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Focus sur le contrôle de l’activité des OPJ et APJ par la chambre de l’instruction

L’arrêt rapporté apporte d’utiles précisions sur la mission de contrôle de l’activité des fonctionnaires de police attribuée à la chambre de l’instruction.

par Dorothée Goetzle 24 septembre 2018

Juridiction de l’instruction du second degré, la chambre de l’instruction jouit d’une vaste compétence matérielle. Parmi ses nombreuses attributions en matière d’instruction préparatoire, cette juridiction est notamment compétente pour contrôler la régularité de tous les actes de l’information judiciaire (C. pr. pén., art. 170 s.) ou pour décider de la réouverture d’une information judiciaire précédemment clôturée par un arrêt de non-lieu lorsqu’apparaissent des charges nouvelles (C. pr. pén., art. 196). Toutefois, en sus de ces attributions relatives au déroulement de l’instruction, la chambre de l’instruction exerce aussi un contrôle sur l’activité des officiers et agents de police judiciaire (OPJ et APJ), agents de police judiciaire adjoints, ainsi que sur celle des fonctionnaires et agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire, auxquels elle peut interdire l’exercice de leurs fonctions (C. pr. pén., art. 224 s.). Ce pouvoir disciplinaire présente la particularité d’être confié à une autorité extérieure à la hiérarchie des agents qui le subissent. Ainsi, la chambre de l’instruction peut infliger à l’officier ou à l’agent de police judiciaire, sans préjudice des sanctions disciplinaires, administratives et des condamnations pénales, une « sanction disciplinaire » allant de la simple observation à une interdiction temporaire ou définitive d’exercer ses fonctions d’officier ou d’agent de police judiciaire, dans le ressort de la cour d’appel ou sur l’ensemble du territoire (C. pr. pén., art. 227 s.).

En l’espèce, la chambre de l’instruction a été saisie par le procureur général d’une procédure disciplinaire à l’encontre d’un brigadier-chef de police, agent de police judiciaire. Par arrêt avant dire droit, elle a pris le soin d’ordonner qu’il soit procédé à une enquête dont l’objectif était de recueillir toute pièce utile à la connaissance des faits et du fonctionnaire de police concerné. Cet arrêt avant dire droit n’a rien de surprenant. En effet, il résulte des articles 224 et 226 du code de procédure pénale que, lorsqu’elle exerce un contrôle sur l’activité des fonctionnaires civils et des militaires de la gendarmerie, officiers et agents de police judiciaire, pris en cette qualité, la chambre de l’instruction, une fois saisie, est dans l’obligation de faire procéder à une enquête. Essentielle aux droits de la défense, cette enquête doit précéder l’audience sans pouvoir se confondre avec elle. En l’espèce, à l’issue de cette enquête la chambre de l’instruction a prononcé à l’encontre du brigadier-chef une interdiction définitive d’exercer, sur l’ensemble du territoire national, les fonctions d’agent de police judiciaire. Ainsi, les juges du fond ont tenu compte des enseignements jurisprudentiels passés puisque la Cour de cassation a déjà censuré l’arrêt d’une chambre de l’instruction qui avait prononcé à l’égard d’un officier de police judiciaire une interdiction d’exercer ses fonctions dans le ressort d’une cour d’appel, sans avoir fait procéder préalablement à l’enquête prescrite par l’article 226 du code de procédure pénale (Crim. 7 juin 2011). Pourtant, et contre toute attente, l’agent de police judiciaire entend démontrer, dans le premier moyen de son pourvoi, que la chambre de l’instruction n’a pas respecté les dispositions prévues par l’article 226 du code de procédure pénale. Inséré dans la section du code consacrée au contrôle de l’activité des officiers et agents de police judiciaire, ce texte apporte les précisions procédurales suivantes : « la chambre de l’instruction, une fois saisie, fait procéder à une enquête ; elle entend le procureur général et l’officier ou agent de police judiciaire en cause. Ce dernier doit avoir été préalablement mis à même de prendre connaissance de son dossier de police judiciaire tenu au parquet général de la cour d’appel. Il peut se faire assister par un avocat ». La Cour de cassation considère qu’en l’espèce, toutes les garanties procédurales prévues par ce texte ont été respectées. En effet, postérieurement à l’enquête, la chambre de l’instruction avait pris le soin d’entendre à l’audience, lors des débats sur le fond, le représentant du ministère public et le requérant. La Cour de cassation en déduit que le moyen ne peut être admis. Les hauts magistrats apportent la précision suivante : « si, avant de statuer sur une procédure disciplinaire contre un officier ou un agent de police judiciaire, la chambre de l’instruction doit entendre le procureur général ainsi que l’officier ou l’agent de police judiciaire en cause, ce texte n’exige pas que leur audition soit effectuée lors de l’enquête mais permet qu’elle intervienne à l’audience ».

