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Le fonds de solidarité pour les très petites entreprises désormais opérationnel

Parmi les dispositifs d’aide aux entreprises touchées par la crise liée au Covid-19 mis en place par les pouvoirs publics figure le fonds de solidarité pour les très petites entreprises, dont le cadre législatif et réglementaire est désormais fixé.

par Xavier Delpechle 1 avril 2020

I. Cadre législatif

À côté du mécanisme de garantie de l’État des prêts consentis par des établissements de crédit à hauteur de 300 milliards d’euros (L. n° 2020-289, 23 mars 2020, JO 24 mars, art. 6), la loi du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020 a prévu le financement d’un « Plan d’urgence face à la crise sanitaire », à hauteur de 6,25 milliards d’euros, destiné à prendre en charge, d’une part, le dispositif exceptionnel de chômage partiel qui a été décidé pour éviter les licenciements (5,5 milliards d’euros) et, d’autre part, à abonder un fonds de solidarité pour les très petites entreprises, qui doit être co-financé par certaines collectivités locales (750 millions d’euros) (art. 2).

Cette loi ne concerne que le volet financement du fonds. C’est une ordonnance, prise sur habilitation de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, qui en précise le régime. Très précisément, l’habilitation porte sur la mise en place d’un mécanisme « [d]’aide directe ou indirecte à ces personnes dont la viabilité est mise en cause, notamment par la mise en place de mesures de soutien à la trésorerie de ces personnes ainsi que d’un fonds dont le financement sera partagé avec les régions, les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution, la Nouvelle-Calédonie et toute autre collectivité territoriale ou établissement public volontaire » (L. n° 2020-290 du 23 mars 2020 art. 11, I, 1°, a). La publication de cette ordonnance n’a guère tardé. Il s’agit de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation (JO 26 mars).

Ce fonds se veut temporaire, sa durée de vie étant peu ou prou calquée sur celle de l’« état d’urgence sanitaire » institué par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (JO 24 mars). L’article 1er de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit, en effet, la création du fonds, pour une durée de trois mois prolongeable par décret pour une durée d’au plus trois mois. Ce même article 1er décrit l’objet du fonds : « le versement d’aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation ».

L’article 2 de l’ordonnance fournit des précisions sur le financement de fonds : il est financé par l’État et, sur la base du volontariat, ainsi que par les régions, les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis-et-Futuna et la Polynésie française), la Nouvelle-Calédonie et toute autre collectivité territoriale (département, par exemple) ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. On est donc dans une logique de cofinancement, mais qui revêt a priori un caractère exclusivement public (néanmoins Bercy est venu préciser que les grandes entreprises pourront contribuer au financement du fonds et que les compagnies d’assurance ont d’ores et déjà annoncé une contribution de 200 millions d’euros). Les collectivités locales ont en réalité vocation uniquement à accorder une « aide complémentaire » à des entreprises se trouvant dans une situation financière particulièrement critique (v. infra).

Ce même article 2 précise que montant et les modalités de cette contribution sont définis dans le cadre d’une convention conclue entre l’État et chaque collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale volontaire. Cela étant, en l’absence de telles conventions, le fonds peut d’ores et déjà fonctionner, mais uniquement sur la base d’un financement d’État.

L’article 3 renvoie à un décret le soin de fixer les conditions d’éligibilité et d’attribution des aides, leur montant et les conditions de gestion du fonds. S’agissant de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, le même article prévoit que l’État peut conclure avec ces dernières, si elles contribuent volontairement à ce fonds, une convention définissant les conditions dans lesquelles elles distribuent des aides aux entreprises situées sur leur territoire.

Le décret annoncé a été rapidement publié. Il s’agit du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation (JO 31 mars). Il décrit le fonctionnement de ce fonds de solidarité.

 

II. Entreprises éligibles

Le décret du 30 mars 2020 énumère tout d’abord les entreprises éligibles aux aides du fonds de solidarité (lequel est géré par le directeur général des finances publiques ; art. 5). Il pose deux séries de critères. Les premiers tiennent, pour l’essentiel, à la taille de l’entreprise, les seconds se rattachent au contexte actuel de crise.

