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Fichier des traces d’antécédents judiciaires : compétence des juridictions judiciaires

Les juridictions judiciaires sont compétentes pour connaître des recours en matière d’effacement du fichier de traitement des antécédents judiciaires.

par Dorothée Goetzle 17 octobre 2018

Le 23 mai 2018, la cour administrative d’appel de Lyon, à la suite d’une ordonnance d’incompétence du juge des libertés et de la détention, renvoyait au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence à propos de l’effacement du fichier de traitement des antécédents judiciaires (fichier TAJ) et de sa fonctionnalité biométrique. En l’espèce, un individu avait été mis en cause dans une procédure criminelle. Placé sous le statut de témoin assisté, il avait bénéficié d’un non-lieu. Dans ce contexte, il demandait sa désinscription, dite « effacement », de divers fichiers dans lesquels il pensait figurer. À la suite du refus du parquet, il saisissait le juge des libertés et de la détention qui faisait pour partie droit à sa demande. En effet, ce magistrat lui accordait l’effacement du fichier des empreintes génétiques, dit FNAEG, et du fichier des empreintes digitales, dit FAED. En revanche, il se déclarait incompétent pour le fichier TAJ, et sa fonctionnalité biométrique, dite CANONGE (M. Léna, Les attentes liées à l’entrée en vigueur du Traitement des antécédents judiciaires, AJ pénal 2013. 635 ; V. Gautron, Usages et mésusages des fichiers de police : la sécurité contre la sûreté ?, AJ pénal 2010. 266 ). L’intéressé saisissait ensuite le tribunal administratif qui déclinait également sa compétence. In fine, la cour administrative d’appel renvoyait la question de compétence au Tribunal des conflits.

La question posée à cette juridiction était donc de savoir quelle est la juridiction compétente pour connaître de ce recours en effacement du fichier de traitement des antécédents judiciaires.

La réponse à cette question est loin d’être évidente. En effet, s’il est clair que le fichier TAJ répond à une finalité judiciaire qui est, conformément à l’article 230-6 du code de procédure pénale, « de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs », il poursuit également une finalité administrative autorisant sa consultation dans le cadre d’enquêtes administratives (A. Oudoul, Les fichiers de police français au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, entre ingérence justifiée et ingérence disproportionnée, Lexbase Hebdo, éd. privée, n° 711, 2017 ; T. Fourrey, Quand la Cour européenne vient nous rappeler comment doit fonctionner un fichier de police, JCP 2014. 1919).

Pour le Tribunal des conflits, le recours en effacement « relève de la compétence de la juridiction judiciaire ». Cette décision est rendue au visa de l’article 230-8 du code de procédure pénale. Selon ce texte créé par la loi du 3 juin 2016 et modifié par la loi du 20 juin 2018, « les décisions du procureur de la République en matière d’effacement ou de rectification des données personnelles sont susceptibles de recours devant le président de la chambre de l’instruction ». Or les faits de l’espèce sont antérieurs à l’introduction de ce texte dans le code de procédure pénale. C’est pourquoi le Tribunal des conflits prend le soin d’ajouter que cette disposition est « applicable à la cause, dès lors que les lois de compétence des juridictions, notamment en matière pénale, sont d’application immédiate, tant que, comme en l’espèce, un jugement au fond n’a pas été rendu en première instance ».

Conforme aux principes gouvernant les règles de résolution des conflits de lois dans le temps, cette solution doit également être approuvée pour deux raisons. Premièrement, elle tire toutes les conséquences de la décision d’inconstitutionnalité du 27 octobre 2017 relative au premier alinéa de l’article 230-8 du code de procédure pénale. En effet, dans cette décision, le Conseil constitutionnel a considéré qu’en privant les personnes mises en cause dans une procédure pénale, autres que celles ayant fait l’objet d’une décision d’acquittement, de relaxe, de non-lieu ou de classement sans suite, de toute possibilité d’obtenir l’effacement de leurs données personnelles inscrites dans le fichier des antécédents judiciaires, l’alinéa 1 de ce texte portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée (Cons. const. 27 oct. 2017, n° 2017-670 QPC, JO 29 oct. ; Dalloz actualité, 30 oct. 2017, obs. P. Januel ; D. 2017. 2153 ; ibid. 2018. 1344, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ pénal 2017. 546, obs. A. Oudoul ; 10 mars 2011, n° 2011-625 DC, AJDA 2011. 532 ; ibid. 1097 , note D. Ginocchi ; D. 2011. 1162, chron. P. Bonfils ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJCT 2011. 182 , étude J.-D. Dreyfus ; Constitutions 2011. 223, obs. A. Darsonville ; ibid. 581, chron. V. Tchen ; RSC 2011. 728, chron. C. Lazerges ; ibid. 789, étude M.-A. Granger ; ibid. 2012. 227, obs. B. de Lamy ). Deuxièmement, elle tire toutes les conséquences des récentes précisions apportées par la jurisprudence européenne en matière d’enregistrement de données personnelles dans le fichier national des empreintes génétiques (CEDH 22 juin 2017, n° 8806/12, Aycaguer c. France, AJDA 2017. 1311 ; ibid. 1768, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2017. 1363, et les obs. ; AJ pénal 2017. 391, note V. Gautron ).