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Fichier des empreintes génétiques : nullité des poursuites

Dans ce jugement, le tribunal correctionnel de Grenoble considère que le fait d’imposer un prélèvement destiné à l’inscription dans le FNAEG est constitutif d’une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée.

par Dorothée Goetzle 30 novembre 2017

Le 22 juin 2017, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour les juges de Strasbourg, la condamnation du requérant pour avoir refusé de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’enregistrement de son profil dans le FNAEG s’analysait en une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée. (CEDH 22 juin 2017, n° 8806/12, Aycaguer c/ France, AJDA 2017. 1311 ; ibid. 1768, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2017. 1363, et les obs. ; V. Gautron, FNAEG : l’inertie gouvernementale sanctionnée par la CEDH, AJ pénal 2017. 391 ). La CEDH avait donc condamné la France au motif que les modalités de conservation des profils ADN dans le FNAEG « n’offrent pas, en raison tant de sa durée que de l’absence de possibilité d’effacement, une protection suffisante […] ». Tout en reconnaissait la légitimité et l’intérêt de ce type de fichiers (v. Rép. pén., v° Fichiers de police, par V. Gautron, nos 131-140), la CEDH avait, par cet arrêt, réaffirmé sa position traditionnelle, à savoir que de tels dispositifs ne sauraient être mis en œuvre « dans une logique excessive de maximalisation des informations qui y sont placées et de la durée de leur conservation ». Pour la Cour européenne, « sans le respect d’une nécessaire proportionnalité au regard des objectifs légitimes qui leur sont attribués, les avantages [que ces fichiers] apportent seraient obérés par les atteintes graves qu’ils causeraient aux droits et libertés que les États doivent assurer en vertu de la Convention aux personnes placées sous leur juridiction ».

Dans le jugement rapporté, et d’abord révélé par le Dauphiné Libéré, le tribunal de grande instance de Grenoble tire toutes les conséquences de cette récente condamnation européenne.

En l’espèce, un individu avait été condamné le 7 novembre 2016 à la suite de sa participation à une manifestation contre la loi Travail à une peine de 105 heures de travail d’intérêt général pour participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens. Il était ensuite poursuivi pour avoir refusé, le 30 mai 2017, de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’identification de son empreinte génétique. Il faut rappeler que l’article 706-55 du code de procédure pénale délimite le champ d’application des infractions concernées par une inscription au FNAEG. L’infraction pour laquelle le prévenu avait été condamné fait bien partie de ces infractions. Or l’article 706-56 du code de procédure pénale érige en infraction le fait de refuser de se soumettre au prélèvement et puni ce comportement d’un an d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende (Circ. du 9 juill. 2008 ; C. Girault, Identification et identité génétiques, AJ pénal 2010. 224 ). Les peines prononcées se cumulent, sans possibilité de confusion, avec celles que la personne subissait ou celles prononcées pour l’infraction ayant fait l’objet de la procédure à l’occasion de laquelle les prélèvements devaient être effectués (Crim. 13 juin 2007, n° 06-88.144, Bull. crim. n° 158 ; D. 2007. 2105 ; AJ pénal 2007. 434, obs. C. Saas ). Le prévenu reconnaissant les faits, sa condamnation semblait donc devoir s’imposer. Sauf que son conseil a déposé in limine litis des conclusions de nullité des poursuites visant la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. 

Inspirée de l’arrêt rendu par la CEDH, l’argumentation revient à considérer que le fait d’imposer un prélèvement destiné à l’inscription dans le FNAEG est constitutif d’une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée. Tout comme l’a souligné la Cour quelques mois plus tôt, le prévenu martèle qu’une nécessaire proportionnalité doit exister entre les objectifs légitimes de ce fichier et les atteintes graves causées aux droits et libertés que les États doivent assurer. Or il constate qu’en l’espèce, l’infraction poursuivie ne fait pas partie des infractions les plus graves prévues par l’article 706-55 du code de procédure pénale, ce qui est d’ailleurs confirmé par la peine prononcée de 105 heures de travail d’intérêt général. Il en conclut que les poursuites engagées à son encontre sur le fondement de l’article 706-56 du code de procédure pénale constituent une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et qu’elles sont, de facto, nulles.

Le tribunal fait droit à l’exception de nullité et prononce la nullité des poursuites.

Cette relaxe était prévisible. En effet, selon l’article R. 53-14 du code de procédure pénale, la durée de conservation des profils ADN de condamnés est fixée à quarante ans, sans aucune différenciation selon la nature et la gravité de l’infraction commise, « et ce nonobstant l’importante disparité des situations susceptibles de se présenter dans le champ d’application de l’article 706-55 du code de procédure pénale ». Or les faits de l’espèce, qui sont relatifs à des agissements qui s’inscrivaient dans un contexte politique, à savoir les manifestations contre la loi travail, sont similaires de ceux à l’origine de la récente condamnation européenne. En effet, dans l’arrêt rendu par la Cour EDH, le requérant avait donné des coups de parapluie à des gendarmes lors d’une manifestation organisée par un syndicat agricole. Dans l’un et l’autre cas, les faits sont incontestablement d’un degré de gravité largement inférieur à certaines infractions visées par l’article 706-55, notamment les infractions sexuelles, le terrorisme ou encore les crimes contre l’humanité ou la traite des êtres humains. Cet aspect est important, car pour justifier la condamnation de la France, les juges de Strasbourg avaient relevé que, faute d’aménagement de la durée de conservation selon la gravité des infractions, la durée de quarante ans « est en pratique assimilable, sinon à une conservation indéfinie, du moins à une norme plutôt qu’à un maximum ».

Inévitable et prévisible sur le plan de la logique juridique, cette relaxe vient toutefois nettement atténuer l’efficacité du FNAEG. Après avoir déjà été invité par le Conseil constitutionnel (J. Danet, Le FNAEG au Conseil constitutionnel : deux réserves, une confortation générale, AJ pénal 2010. 545 ; Cons. const. 16 sept. 2010, n° 2010-25 QPC, D. 2012. 308, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ pénal 2010. 545 , étude J. Danet ) à revoir sa copie, ce sont donc maintenant les juges de Strasbourg qui enjoignent au législateur de modifier le fonctionnement du FNAEG. 

 

La rédaction remercie Me Arnaud Lévy-Soussan qui a transmis la décision.