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La féminisation en débats au Palais-Royal et quai Conti

Le premier ministre pouvait légalement, par circulaire, prohiber l’écriture dite inclusive dans les textes publiés au Journal officiel.

par Marie-Christine de Monteclerle 6 mars 2019

Le 28 février 2019 restera une date importante dans les débats sur la féminisation de la langue française. Ce même jeudi, le Conseil d’État a rejeté les recours contre la circulaire du premier ministre du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel, tandis que l’Académie française faisait considérablement évoluer sa position sur la question.

La circulaire du 21 novembre 2017 invitait les administrations à employer le féminin pour désigner la fonction d’une femme et à veiller à ce que les actes de recrutement ne marquent pas de préférence de genre. En revanche, le premier ministre estimait que, dans les textes réglementaires, il convenait d’employer le masculin comme genre neutre et s’opposait à l’écriture dite inclusive (v. AJDA 2017. 2283, obs. M.-C. de Montecler ). C’est ce refus qui a provoqué le recours d’une association et d’une personne physique devant le Conseil d’État.

Le Conseil d’État juge qu’en « prescrivant d’utiliser le masculin comme forme neutre pour les termes susceptibles, au sein des textes réglementaires, de s’appliquer aussi bien aux femmes qu’aux hommes et de ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive, la circulaire attaquée s’est bornée à donner instruction aux administrations de respecter, dans la rédaction des actes administratifs, les règles grammaticales et syntaxiques en vigueur ». « Eu égard à sa portée, elle ne saurait en tout état de cause être regardée comme ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes » et ne méconnaît donc pas les nombreux textes européens et nationaux sur le sujet qu’invoquaient les requérantes. « Elle n’est pas davantage de nature, eu égard à sa portée, à porter préjudice aux personnes que les requérantes qualifient “de genre non binaire” ou, en tout état de cause, à porter atteinte au droit au respect de leur vie privée […]. Elle n’est par ailleurs entachée ni de contradiction ni d’erreur manifeste d’appréciation. »

La position du premier ministre sur la féminisation apparaît tout à fait en phase avec celle de l’Académie française qui a mis, le même jour, fin à des décennies d’hostilité à ce mouvement en adoptant à une large majorité un rapport sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions. S’agissant des métiers et professions, elle y estime « qu’il n’existe aucun obstacle de principe à la féminisation ». S’agissant des fonctions publiques, elle considère que « la langue doit transcrire fidèlement l’exercice par les femmes des fonctions et des charges auxquelles pendant longtemps elles n’ont pas eu accès ». Toutefois, « l’identification entre ce qu’est le titulaire d’une fonction et ce qu’il fait n’est jamais entière, dans la mesure où la personne en charge d’un mandat représente autre chose qu’elle-même ». Le rapport recommande donc « déterminer avec souplesse et pragmatisme ce que permettent la grammaire et l’usage ».

L’Académie prend en compte également les conséquences juridiques de la féminisation. Pour l’appellation, « les femmes peuvent légitimement souhaiter infléchir l’usage dans le sens de la féminisation ». En revanche, la dénomination des fonctions, des grades et des titres dans les textes juridiques « reste, elle, fortement contrainte par l’exigence de cohérence des normes et de respect des principes qui fondent nos institutions ». L’Académie ne verrait aucun obstacle à voir à l’Élysée une présidente de la République. Mais elle ne voit non plus aucune raison de ne pas déférer au souhait des femmes qui expriment leur préférence à être désignées dans leur fonction au masculin.