A. Les critères liés à la taille de l’entreprise

Les aides du fonds bénéficient, selon l’article 1er, du décret aux « personnes physiques et personnes morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique » remplissant les conditions cumulatives suivantes :

  • 1° elles ont débuté leur activité avant le 1er février 2020, cette date s’expliquant par la volonté des pouvoirs publics de prévenir tout « effet d’aubaine » consistant à créer son entreprise dans le seul but de bénéficier une aide publique ;
     
  • 2° elles n’ont pas déposé de déclaration de cessation de paiement au 1er mars 2020, ce qui signifie a contrario qu’une entreprise sous le coup d’une procédure préventive (conciliation ou mandat ad hoc) ou de sauvegarde est éligibles aux aides du fonds ;
  • 3° leur effectif est inférieur ou égal à dix salariés ;
     
  • 4° le montant de leur chiffre d’affaires (ou de leurs recettes, pour les entreprises du secteur libéral) constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à un million d’euros, étant précisé que pour les entreprises récentes, celles n’ayant pas encore clos d’exercice, le chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83 333 euros ;
     
  • 5° leur bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant, au titre de l’activité exercée, n’excède pas 60 000 euros au titre du dernier exercice clos (des règles de calcul spécifiques pour les entreprises n’ayant pas encore clos un exercice) ;
     
  • 6° les personnes physiques ou, pour les personnes morales, leur dirigeant majoritaire ne sont pas titulaires, au 1er mars 2020, d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse et n’ont pas bénéficié, au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, d’indemnités journalières de sécurité sociale d’un montant supérieur à 800 euros (lorsque le dirigeant est salarié, il est en principe éligible au dispositif de chômage partiel mis en place en parallèle par les pouvoirs public) ;
     
  • 7° Elles ne sont pas contrôlées par une société commerciale au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce ;
     
  • 8° Lorsqu’elles contrôlent une ou plusieurs sociétés commerciales au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, la somme des salariés, des chiffres d’affaires et des bénéfices des entités liées respectent les seuils fixés aux 3°, 4° et 5° de ce décret ;
     
  • 9° Elles n’étaient pas, au 31 décembre 2019, en difficulté au sens de l’article 2-18 du règlement (UE) n° 651/2014 du 17 juin 2014 sur les aides d’État.

B. Les critères liés au contexte de crise

Ces mêmes entreprises doivent, en outre, avoir été sévèrement impactées par la crise liée au Covid-2019. L’article 2 du décret ajoute, à cet égard, deux conditions supplémentaires, alternatives cette fois, liées à ce contexte très particulier.

Les entreprises :

  • 1° doivent avoir fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 (précisons que c’est un arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, plusieurs fois modifié, qui liste les catégories d’établissements non habilités à accueillir du public jusqu’au 15 avril 2020 : centres commerciaux, musées, etc.) ;
     
  • 2° ou elles ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 70 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 par rapport à la même période de l’année précédente (pour les entreprises créées après le 1er mars 2019 ou pour les entreprises dont le dirigeant a bénéficié d’un congé pour maladie, accident du travail ou maternité, des règles de calcul spécifiques sont prévues).

On ne peut être qu’étonné de la référence à ce seuil de 70 % dans le décret, dans la mesure où le gouvernement, sur le site internet du ministère de l’Économie, évoque une perte d’au moins 50 % de chiffre d’affaires au mois de mars 2020 par rapport au mois de mars 2019, soit une solution nettement plus favorable pour les entreprises. S’agit-il d’une erreur de plume qui sera prochainement corrigée par voie de décret rectificatif ? Il est permis de le penser, compte tenu de la clarification apportée par Bruno Le Maire lors de son point de presse de ce 31 mars.

 

III. Régime de l’aide

A. Nature

Les aides financières versées par le fonds de solidarité prennent la forme de subventions attribuées par décision du ministre de l’action et des comptes publics (art. 2, al. 1er). C’est dire que, conformément à la définition légale de la subvention telle qu’issue de la loi relative à l’économie sociale (ESS) du 31 juillet 2014 (art. 74), cette aide est attribuée sans contrepartie à l’entreprise qui en bénéficie (pas d’engagement de conserver un salarié par ex.). Elle n’a pas non plus à être remboursée, contrairement au prêt, même sans intérêts. Par ailleurs, faute de précision dans le décret, elle n’est pas allouée pour un objet déterminé ; elle est dédiée au financement global de l’activité de l’entreprise, essentiellement pour soulager momentanément sa trésorerie on l’imagine. Tel est, en tout cas, l’esprit du dispositif.

