultat obtenu. Le défaut de correspondance stricte conduit à la mise à l’écart brutale de l’exclusion. Partant, en ouvrant l’exclusion légale à l’autonomie avec une autre définition, l’idée serait de disposer d’une arme plus efficace à l’encontre d’assurés adoptant des comportements véritablement critiquables, au profit des assureurs plus aisément libérés de leur obligation de règlement du sinistre.

Pensons aux effets induits. Cela peut permettre aux assureurs d’avoir moins besoin de contourner la définition prétorienne étroite de l’exclusion légale en tentant de transiter par l’appréhension de situations parfois hautement problématiques par le biais de clauses d’exclusion de garantie (D. Noguéro, L’exclusion légale de la faute intentionnelle ou dolosive en droit des assurances, in Mélanges en l’honneur du professeur Suzanne Carval, IRJS, 2021, p. 647) au succès point forcément garantie, tant s’en faut (par ex., Civ. 2e, 20 janv. 2022, n° 20-13.245 B, D. 2022. 166 ; ibid. 1117, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre ; ibid. 1993, chron. F. Jollec, C. Bohnert, C. Dudit, J. Vigneras, S. Ittah et X. Pradel ; RDI 2022. 224, obs. D. Noguéro ; 20 janv. 2022, n° 20-10.529 B, D. 2022. 1993, chron. F. Jollec, C. Bohnert, C. Dudit, J. Vigneras, S. Ittah et X. Pradel ; v. Les exclusions de garantie en droit des assurances, préc., p. 78). Par parenthèse, signalons simplement que, dans son dispositif, la présente décision de cassation partielle approuve la juridiction du second degré d’avoir déclaré inapplicable une clause d’exclusion de garantie (non détaillée) dont l’assureur se prévalait, faute de respecter le caractère limité exigé à l’article L. 113-1, alinéa 1er, du code des assurances.

Dans cette optique, sur le terrain de l’exclusion légale dans sa version « faute dolosive », nul besoin, du côté de l’assuré, de vouloir rechercher un résultat précis (par ex., Civ. 3e, 30 mars 2023, n° 21-21.084, préc., « l’assurée avait commis une faute dolosive, laquelle n’impliquait pas la volonté de son auteur de créer le dommage »). La définition qui est actuellement arrêtée est la suivante : « La faute dolosive s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables » (Civ. 2e, 20 janv. 2022, n° 20-13.245, préc.). Elle est dite « stabilisée » par la Cour de cassation (Les exclusions de garantie en droit des assurances, préc., p. 82).

Par suite, les praticiens ne peuvent qu’être légitimement curieux des cas d’application de la faute dolosive. Existe-t-il un changement radical d’orientation quant à l’accueil concret de l’exclusion légale ? Si le suicide retenu pour la faute dolosive a pu provoquer des réactions diverses, jusqu’à l’hostilité, il semble que, depuis 2022, la Cour de cassation n’a pas installé des portes de saloon afin d’accueillir largement la faute dolosive. La présente décision commentée, publiée au Bulletin, en témoigne une fois encore. Après l’ouverture notionnelle, il semble que l’on glisse vers la fermure des espoirs révolutionnaires d’un regain d’application de l’exclusion légale au profit des assureurs.

L’ouverture apparente par la définition répétée de la faute dolosive

Une nouvelle affaire donne l’occasion à la deuxième chambre civile de se prononcer sur la faute dolosive. Il convient de rappeler les faits pour cerner le contexte dans lequel il y a eu invocation de l’exclusion. Il s’agit d’une assurance de responsabilité civile.

L’exploitante d’une ferme pédagogique, où elle exerce également en qualité de dompteuse de fauves, a obtenu la couverture de ses activités par la société Allianz IARD. Les dommages se sont produits en son absence. En effet, le 21 septembre 2013, une personne bénévole de l’exploitation, non formée aux soins requis par des animaux sauvages, a été grièvement blessée par un tigre. Par parenthèse, le lecteur appréciera l’effet rétroactif attaché à l’interprétation évolutive par la jurisprudence d’un texte de loi s’appliquant par hypothèse à des faits antérieurs à cette même interprétation. Même une personne végane invétérée doit savoir que ce mammifère, indécrottable carnivore, est susceptible de mordre et griffer. La personne attaquée par un tel prédateur demeure victime en subissant un dommage corporel. L’exploitante a été...

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