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Formalisme de l’appel d’un jugement sur la compétence : entre rigorisme et souplesse…

Lorsqu’un document doit être joint à un acte, il est communiqué sous la forme d’un fichier séparé du fichier au format XML contenant l’acte sous forme de message de données. Le défaut de motivation du recours, susceptible de donner lieu à la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel du jugement statuant sur la compétence, peut être régularisé, en matière de procédure avec représentation obligatoire par avocat, par le dépôt au greffe, avant l’expiration du délai d’appel, d’une nouvelle déclaration d’appel motivée ou de conclusions comportant la motivation du recours, adressées à la cour d’appel.

La deuxième chambre de la Cour de cassation a effectué sa rentrée 2021 le 9 septembre. Parmi les arrêts de ce jour, l’un est dû au formalisme électronique de l’appel particulier en matière de compétence, alors que nous sommes en procédure avec représentation obligatoire : si ce formalisme très rigoureux, voire rigoriste, n’est pas respecté, l’appel est irrecevable… à moins d’une régularisation, que la Cour de cassation admet heureusement.

Une société intente un procès à une autre devant un tribunal de commerce, puis assigne en intervention forcée une troisième société, qui conteste tant sa mise en cause que la compétence du tribunal. Le jugement n’accueille ni la fin de non-recevoir, ni le déclinatoire de sa compétence.

La société appelée en intervention interjette appel du jugement statuant sur la compétence.

La cour d’appel déclare ce recours irrecevable. Elle constate que l’appel est interjeté le 11 septembre 2019 et que, le même jour, des conclusions d’appel relatives à l’incompétence du tribunal de commerce de Paris sont remises. Pour autant elle affirme qu’aucune conclusion sur la motivation n’a été jointe à la déclaration d’appel.

L’appelante se pourvoit en cassation, par deux moyens, le premier divisé en deux branches. Elle rappelle que, selon l’article 85 du code de procédure civile, la déclaration d’appel dirigée contre un jugement statuant sur la compétence doit, à peine d’irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration. Elle reproche aux juges du second degré une violation de ce texte et de l’article 4 du même code (première branche du premier moyen), un manque de base légale au regard du texte (seconde branche du premier moyen) et à nouveau une violation de ce texte mais aussi de l’article 126 du même code (second moyen).

En substance, selon le premier moyen, la société avait remis des conclusions relatives à l’incompétence du tribunal de commerce le même jour que la déclaration d’appel : cela est attesté par les mentions du message adressé, également le même jour, via le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) par le conseil de la société à la cour d’appel de Paris ; dès lors, il y avait bien motivation de la déclaration d’appel par jonction des conclusions. Selon le second moyen, « le défaut de motivation du recours, susceptible de donner lieu à la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel du jugement statuant sur la compétence, peut être régularisé, en matière de procédure avec représentation obligatoire, par le dépôt au greffe, avant l’expiration du délai d’appel, d’une nouvelle déclaration d’appel motivée ou de conclusions comportant la motivation du recours, adressées à la cour d’appel » ; or ici, les « conclusions, à supposer qu’elles n’aient pas été jointes à la déclaration d’appel, étaient de nature à régulariser l’absence de motivation de la déclaration d’appel dès lors qu’elles avaient été déposées devant la cour d’appel avant l’expiration du délai d’appel ».

La Cour de cassation rejette le premier moyen mais casse sur le second : il n’y avait pas jonction des conclusions à la déclaration d’appel, faute de respecter le formalisme électronique pour ce faire, mais il y avait bien régularisation par le dépôt de conclusions avec la motivation dans le délai d’appel.

Le règlement des incidents de compétence a été profondément réformé par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile (pris pour l’application de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et entré en vigueur le 1er septembre 2017 ; C. pr. civ., art. 83 s. Sur la question, v. L. Mayer, Le nouvel appel du jugement sur la compétence, Gaz. Pal. 25 juill. 2017, p. 71, n° 1 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 521 s., spéc. n° 530 s. ; D. d’Ambra, Droit et pratique de l’appel, 4e éd., Dalloz Référence, 2021/2022, nos 234.00 s. ; P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès civil en appel 2021/2022, LexisNexis, 2020, nos 92 s. ; C. Lhermitte, Procédures d’appel 2020/2021, Dalloz Delmas express, 2020, nos 1701 s. ; J. Pellerin, La réforme de la procédure d’appel : nouveautés et vigilance !, Gaz. Pal. 23 mai 2017, p. 13 ; C. Laporte, Appel du jugement sur la compétence : un nouveau jour fixe imposé, Procédures 2017. Étude 29.

