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Feuille de route européenne commune : vers un déconfinement coordonné entre États membres ?

Alors que le déconfinement débute dans plusieurs États membres, la Commission et le Conseil européens ont publié une communication conjointe le 14 avril, destinée à fournir une feuille de route commune aux États membres, un outil pour que se développe, cette fois-ci, une approche coordonnée.

par Charlotte Collinle 5 mai 2020

Critiquées pour leur incapacité à faire émerger une gestion coordonnée entre États membres de la crise du coronavirus, les institutions européennes semblent vouloir éviter que ce manque de coordination s’étende également à la phase de déconfinement. La France (v. Dalloz actualité, 29 avr. 2020, obs. P. Januel) n’est en effet pas la seule à avoir annoncé de telles mesures : l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne l’ont également fait ces derniers jours. Dans ce contexte, la Commission et le Conseil européens ont publié une communication conjointe le 14 avril 2020, destinée à fournir une feuille de route commune aux États membres, un outil pour que se développe, cette fois-ci, une approche coordonnée.

Un outil pour une approche coordonnée du déconfinement

Dès les premières pages, on peut lire que « la présente communication, présentée par la présidente de la Commission européenne et par le président du Conseil européen, répond à l’appel lancé par les membres du Conseil européen en faveur d’une stratégie de sortie de crise coordonnée avec les États membres et préparant la voie à un vaste plan de relance et à des investissements sans précédent ». La cosignature de cette feuille de route par la Commission et le Conseil européens n’est pas dénuée de portée symbolique : l’heure est à la coordination – tout du moins du discours – entre les institutions européennes. Cette volonté de faire montre d’une approche institutionnelle collective semble directement faire écho aux nombreux appels à développer la coordination entre institutions et États membres, au risque de voir l’Union succomber aux divisions apparues dans la gestion de la crise pandémique (v. Libre cours : Pour que l’Europe confinée ne rime pas avec l’Europe confisquée, par F. Chaltiel, Dalloz actualité, 21 avr. 2020 et Libre cours : Que restera-t-il de l’Europe après la crise du coronavirus ?, par S. Poillot Peruzzetto, 6 avr. 2020).

Au-delà de cet affichage, la feuille de route se destine à formuler « des recommandations à l’attention des États membres, dans le but de préserver la santé publique tout en levant progressivement les mesures visant à contenir la propagation du virus, afin de permettre la relance de l’économie et la reprise de la vie en collectivité. Il ne s’agit nullement d’envoyer un signal indiquant que les mesures visant à contenir la propagation du virus peuvent être levées du jour au lendemain, mais de fournir un éclairage sur les mesures prises par les États membres ainsi qu’un cadre garantissant une coordination à l’échelle de l’Union européenne et transfrontière, tout en reconnaissant la spécificité de chaque État membre. La situation épidémiologique, l’organisation territoriale, les modalités en matière de services de soins de santé, la répartition des populations et les dynamiques économiques propres à chaque État membre sont autant de facteurs susceptibles d’influer sur les décisions de ces derniers quant au lieu et au moment où les mesures seront levées et quant à la manière dont elles le seront. Il conviendra également de tenir compte de la situation des pays du voisinage de l’Union européenne ».

Cette feuille de route n’a cependant pas de portée obligatoire puisque les États demeurent compétents en matière sanitaire. L’Union européenne est quant à elle dotée de compétences de coordination et d’appui. En effet, d’une part, l’article 6 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit que l’Union est compétente pour mener des actions d’appui, de coordination ou de complément à l’action des États membres dans divers domaines, dont « la protection et l’amélioration de la santé humaine ». L’article 168 du TFUE indique, d’autre part, que la santé est une compétence communautaire d’appui qui permet à l’Union européenne d’« encourage[r] la coopération » et de « complète[r] les politiques nationales ».

Des critères de phasage du déconfinement

La feuille de route ne se limite cependant pas à la formulation d’un vœu de coordination. Elle fournit également une liste de critères sur lesquels l’ensemble des États membres devrait se fonder afin de décider des phases de déconfinement :

• des critères épidémiologiques montrant que la propagation de la maladie a considérablement diminué et s’est stabilisée sur une période prolongée (comme une réduction durable du nombre de nouvelles infections, hospitalisations et admissions aux soins intensifs) ;

• des systèmes de santé disposant de capacités suffisantes, avec comme indicateurs, par exemple, le taux d’occupation des unités de soins intensifs, un nombre adéquat de lits d’hôpital, l’accès aux produits pharmaceutiques nécessaires dans les unités de soins intensifs, la reconstitution des stocks d’équipements, l’accès – des groupes vulnérables en particulier – aux soins, la disponibilité de structures de soins primaires ainsi que d’un personnel suffisant disposant des compétences appropriées pour s’occuper des patients sortis des hôpitaux ou restés chez eux et pour prendre part à des mesures visant à lever le confinement (des mesures de dépistage, par exemple) ;

• des capacités de suivi adéquates, notamment des capacités de dépistage à grande échelle permettant de détecter et de surveiller la propagation du virus, combinées au traçage des contacts et à des possibilités d’isolement des personnes en cas de réapparition et de nouvelle propagation des infections.

