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Fichier des empreintes génétiques : le TGI de Paris relaxe une prévenue pour un refus de prélèvement ADN

Dans un jugement du 27 décembre 2017, la dixième chambre du tribunal correctionnel de Paris a relaxé une personne prévenue du chef du refus du prélèvement de son ADN, en se fondant sur un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, rendu le 22 juin 2017, qui sanctionnait une atteinte disproportionnée à la vie privée du justiciable, « au regard du régime actuel de conservation des données ».

par Julien Mucchiellile 9 mars 2018

C’est à l’aune de la nature des faits reprochés que le tribunal a apprécié ce refus. La prévenue, Mme M…, 27 ans, s’est introduite, dans la nuit du 10 au 11 septembre 2016 et en compagnie de quatre autres personnes, dans un immeuble désaffecté du XIXe arrondissement de Paris, appartenant à une société immobilière de logements sociaux. Mais une récalcitrante du déménagement, dernière habitante de la bâtisse croulante, les a entendues. Plus précisément, elle a noté, depuis son quatrième étage, des bruits de perceuse et de marteaux. Elle appelle la police qui, sur place, constate que la porte anti-effraction est légèrement entrebâillée, puis, en progressant dans l’immeuble, découvre finalement les cinq personnes venues squatter le lieu et les interpelle. Revenant sur place le lendemain, les fonctionnaires de police constatent les traces d’effractions, une serrure cassée, un trou dans une porte, et quelques autres dégradations légères.

Mme M… est la seule du groupe à refuser de se soumettre aux prélèvements, alors que, selon l’accusation, il existait des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elle ait commis l’une des infractions visées à l’article 706-55 du code de procédure pénale.

À l’audience, le conseil de Mme M…, Me Raphaël Kempf, a plaidé la relaxe de ce chef en se fondant sur l’arrêt de la CEDH du 22 juin 2017 relatif au régime de conservation des données enregistrées au fichier national automatisé des empreintes génétiques qui avait constaté à l’unanimité la violation par la France de l’article 8 de la Convention européenne sur le droit au respect de la vie privée (CEDH 22 juin 2017, n° 8806/12, Dalloz actualité, 27 juin 2017, obs. M.-C. de Montecler isset(node/185635) ? node/185635 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>185635).

La dixième chambre correctionnelle écrit dans son jugement : « Certes la Cour européenne, dans l’arrêt ci-dessous évoqué, s’est prononcée dans une affaire où une personne condamnée était convoquée aux fins de prélèvements biologiques sur sa personne et non, comme en l’espèce, dans une affaire où une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction avait refusé de se soumettre aux prélèvements en cause ». « Pour autant, poursuit le jugement, il importe, à l’instar de la Cour européenne, d’effectuer, d’une part, un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte au droit au respect à la vie privée et le but poursuivi. D’autre part, ce contrôle doit tenir compte des éléments concrets de l’espèce. Or Mme M…, jamais condamnée et même jamais interpellée puisque par ailleurs ses empreintes digitales n’avaient jamais été relevées, était poursuivie pour des dégradations commises sur cinq portes, dans un immeuble en voie de réhabilitation, occupé par des squatteurs. » C’est ainsi que le tribunal constate la disproportion de l’atteinte à la vie privée de la prévenue « au regard du régime actuel de conservation des données » et prononce sa relaxe de ce chef.

Contrairement à l’affaire jugée par le tribunal correctionnel de Grenoble (v. Dalloz actualité, 30 nov. 2017, obs. D. Goetz isset(node/187933) ? node/187933 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187933), le refus de prélèvement intervient au stade de la garde à vue, et non postérieurement à la condamnation de la personne mise en cause. En outre, Mme M… sera finalement relaxée de l’ensemble des poursuites (à Grenoble, seule la « nullité des poursuites » a été constatée).

Finalement, un seul des cinq prévenus est condamné, par ce jugement du 27 décembre 2017, à une amende de 200 €, pour des faits de dégradation ou détérioration volontaire du bien d’autrui causant un dommage léger. Cette décision n’a pas été frappée d’appel.