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La fille au bracelet

Le dernier film de Stéphane Demoustier est la chronique sobre et haletante d’un procès d’assises, au cours duquel une jeune fille est accusée d’avoir assassiné sa meilleure amie. Le rituel de l’audience, le déroulement des débats, ainsi que les incidences de l’instance, sont analysés avec une méticulosité remarquable, servie par un beau jeu d’acteurs.

par Thibault de Ravel d'Esclaponle 17 février 2020

La fille au bracelet intrigue, bien sûr, quand on la voit répondre, debout, face à ses accusateurs, tous dressés dans le cadre de cette cour d’assises reconstituée sous la caméra du réalisateur Stéphane Demoustier. Qu’a-t-elle fait ? Qui est-elle véritablement ? Une forme de folie se niche-t-elle sous ce masque, sinon de froideur, au moins particulièrement sombre ? Ou, au contraire, est-elle l’innocence bafouée, la potentielle victime d’une erreur judiciaire à venir ? Son avocate rejoue la partition du procès de Pauline Dubuisson qu’a restitué Philippe Jaenada, dans La petite femelle, il y a quelques années. Avec son affaire, il s’agirait de verser dans un réquisitoire implacable contre la libération des mœurs de ces adolescents que l’on ne connaît finalement pas si bien. Ici, c’est un bracelet électronique que porte la jeune Lise, à peine âgée de 18 ans, lorsqu’elle passe devant la cour d’assises, accusée du meurtre sauvage de sa meilleure amie, lardée de sept coups de couteau. Au fil des débats, on parvient à comprendre ce qui s’est passé, sans pour autant percer la vérité. Deux jeunes adolescentes, liées par cet attachement fort de leur âge, et que l’on peine parfois à pleinement saisir à vingt ans de distance, se disputent à propos d’une vidéo publiée sur les réseaux sociaux. La querelle intervient avec fracas ; puis les deux amies se réconcilient. Pour autant, le lendemain, l’une d’entre elle est retrouvée morte à son domicile, tandis que Lise avait passé la nuit chez elle après une soirée arrosée. Elle est accusée, placée en détention provisoire, puis finalement libérée avec un bracelet électronique en attendant qu’elle comparaisse devant la cour d’assises.

Stéphane Demoustier propose un vrai film de prétoire, dans la tradition des courtroom drama. Hormis les quelques minutes d’ouverture, où la jeune fille est arrêtée, l’ensemble du film est consacré au procès d’assises. Témoignages, débats, projections de pièces sous cote, réquisitoire et plaidoirie : la fille au bracelet est habilement rythmée par les habituelles scansions judiciaires. La mise en scène est efficace, bien appliquée, et se singularise par une réelle sobriété. Et précisément, cette sobriété est importante. La réalisation s’efface astucieusement au profit de la personnalité des protagonistes, rappelant combien la cour d’assises est une affaire de personnes, un complexe inextricable de passions et de sentiments humains. À cette fin, les acteurs font preuve d’un jeu admirable, restituant le sentiment qui les caractérise. La fragilité de Roschdy Zem et de Chiara Mastroiani est prégnante tout le long du film. L’application un peu appuyée de l’avocate générale, qui donne l’impression de débuter dans ses fonctions, se ressent très bien. Elle fait preuve d’une impressionnante rigueur, parfois impitoyable. Le personnage de Lise reste, au moins pour un moment, insondable. « Que vous inspire ces images ? », l’interroge le président. Long silence, puis un « je sais pas », difficile à comprendre. D’ailleurs, il faut noter la prestation de l’avocat Pascal-Pierre Garbarini, un spécialiste de droit pénal de renom, qui s’illustre dans ce rôle de composition qu’est celui de président de la cour d’assises. Sa placidité, mais également son exigence lorsque cela est nécessaire, figure l’image d’un président que l’on aime volontiers à imaginer. Stéphane Demoustier maîtrise les codes du rituel judiciaire qu’il marie judicieusement avec les canons cinématographiques et l’on ne peut que se réjouir de sa décision de se rendre sur les terres de ce genre passionnant. Lui-même révèle, au gré des interviews, avoir assisté à de nombreux procès.

Le parti pris par le scénario est intéressant parce qu’il se focalise sur la famille de la jeune fille accusée, même si la détresse de la mère de la victime n’est pas ignorée. Le père de Lise la soutient et s’accroche ; sa mère aussi, à sa façon. En visionnant le film de Demoustier, l’on ne peut s’empêcher de se poser cette question, à laquelle il est bien difficile de répondre. Comment vit l’entourage proche de celui qui est accusé et dont la vérité factuelle du crime n’est pas solidement établie ? Comment vivre avec ce doute qui ne doit probablement jamais quitter certains des membres de la famille ? La vérité judiciaire peut, à certains égards, y répondre. Mais elle ne fait pas tout, bien loin de là. Les relations familiales évoluent alors dans une autre forme de huis-clos que restitue à merveille le réalisateur. Et surtout, le film est également une œuvre sur l’adolescence, cette période compliquée où beaucoup se joue et où, parfois, beaucoup se perd.

L’un des autres aspects marquants du film de Stéphane Demoustier est l’image qu’il renvoie de la cour d’assises. Celle-ci n’est pas nécessairement le théâtre d’un affrontement épique, de joutes continuelles et de querelles oratoires où l’effet de manche règne en roi. Cela peut. Mais pas tout le temps. Des audiences sont marquées par une réelle retenue et par un calme qui donne tout autant l’impression que la justice s’y rend. Comme le dit justement l’avocate de la défense, « la cour d’assises est la plus noble et la plus exigeante des juridictions ». Stéphane Demoustier le lui rend bien.

Thibault de Ravel d’Esclapon

La fille au bracelet, réal. Stéphane Demoustier, sortie le 12 févr. 2020