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Florence Aubenas, L’Inconnu de la poste

Dans cet ouvrage qui compte parmi les modèles du genre judiciaire, Florence Aubenas propose, au terme d’un parcours qui mène des lieux du crime aux ramifications impressionnantes du dossier d’instruction, une passionnante enquête autour d’un meurtre sordide.

par Thibault de Ravel d’Esclaponle 30 avril 2021

Le dernier livre de Florence Aubenas n’est pas simplement une enquête haletante sur un crime odieux, ni même la passionnante analyse d’une procédure judiciaire qui n’a jamais trouvé de fin. Il tient du projet de vie. Il tient d’un journalisme de terrain, de l’investigation vécue au plus proche, comme Florence Aubenas, qu’il n’est plus besoin de présenter, sait le faire si bien. La journaliste est partie pour le cœur du Haut-Bugey, à Montréal-la-Cluse, et s’est décidée à enquêter sur l’assassinat sordide d’une jeune femme dans le bureau de poste dans lequel elle travaillait, tôt le matin, semble-t-il, à l’heure des amies, quand elles venaient parfois rapidement prendre un café. Les recherches de la journalise sont l’occasion d’une rencontre avec Gérald Thomassin, dont elle entend parler par une directrice de casting, et que l’on accuse du meurtre de Catherine Burgod. L’homme est connu. Thomassin a été révélé par Jacques Doillon, dans Le Petit Criminel, en 1990, un rôle pour lequel il a obtenu le César du meilleur espoir masculin. Le jeune homme continue de tourner ; on le revoit en 2008 dans Le Premier Venu, toujours de Jacques Doillon. Mais sa carrière évolue au gré de ses tourments avec l’alcool et la drogue. Ainsi que la journaliste l’écrit avec justesse, « les rôles qu’il a refusés en racontent autant que ceux qu’il a acceptés » (p. 120). En retraçant une partie de son parcours cinématographique, on croise, par exemple, le regretté Bertrand Tavernier qui lui propose un rôle dans L’Appât. Puis Thomassin finit par vivre comme un marginal, parfois comme un SDF, s’installant à Montréal-la-Cluse, où, le moins que l’on puisse constater, c’est qu’il ne passe pas inaperçu. Catherine Burgod est assassinée. « À travers la vallée, de poste en poste dans les villages, à Izernore, à Nurieux, à Maillat, les trilles des portables se suivent et se répondent » (p. 53). La nouvelle fait l’effet d’une traînée de poudre. Un temps, l’on s’intéresse au « futur ex ». La possibilité n’est guère longtemps envisagée. L’ancien acteur est accusé et séjourne en prison. Puis, des éléments nouveaux paraissent accuser quelqu’un d’autre. À la fin de l’été 2019, Thomassin est convoqué par le juge d’instruction. Il s’y rend mais n’y parvient jamais. Il disparaît, comme cela. Plus rien. Florence Aubenas attendait de ses nouvelles. « À la nuit tombée, son téléphone a cessé d’émettre. » Thomassin n’a jamais reparu.

Voilà les quelques éléments du synopsis de cet ouvrage excellent qui compte parmi les meilleurs du genre. Le livre-enquête est effectivement devenu, à la faveur des dernières années, un genre, et c’est heureux. Celui-ci compte parmi ses meilleurs représentants. Thomassin a disparu, peut-être dans des conditions tragiques. Il fallait reprendre l’enquête. Il était nécessaire de tenter d’élucider ce drame qui a détruit la vie de la famille Burgod. Florence Aubenas s’y attelle. Elle le fait avec toutes ses qualités de journaliste de terrain, se rendant directement sur place, vivant littéralement la petite ville de Montréal-la-Cluse. Avec une distance qui n’effleure jamais le dédain, avec une passion qui n’enlève jamais rien à la rigueur et à l’observation, Florence Aubenas reprend le dossier, s’immerge dans les méandres de l’instruction et parvient à restituer, avec un sens remarquable de la formule, l’atmosphère de cette petite ville qui fut le théâtre de ce crime atroce. Ce qui frappe, chez Florence Aubenas, c’est sa connaissance impressionnante de l’affaire. La journaliste semble maîtriser par cœur le dossier d’instruction, ainsi qu’en témoigne la restitution qu’elle bâtit et décrit, avec une plume délicate et élégante, des quelques jours qui précèdent et suivent l’assassinat de Catherine Burgod. Elle s’est probablement servie des témoignages, puisant dans la masse d’informations informes issues des cotes et autres pièces de procédure entourées de cette gangue administrative qui nuit souvent à la clarté du propos. Florence Aubenas en tire un bel objet littéraire, qui demeure pourtant en contact avec la réalité terrible de ce dossier. De surcroît, L’Inconnu de la poste dresse, avec beaucoup de soin, le portrait des protagonistes, tout autant que celui de la ville. Florence Aubenas restitue brillamment une atmosphère et des caractères. Elle décrit la vie si injustement fauchée de Catherine Burgod, tout autant que la vie d’errance menée par Thomassin.

En tentant d’élucider le mystère de ce qui s’est passé dans ce petit bureau de poste, Florence Aubenas réussit admirablement la relation d’une affaire judiciaire qui n’a pas dévoilé tous ses secrets, tant s’en faut. Florence Aubenas prouve combien la littérature de justice et le récit d’instruction continuent de livrer de belles pépites.

 

Florence Aubenas, L’Inconnu de la poste, Éditions de l’Olivier, 2021.