Dans le second moyen, le requérant reproche à la chambre de l’instruction d’avoir prononcé à son encontre une interdiction définitive et sur tout le territoire, de ses fonctions d’agent de police judiciaire. Pour justifier ce choix, la chambre de l’instruction s’était évidemment appuyée sur les faits à l’origine de la procédure disciplinaire. Elle avait ainsi rappelé que lors d’un contrôle dans un bar à Marseille, l’intéressé avait fouillé le contenu d’une sacoche posée sur une table et dont le propriétaire n’était pas identifié. Le dispositif de vidéosurveillance du bar avait permis d’établir qu’il avait fouillé cette sacoche à plusieurs reprises et qu’il s’était notamment emparé d’un couteau placé à l’intérieur. Le propriétaire de la sacoche, qui était ensuite identifié, affirmait que, lorsque son bien lui avait été restitué, il manquait 200 ou 300 €. Poursuivi, devant le tribunal correctionnel, l’agent de police judiciaire était condamné pour avoir volé du numéraire et un couteau. Il était ensuite relaxé en appel, les seconds juges ayant en effet éprouvé un doute sur la caractérisation de l’infraction. Dans ce contexte, la chambre de l’instruction pouvait-elle prononcer une interdiction définitive d’exercer les fonctions d’agent de police judiciaire ? Pour répondre à cette question par l’affirmative, la Cour de cassation revient sur le raisonnement de la chambre de l’instruction.  En effet, cette juridiction insistait, dans son analyse, sur le fait que lors de la fouille de la sacoche, l’agent de police judiciaire s’était en outre emparé d’un document qu’elle contenait avant de le détruire. L’agent avait expliqué son attitude en déclarant qu’il s’agissait d’une feuille de papier, sur laquelle figuraient des prénoms et des chiffres. Il en avait déduit qu’il s’agissait de sommes d’argent dues en raison de ventes de stupéfiants. Il avait alors pris la décision de détruire ce document pour gêner l’activité du vendeur de drogue. Il n’avait pas averti sa hiérarchie car, selon lui, « ce document ne pourrait donner lieu à l’ouverture d’une enquête, étant inexploitable ». Or il n’appartenait pas au brigadier-chef d’apprécier si les investigations pouvaient être vaines ou utiles. Cette attitude est en effet perçue par la chambre de l’instruction comme une preuve de « sa totale inaptitude à intégrer le sens, à exercer des fonctions de police judiciaire et à mettre en œuvre les prérogatives qui y sont attachées, tant à l’égard des usagers que des autorités judiciaires ». Ce raisonnement emprunté par la chambre de l’instruction est judicieux, en ce qu’il permet de sanctionner l’agent de police judiciaire pour des faits de destruction d’une pièce à conviction pouvant apporter la preuve d’une infraction, distincts de ceux ayant fait l’objet, en appel, de la relaxe pour vol.

En conséquence, pour la Cour de cassation, la chambre de l’instruction a justifié la mesure d’interdiction d’exercice prononcée en s’appuyant sur des « motifs relevant de son appréciation souveraine ».