Des principes d’action communs pour un assouplissement coordonné des mesures de confinement

La feuille de route liste en outre trois principes fondamentaux pour guider l’action des États membres durant la phase de déconfinement :

• les mesures prises devraient être fondées sur les connaissances scientifiques et axées sur la santé publique : la décision de lever les mesures restrictives est une décision stratégique pluridimensionnelle qui implique de mettre en balance les effets positifs en matière de santé publique, d’une part, et les autres répercussions sociales et économiques, d’autre part. Cependant, la protection de la santé publique à court et à long terme devrait rester l’objectif premier des décisions prises par les États membres ;

• les mesures devraient être coordonnées entre les États membres : un manque de coordination dans la levée des mesures restrictives pourrait avoir des effets négatifs pour tous les États membres et créer des tensions politiques. Même si une approche unique, adaptée à tous, n’existe pas, les États membres devraient au minimum, avant d’annoncer la levée des mesures, s’en informer mutuellement et en informer la Commission en temps utile par l’intermédiaire du Comité de sécurité sanitaire et tenir compte des points de vue exprimés. La communication et les discussions devraient avoir lieu dans le contexte du dispositif intégré pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise ;

• le respect et la solidarité entre les États membres doivent rester essentiels.

Des recommandations à l’intention des États membres sur les mesures de confinement

La Commission et le Conseil formulent, enfin, des recommandations plus précises relatives aux mesures de déconfinement. Ils suggèrent notamment d’adopter :

• une démarche progressive, car les mesures seront levées par étapes et un délai suffisant devrait s’écouler entre les étapes (un mois, par exemple). En particulier, les frontières intérieures et extérieures doivent être ouvertes progressivement, par étape. Les contrôles aux frontières intérieures doivent être levés de manière coordonnée et la réouverture des frontières extérieures ne devrait arriver que dans un second temps ;

• des mesures générales puis ciblées. Cela permettrait aux sociétés de revenir peu à peu à la normalité, tout en continuant à protéger la population de l’Union contre le virus. Par exemple, les groupes les plus vulnérables devraient être protégés pendant plus longtemps, les personnes diagnostiquées ou présentant des symptômes bénins devraient rester en quarantaine et être prises en charge de manière adéquate, les états d’urgence généralisés avec octroi de pouvoirs spéciaux aux autorités nationales devraient être remplacés par des interventions plus ciblées des pouvoirs publics, la levée des mesures devrait commencer par celles dont l’impact est local et être progressivement étendue aux mesures ayant une couverture géographique plus large, tout en tenant compte des spécificités nationales ;

• une reprise progressive de l’activité économique et fondée sur le télétravail ;

• une autorisation progressive des rassemblements de personnes. Par ailleurs, pour déterminer l’ordre d’enchaînement des étapes le plus approprié, les États membres devraient prêter attention aux spécificités des différentes catégories d’activités, telles que les écoles et les universités (par des mesures spécifiques, telles que des pauses déjeuner à des heures différentes, le renforcement du nettoyage, des salles de classe plus petites, un recours accru à l’apprentissage en ligne, etc.) ; l’activité commerciale (vente au détail), avec une gradation possible (par exemple, nombre maximal de personnes autorisées, etc.) ; les activités sociales (restaurants, cafés, etc.), avec une gradation possible (heures d’ouverture restreintes, nombre maximal de personnes autorisées, etc.) ; les rassemblements de masse (festivals, concerts, etc.) ;

• une réintroduction progressive des services de transport adaptée à la suppression progressive des restrictions en matière de déplacements et à la reprise peu à peu de certains types d’activités tout en tenant compte du niveau de risque dans les zones concernées. Le transport individualisé, présentant un risque moindre (voitures particulières, par exemple), devrait être autorisé dès que possible, tandis que les moyens de transport collectifs devraient être progressivement rétablis en appliquant les mesures sanitaires nécessaires (par exemple, réduction de la densité de passagers dans les véhicules, augmentation de la fréquence des services, distribution d’équipements de protection individuels au personnel de transport et/ou aux passagers, utilisation de barrières de protection, mise à disposition de gel assainissant/désinfectant sur les plateformes de transport et dans les véhicules, etc.) ;

• la poursuite des efforts visant à empêcher la propagation du virus par des campagnes de sensibilisation et l’application continue des règles de distanciation sociale ;

• un suivi constant pour permettre, si nécessaire, le rétablissement de mesures de confinement plus strictes, en cas de hausse excessive des taux d’infection, y compris d’évolution de la propagation au niveau mondial.

Les mesures annoncées mardi par le premier ministre semblent s’inscrire dans la lignée des recommandations de l’Union européenne. Il reste toutefois à déterminer si les États membres parviendront à développer une approche coordonnée du déconfinement, qui sera à n’en point douter centrale à son succès.