Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Favoritisme : objet et produit de l’infraction, une distinction nécessaire

La chambre criminelle juge que le délit de favoritisme est matériellement caractérisé par la seule violation de la norme légale ou réglementaire gouvernant la commande publique. Le marché proprement dit ne peut donc être considéré comme l’objet de cette infraction mais comme le produit de celle-ci, à la condition qu’il soit impérativement déduit du prix total du marché les charges et dépenses directement imputables à l’exécution de ce marché, à l’instar du coût des salaires et des fournitures.

Le présent arrêt mérite l’intérêt en ce qu’il nous conduit à revenir sur la notion d’« avantage injustifié », et donc sur l’objet du délit de favoritisme, lequel est distinct de celui du recel de ce même délit.

L’objet du délit de favoritisme

Si, prise dans son sens courant, cette notion d’« avantage injustifié » renvoie assurément à ce qui est profitable, utile (v. not. A. Roger, La notion d’avantage injustifié, JCP 1998. Doctr. 102, § 6), ce profit pouvant être matériel mais aussi moral (comp. CJF, art. L. 313-6), elle reste difficile à cerner.

La jurisprudence n’est d’ailleurs pas réellement fixée quant à l’interprétation de la notion d’« avantage injustifié ». La chambre criminelle a en effet reconnu, à plusieurs reprises, que l’avantage injustifié consiste en l’attribution du marché en violation des règles de la commande publique (Crim. 14 janv. 2004, n° 03-83.396 P, D. 2004. 470, et les obs. ; AJ pénal 2004. 113, obs. A. Pitoun ; RTD com. 2004. 623, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2004, comm. n° 50, note M. Véron ; 23 mai 2007, n° 06-87.898 ; 10 sept. 2008, n° 08-80.589, RTD com. 2009. 220, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2008, comm. n° 158, note M. Véron). Elle a aussi reconnu l’avantage injustifié caractérisé par la fourniture illégale d’informations au candidat que l’on souhaite favoriser (Crim. 28 janv. 2004, n° 02-86.597, AJDA 2004. 885 , note J.-D. Dreyfus ; RDI 2004. 297, obs. J.-D. Dreyfus ; RSC 2004. 633, obs. E. Fortis ; RTD com. 2004. 623, obs. B. Bouloc ) ou encore par la seule violation de la norme légale ou réglementaire gouvernant la commande publique (v. not. Crim. 10 sept. 2008, n° 08-80.589, préc. ; 22 janv. 2014, n° 13-80.759). La notion d’avantage injustifié peut donc être, selon les cas, plus ou moins large.

Très logiquement, une question prioritaire de constitutionnalité a été posée à la Cour de cassation en raison de l’absence de définition légale de cette notion. Plus particulièrement, il était reproché par cette absence une méconnaissance notamment aux principes de légalité criminelle et d’interprétation stricte. Sans surprise toutefois, la chambre criminelle a, dans un arrêt rendu le 19 mai 2021, écarté la question faute de caractère sérieux. Reprenant une précédente solution formulée à l’occasion d’une autre question prioritaire de constitutionnalité contestant cette fois-là la définition du délit de favoritisme par renvoi (Crim., QPC, 13 mai 2020, n° 20-90.001, JCP 2020. 696, veille J.-M. Brigant), elle juge que le texte en cause « définit les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager la responsabilité pénale de son auteur » (Crim. 19 mai 2021, n° 21-90.006, § 5, JCP 2021. 572, zoom J.-M. Brigant). Mais les juges répressifs vont plus loin et précisent que « cet avantage injustifié s’induit nécessairement de la violation de la norme légale ou réglementaire gouvernant la commande publique » (§ 5).

La chambre criminelle confirme, dans la présente décision, cette solution. Même si la conséquence d’une telle solution confinait à l’évidence, les juges répressifs dénient explicitement la possibilité que l’attribution du marché puisse être l’avantage injustifié. Selon eux en effet, « l’attribution du marché public ne constitu[e] pas un élément constitutif du délit d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics qui est établi par la seule violation de la norme légale ou réglementaire gouvernant la commande publique […] » (§ 14).

Cette solution ne peut, sur son principe, qu’être saluée. Ériger l’attribution du marché public en élément matériel du délit reviendrait en effet à limiter la portée du délit aux seuls attributaires du marché. Or il faut rappeler que l’article 432-14 du code pénal réprime le fait pour certaines personnes dépositaires de l’autorité publique ou qui sont investies d’un mandat électif public, de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession. En visant ainsi « autrui », le délit de favoritisme peut également être caractérisé à l’égard du bénéficiaire d’une information sur le marché auquel il candidatait sans pour autant l’obtenir.

Elle n’en demeure pas moins également contestable. Il ne faut pas oublier que le délit, à titre matériel, exige non pas une condition mais deux : le fait de procurer à autrui un avantage injustifié et la violation de dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :