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La force contraignante du protocole d’accord préélectoral

Si des modifications négociées entre le chef d’entreprise et les organisations syndicales intéressées peuvent être apportées à un protocole préélectoral, ces modifications ne peuvent résulter que d’un avenant soumis aux mêmes conditions de validité que le protocole lui-même.

par Hugues Cirayle 31 octobre 2018

La loi a expressément prévu la constitution, les attributions et la composition d’un comité central d’entreprise dans les entreprises comportant des établissements distincts (C. trav., art. L. 2327-1). Cependant, la loi n’a pas encadré les modalités de remplacement d’un membre titulaire au comité central d’entreprise, contrairement au comité d’entreprise pour lequel une disposition spécifique existe (C. trav., art. L. 2324-48 ; art. L. 2314-37 pour le CSE).

Dans ces conditions, lorsqu’un comité central d’entreprise doit être mis en place, il revient généralement au protocole d’accord préélectoral conclu dans les conditions de double majorités prévues à l’article L. 2324-4-1 du code du travail (C. trav., art. L. 2314-6 pour le CSE) de fixer les modalités de remplacement du titulaire ayant cessé ses fonctions ou momentanément absent.

Dans l’arrêt commenté, c’est précisément sur la portée de la force obligatoire d’un tel accord que la Cour de cassation devait statuer.

En l’espèce, par accord collectif du 24 juin 2010, plusieurs sociétés ont constitué l’unité économique et sociale (UES) Pierre Fabre. En vue de la mise en place des institutions représentatives du personnel au sein de l’UES, un protocole d’accord a été signé le 24 avril 2011. Ce dernier accord prévoyait la mise en place de deux comités centraux d’entreprise et stipulait notamment les conditions de remplacement des membres titulaires à ces comités, par référence aux règles prévues pour le remplacement d’un membre du comité d’entreprise, soit, dans l’ordre de priorité, par le suppléant de la même liste syndicale et de la même catégorie professionnelle, à défaut par le suppléant de la même liste syndicale et à défaut par le suppléant d’une autre liste syndicale.

À la suite de la démission d’un membre titulaire au comité central d’entreprise, l’établissement duquel émanait le titulaire démissionnaire a procédé, le 26 février 2015, à la réélection d’un membre titulaire, sans respecter les dispositions du protocole préélectoral fixant les règles de remplacement.

Ayant appris cette élection, la direction centrale de l’UES a saisi le tribunal de grande instance de Toulouse afin d’obtenir l’annulation de la désignation du nouveau membre titulaire au comité central d’entreprise. Par jugement du 10 décembre 2015, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 19 mai 2017, les sociétés ont été déboutées de leur demande.

Les juges du fond ont considéré, d’une part, que le choix du chef d’entreprise de procéder au remplacement d’un titulaire au comité central d’entreprise par voie d’élection, en l’absence d’opposition des représentants élus ou des organisations syndicales, ne peut être en soi sanctionné alors qu’il est plus favorable à l’expression de la démocratie dans l’entreprise ; d’autre part, que dès lors qu’ils avaient reçu sans réagir les procès-verbaux de réunion du comité d’établissement en mars 2015, les membres de la direction centrale, qui n’ont réagi qu’en juillet 2015, lors de la préparation de la réunion du CCE, ont de fait renoncé à agir ; enfin, que la désignation du remplaçant n’a été effective que pour la durée du mandat en cours qui s’est achevé en octobre 2016.

Les sociétés ont formé un pourvoi en cassation qui posait trois problématiques principales.

D’abord, les modalités de remplacement issues d’un protocole d’accord préélectoral peuvent-elle céder face au recours direct à l’élection ? C’est le postulat des juges du fond qui ont considéré que la réélection garantissait au titulaire une plus grande légitimité démocratique que le recours aux règles de remplacement, de sorte que ces règles seraient supplétives et ne s’appliqueraient qu’à défaut de réélection. Ce raisonnement avait cependant peu de chance de convaincre la Cour de cassation qui a déjà eu l’occasion de rappeler, sur la simple question du report de la date des élections, que « si des modifications négociées entre le chef d’entreprise et les organisations syndicales intéressées peuvent être apportées à un protocole préélectoral, ces modifications, y compris lorsqu’elles portent sur le calendrier électoral, ne peuvent résulter que d’un avenant soumis aux mêmes conditions de validité que le protocole lui-même » (Soc. 26 oct. 2011, n° 10-27.134, Bull. civ. V, n° 242 ; Dalloz actualité, 29 nov. 2011, obs. J. Siro ; ibid. 2012. 2622, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2012. 99, obs. F. Petit ). L’employeur ne peut unilatéralement modifier le protocole d’accord préélectoral, quelque soit le bien-fondé de ses motifs (Soc. 12 juill. 2006, n° 05-60.332, Bull. civ. V, n° 251 ; RJS 2006, n° 1205 ; JCP S 2006. 1874, obs. Gauriau). Enfin, le raisonnement des juges du fond avait d’autant moins de chance d’aboutir que le suppléant est également élu démocratiquement, de sorte que c’est en toute légitimité qu’il a vocation à remplacer le titulaire absent.

Ensuite, de manière plus subtile, la cour d’appel a considéré que le recours à l’élection avait fait l’objet d’un accord tacite des parties dans la mesure où il avait fait l’objet d’un point à l’ordre du jour du comité d’établissement le 17 février 2015 et d’une communication auprès de la direction centrale en mars 2015, de sorte que la réaction tardive des membres du comité central d’entreprise en juillet 2015 démontrait leur accord tacite à la désignation du nouveau membre titulaire. Cette position aurait pu emporter l’aval de la Cour de cassation si, dans les faits, les signataires de l’accord préélectoral avaient effectivement consenti à cette désignation tacitement. Cependant, il résultait des faits d’espèce que la nouvelle désignation avait été faite au niveau local, de sorte que l’ensemble des signataires du protocole au niveau central n’étaient pas associés à la démarche. Dans ces conditions, la Cour de cassation a refusé de reconnaître l’existence d’un avenant tacite au protocole d’accord préélectoral.

Enfin, la cour d’appel a jugé que les sociétés n’avaient plus d’intérêt à agir au jour où elle a statué dans la mesure où les mandats des membres du comité central d’entreprise avaient cessé depuis le 27 octobre 2016. Là encore, cette position était inéluctablement soumise à la censure de la Cour de cassation qui juge invariablement que « l’intérêt à agir doit être apprécié au moment de l’engagement de l’action » (Soc. 25 juin 2014, n° 13-26.895). C’est ce qui a été rappelé à nouveau par l’arrêt sous examen.

En définitive, la Cour de cassation demeure particulièrement vigilante au respect du formalisme imposé pour conclure un protocole d’accord préélectoral : ce même formalisme doit être respecté pour modifier le protocole.