B. Montant

Le montant de l’aide dépend de la perte subie par l’entreprise (art. 3). Les entreprises éligibles ayant subi une perte de chiffre d’affaires supérieure ou égale à 1 500 euros vont percevoir une subvention d’un montant forfaitaire de 1 500 euros. Celles ayant subi une perte de chiffre d’affaires inférieure à 1 500 euros perçoivent quant à elles une subvention égale au montant de cette perte.

La perte de chiffre d’affaires est définie comme la différence entre, d’une part, le chiffre d’affaires durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, et, d’autre part le chiffre d’affaires durant la même période de l’année précédente (comme pour le calcul de chiffre d’affaires, le décret prend en compte les mêmes situations particulières : entreprises créées après le 1er mars 2019, dirigeant ayant bénéficié d’un congé pour maladie, accident du travail ou maternité).

C. Procédure à suivre

La demande d’aide est réalisée par voie dématérialisée, au plus tard le 30 avril 2020. Pour l’obtenir, il faut se connecter – dès maintenant, car le dispositif est d’ores et déjà opérationnel – sur son espace particulier (et non sur son espace professionnel habituel) sur le site www.impots.gouv.fr.

La demande doit être accompagnée des justificatifs suivants :

  • une déclaration sur l’honneur attestant que l’entreprise remplit les conditions prévues par le présent décret, l’exactitude des informations déclarées ainsi que la régularité de sa situation fiscale et sociale au 1er mars 2020 ;
     
  • une estimation du montant de la perte de chiffre d’affaires ;
     
  • les coordonnées bancaires de l’entreprise.

D. Cession de l’aide

Enfin, le décret du 30 mars 2020 précise que les entreprises exerçant des activités dans le domaine de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles ne peuvent céder, en tout ou partie, à des producteurs primaires (la production agricole primaire est définie par l’article 2-9 du règlement n° 651/2014 précité comme la production de produits du sol et de l’élevage sans exercer d’autre opération modifiant la nature de ces produits) les aides versés par le fonds (art. 1er, al. 2).

Ce qui veut dire a contrario que les entreprises appartenant à d’autres secteurs d’activités sont en droit de le faire. Cette cessibilité peut étonner à première vue s’agissant d’une aide publique, mais cela va permettre à l’entreprise certaine d’en bénéficier d’en percevoir immédiatement le montant de la part du banquier à qui elle aura été cédée, a priori dans le cadre d’une opération d’escompte. On relèvera, d’ailleurs, que le crédit d’impôt cinéma peut être cédé par voie de bordereau Dailly par une société de production cinématographique (CGI, art. 220 F).

 

IV. Aide complémentaire

Les entreprises éligibles à l’aide du fonds de solidarité particulièrement fragiles pourront bénéficier d’une aide complémentaire forfaitaire de 2 000 euros versées par les collectivités locales (art. 4).

Sont concernées celles qui emploient au moins un salarié, qui se trouvent dans l’impossibilité de régler leurs dettes à trente jours et qui se sont vu refuser un prêt de trésorerie par leur banque (« Leur demande d’un prêt de trésorerie d’un montant raisonnable faite depuis le 1er mars 2020 auprès d’une banque dont elles étaient clientes à cette date a été refusée par la banque ou est restée sans réponse passé un délai de dix jours »).

La demande d’aide complémentaire devra être réalisée par voie dématérialisée, au plus tard le 31 mai, auprès des services de la collectivité locale qui octroie celle-ci. Elle doit également être accompagnée d’un certain nombre de justificatifs :

  • une déclaration sur l’honneur attestant que l’entreprise remplit les conditions prévues par le présent décret et l’exactitude des informations déclarées ;
     
  • une description succincte de sa situation, accompagnée d’un plan de trésorerie à trente jours, démontrant le risque de cessation des paiements ;
     
  • le montant du prêt refusé, le nom de la banque le lui ayant refusé et les coordonnées de son interlocuteur dans cette banque.

Ce sont les collectivités « qui instruisent la demande et examinent en particulier le caractère raisonnable du montant du prêt refusé, le risque de cessation des paiements et son lien avec le refus de prêt ».

Mais c’est l’État qui la verse, sur demande du chef de l’exécutif de la collectivité concernée. Ce dernier doit d’ailleurs mettre à la disposition de l’État les informations ayant servi à l’instruction de leur demande, afin que son représentant puisse opérer les vérifications nécessaires avant le versement de l’aide.