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Fiscalité des œuvres d’art : une société n’est pas un auteur
Fiscalité des œuvres d’art : une société n’est pas un auteur
La cour administrative d’appel de Paris précise qu’en droit fiscal, l’auteur d’un tableau est l’artiste ayant peint l’œuvre de sa main. Ainsi, une galerie ayant acquis des tableaux d’une société ne peut arguer les avoir achetés à leur auteur pour bénéficier d’un régime fiscal favorable.
par Ophélie Wang, Docteure en droitle 23 juin 2022

Une galerie d’art française a acheté des tableaux peints par un artiste britannique. Pour la vente des tableaux, cet artiste a eu recours à l’intermédiaire d’une société britannique à risques limités portant son nom et ayant pour objet des activités de création artistique.
Les faits datant de 2014, il s’agissait alors d’une transaction intracommunautaire. La vente des tableaux était donc soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au sein de l’Union européenne régie par la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.
Lors de la revente des œuvres, la galerie a choisi d’opter pour l’application de la TVA sur la marge – un régime qui permet d’adopter des modalités particulières de calcul de la TVA et qu’il n’est possible d’utiliser que lorsque les biens revendus ont été acquis auprès de particuliers qui ne sont pas assujettis à cette taxe.
Après une vérification de comptabilité par l’administration fiscale, la galerie s’est vu réclamer des rappels de TVA sur les transactions liées à ces tableaux. En effet, pour l’administration, elle n’était pas fondée à utiliser le calcul de la taxation sur la marge puisqu’elle avait acheté les tableaux auprès d’une société, la société portant le nom de l’artiste-peintre. Cette société devait être considérée comme un professionnel et donc un assujetti-revendeur au regard de la TVA.
La galerie a alors contesté ces rappels de TVA devant le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté sa demande par un jugement du 25 novembre 2020 (n° 1812825/1).
Devant la cour administrative d’appel de Paris, la galerie demandait à nouveau la décharge des rappels de TVA réclamés par l’administration. Selon elle en effet, l’application du régime de la marge était tout à fait adéquate en l’espèce, puisque que la société britannique auprès de laquelle les tableaux avaient été acquis aurait dû être considérée comme l’artiste ayant réalisé lesdits tableaux et, en tant que tel, n’aurait pu être assimilée à un assujetti-revendeur.
Galeries d’art et TVA
Pour comprendre l’enjeu de cette décision, un détour par la fiscalité des œuvres d’art, en particulier vis-à-vis de la TVA, peut être utile.
Les œuvres d’art ne bénéficient pas, sauf cas d’exceptions (vente par l’auteur ou importation), d’un taux de TVA réduit. Les transactions portant sur des œuvres sont donc taxées au taux normal de 20 %.
En revanche, une modalité particulière de calcul de la TVA due, le régime de la marge, peut être utilisée par les galeries, antiquaires ou marchands d’art. En effet, la TVA qui est normalement versée à l’État par un professionnel correspond au montant de la TVA collectée lors de la vente d’un bien, dont est déduite la TVA payée par le professionnel sur le prix de revient du bien. Or, les galeries, antiquaires ou marchands d’art achètent souvent des biens à des particuliers (non-redevables de la TVA) ou à des artistes (bénéficiaires de la franchise de TVA prévue à l’article 293 B du CGI). N’ayant pas payé de TVA lors de l’achat, ils ne peuvent donc rien déduire à la TVA collectée lors de la revente.
Pour compenser cette situation défavorable, ces professionnels peuvent choisir d’opter pour le régime de la marge. Ce régime leur permet de calculer la TVA reversée à l’État sur le bénéfice réalisé avec la revente et non pas sur le chiffre d’affaires – le calcul sur « la marge » (le bénéfice) s’avérant forcément avantageux puisque bénéfice est, par définition, inférieur au chiffre d’affaires perçu.
Pour les transactions sur des œuvres d’art, le régime de la marge peut être appliqué notamment aux reventes subséquentes aux « livraisons d’œuvres d’art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit » (art. 278-0 bis du CGI auquel renvoie l’art. 297 B du même code sur le régime de la marge).
Pour déterminer si la galerie était fondée à appliquer le régime de la marge, la cour administrative d’appel devait déterminer si les tableaux avaient été livrés en premier lieu par « leur auteur ou ses ayants droit ». Or, en l’occurrence les œuvres avaient été vendues à la galerie par la société britannique au nom de l’artiste. La cour devait donc décider si une personne morale, société de création artistique, pouvait, au regard du droit fiscal, être considérée comme l’auteur d’une œuvre d’art.
Qu’est-ce qu’un auteur ?
Pour définir ce qu’est un auteur, la cour administrative d’appel s’appuie sur la directive 2006/112/CE. L’article 316 de cette directive affirme que le régime de la marge s’applique aux « objets d’art livrés par l’auteur ou par ses ayants droit ». Or, le point 1 de la partie A de l’annexe IX de ce même texte définit par ailleurs ce que sont, pour l’application de la TVA, les objets d’art. Les tableaux ne peuvent faire partie de cette catégorie que s’ils ont été « entièrement exécutés à la main par l’artiste ».
Combinant ces dispositions, la cour déduit que l’auteur d’un objet d’art (pour l’art. 316 de la directive) est l’artiste (au sens de l’annexe IX). Autrement dit, l’auteur d’un tableau est la personne qui a peint la toile à la main (dans le même sens, v. TA Paris, 28 déc. 1995, n° 95PA2704, Dr. fisc. 1996. 412).
Par suite, l’auteur d’une œuvre d’art ne saurait être une personne morale (point 6 de la décision). En l’occurrence, la société britannique ne peut être reconnue comme l’auteur des tableaux livrés, et ce quand bien même elle aurait pour objet des activités de création artistiques et serait, comme l’avance la requérante, reconnue comme artiste par le droit britannique.
En outre, la cour observe que la société britannique doit bien être considérée un assujetti-revendeur puisqu’elle a affecté les tableaux en cause à son activité de revente d’œuvres réalisées par l’un de ses associés.
Ainsi, la galerie ne pouvait pas appliquer le régime de la marge dans les circonstances de l’espèce et sa requête est rejetée.
Auteur fiscal et droit d’auteur
On peut observer, dans cette décision, des conclusions compatibles avec la notion d’auteur qui découle du droit d’auteur puisque, dans cette dernière matière, un auteur est (sauf pour le cas spécifique des œuvres collectives) une personne physique. On y retrouve également l’importance de la réalisation manuelle de l’auteur qui, en droit d’auteur, joue un grand rôle dans l’appréciation de l’originalité de l’œuvre.
L’auteur du droit fiscal doit-il forcément s’aligner sur celui de la propriété littéraire et artistique ? Il est vrai que les textes fiscaux ne se contentent pas de faire référence à l’auteur mais y ajoutent le terme d’« ayants droit » qui constitue une référence claire au droit d’auteur. Cependant, si la proximité des notions et du vocabulaire utilisé pour les désigner est frappante, il faut bien distinguer les deux auteurs. L’objectif des règles applicables à la TVA est de favoriser la vente des productions artistiques, et non pas d’offrir une protection aux auteurs. La catégorie visée par ces règles fiscales est bien plus restreinte que celle concernée par le droit d’auteur car celles-ci se concentrent sur le domaine strictement artistique ou culturel. Ainsi, les textes nationaux sur la TVA utilisent la catégorie d’« œuvres d’art » tandis que la directive mentionne les « objets d’art », notions qui s’éloignent l’une et l’autre du terme, bien plus large, d’« œuvres de l’esprit » en vigueur en droit d’auteur.
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