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La faute du fondateur ne peut être imputée à la société non encore constituée ni immatriculée

Il résulte de l’article 1382, devenu 1240, du code civil que la faute de la personne morale résulte de celle de ses organes. Selon l’article L. 210-6 du code de commerce, les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Méconnaît les dispositions de ces textes la cour d’appel qui retient qu’une société s’est rendue coupable d’actes de concurrence déloyale, par l’intermédiaire de son dirigeant, alors qu’à la date des faits litigieux, la société n’était ni constituée, ni immatriculée, de sorte que les agissements fautifs de celui qui n’en était pas encore le dirigeant, ne pouvaient engager sa responsabilité.

1.- Cet arrêt publié aborde une question délicate, qui, au lendemain de la loi du 24 juillet 1966, avait suscité les analyses divergentes des meilleurs spécialistes du droit des sociétés : celle de savoir si des obligations nées de faits délictuels ou quasi délictuels, accomplis par les fondateurs d’une société, peuvent donner lieu à reprise (pour une synthèse, v. Rép. sociétés, Constitution des sociétés – Immatriculation des sociétés, par J.-P. Sortais, n° 196).

Il n’est pas certain que la solution ici donnée par la Cour de cassation permette de trancher définitivement la controverse, même si se trouve ce faisant plutôt confortée l’opinion aujourd’hui majoritaire soutenant que la reprise de tels actes fautifs est impossible.

2.- Les faits à l’origine du contentieux sont relativement banals. Le salarié d’une société, en conflit plus ou moins ouvert avec le chef d’entreprise, transfère de sa messagerie professionnelle vers sa messagerie personnelle un certain nombre de documents internes à l’entreprise (notamment des fichiers de clients potentiels). Il est licencié dix jours après (26 sept. 2014), mais crée très rapidement une société ayant la même activité que celle de son ancien employeur (signature des statuts le 6 nov. 2014), cette société étant ensuite immatriculée.

Devant la cour d’appel, la société employeur obtint la condamnation de la société créée par le salarié licencié sur le terrain de la concurrence déloyale commise par la seconde au détriment de la première.

3.- S’ensuit une double censure.

4.- Il est d’abord reproché à la cour d’appel de ne pas avoir constaté « l’appropriation ou la détention » par la société condamnée des informations confidentielles relatives à l’activité de la société [employeur], obtenues par le salarié pendant l’exécution de son contrat de travail. Manière tout à la fois de reprocher aux juges du fond d’avoir supposé, sans en établir l’existence, cette appropriation ou cette détention, mais aussi d’objecter au pourvoi qui voulait faire dire à la Cour de cassation que, pour qu’il y ait eu concurrence déloyale, il aurait fallu prouver l’usage effectif, par la société, des données commerciales transférées. Or, il a déjà été jugé que le seul fait, pour une société créée par l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail constitue un acte de concurrence déloyale (Com. 7 déc. 2022, n° 21-19.860 F-B, D. 2022. 2220 ; rappr., Com. 29 sept. 2015, n° 13-27.587 F-P+B, D. 2015. 2005, obs. A. Lienhard ; ibid. 2205, chron. S. Tréard, T. Gauthier et F. Arbellot ; ibid. 2205, chron. S. Tréard, T. Gauthier et F. Arbellot ; Rev. sociétés 2016. 287, note E. Schlumberger ).

Ici, c’est, pour reprendre une formulation empruntée au droit pénal, l’élément matériel de la faute civile qui n’était pas caractérisé.

5.- Il est ensuite fait grief à l’arrêt d’avoir retenu la responsabilité de la société créée par le salarié, « alors que, à la date des faits litigieux, la [dite société] n’était ni constituée ni immatriculée » : les agissements fautifs du salarié, survenus à un moment où il n’était pas encore dirigeant de la société, ne pouvaient engager la responsabilité de cette dernière.

D’où une seconde cassation pour violation de la loi, énoncée au visa des articles 1382, devenu 1240 du code civil et L. 210-6 du code de commerce.

Ici, la Cour de cassation raisonne en termes d’imputabilité.

C’est à ce second volet de cassation que nous nous intéresserons plus spécialement. À titre principal, il s’agissait de savoir s’il était possible d’imputer à la personne morale ces actes de concurrence déloyale, mais en arrière-plan on doit se demander si, implicitement, la Cour de cassation ne prend pas position sur la possibilité de reprendre de tels actes dans le cadre du mécanisme de reprise des actes accomplis lorsque la société est en formation.

L’imputabilité à une société d’actes de concurrence déloyale commis par son fondateur

6.- Manifestement, la Cour de cassation entend centrer la discussion sur le terrain de l’imputabilité des faits fautifs. Et on peut alors poursuivre le parallèle avec la matière pénale. De fait, lorsque l’arrêt commenté énonce que, de l’article 1240 du code civil, il s’infère que « la faute de la personne morale résulte de celle de ses organes », on ne peut...

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