Le contredit, supprimé par le décret n° 2017-891, a été remplacé par un appel particulier, dont le champ d’application correspond à peu près à celui du contredit, mais qui est élargi : cet appel particulier doit être interjeté pour contester les jugements qui statuent exclusivement sur la compétence. L’appel ordinaire, de son côté, permet la critique des jugements qui statuent sur la compétence et le fond. Rappelons que la Cour de cassation a dû rendre plusieurs arrêts pour affirmer la généralité de l’appel particulier contre la décision de toute juridiction du premier degré se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige (Civ. 2e, 11 juill. 2019, n° 18-23.617 et 19-70.012, Dalloz actualité, 16 juill. 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 1499 ; ibid. 1792, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1380, obs. A. Leborgne ; Gaz. Pal. 5 nov. 2019, p. 53, obs. N. Hoffschir ; JCP 2019. 942, obs. N. Gerbay ; 2 juill. 2020, n° 19-11.624, Dalloz actualité, 1er sept. 2020, obs. C. Bléry ; D. 2020. 1471 ; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol ; Gaz. Pal. 3 nov. 2020, p. 60, obs. M. Guez).

Quant à la procédure de l’appel particulier, elle consiste soit en un jour fixe imposé lorsque la représentation est obligatoire, soit en une fixation prioritaire lorsque la représentation n’est pas obligatoire. Il ne faisait aucun doute ici que le jour fixe imposé devait être emprunté.

Il appartenait à l’appelant de se conformer aux articles 84 et 85, plus exactement à leurs dispositions applicables en procédure avec représentation obligatoire :
- l’appelant devait donc saisir, dans le délai d’appel (soit quinze jours à compter de la notification du jugement par le greffe), le premier président en vue d’être autorisé à assigner à jour fixe ; ceci à peine de caducité de la déclaration d’appel » (art. 84). Notons que, compte tenu de sa date, que l’autorisation d’assigner à jour fixe a nécessairement été requise par voie papier, puisque la Cour de cassation jugeait – de manière peu heureuse – qu’il s’agit d’une procédure autonome, non régie par les arrêtés techniques alors en vigueur, dont celui du 30 mars 2011 (procédure avec représentation obligatoire) et donc exclue de la communication par voie électronique (Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 17-01.695 F-P+B, D. 2018. 692, obs. N. Fricero ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 61, obs. C. Bléry ; Dalloz actualité, 20 juill. 2017, obs. M. Kebir ; 6 sept. 2018, n° 17-20.047 F-P+B, Dalloz actualité, 14 sept. 2018, obs. C. Bléry ; JCP 2018. 1174, obs. N. Gerbay ; 7 déc. 2017, n° 16-19.336 F-P+B+I, Dalloz actualité, 14 déc. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2017. 2542 ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; Gaz. Pal. 15 mai 2018, p. 77, obs. N. Hoffschir. Adde C. Bléry et J.-P. Teboul, Numérique et échanges procéduraux, in Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2018, p. 7 s., n° 12 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, op. cit., n° 491 »). Cela a été le cas jusqu’au 31 août 2020. Puis, à partir du 1er septembre 2020, l’arrêté du 20 mai 2020 a « ouvert les tuyaux » devant le premier président : plus exactement, le plaideur a eu la faculté (et non l’obligation malgré un texte manquant de netteté) d’emprunter le RPVA pour cette procédure (C. Bléry, Arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel : entre espoir et déception…, Dalloz actualité, 2 juin 2020) ;
- l’appelant devait aussi respecter l’article 85, qui prévoit que, outre les mentions de l’article 901, « la déclaration d’appel précise qu’elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d’irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration ».

Précisons que, étant en procédure avec représentation obligatoire par avocat, l’article 930-1 du code de procédure civile imposait la remise de la déclaration d’appel et des conclusions au greffe par RPVA. Ce que l’appelant avait respecté : il avait adressé, d’une part, la déclaration d’appel par voie électronique, et d’autre part, les conclusions contenant la motivation : les deux envois étant effectué le même jour. C’est la motivation qui faisait difficulté ici.

Première question : adresser par voie électronique la déclaration d’appel et les conclusions visées à l’article 85 le même jour pouvait-il être analysé comme la jonction évoquée par ledit article ?

Pour l’appelant, la réponse était positive… mais pas pour la cour d’appel, approuvée en cela par la Cour de cassation. En effet, « l’article 6 de l’arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire par avocat devant les cours d’appel, alors applicable, dispose que lorsqu’un document doit être joint à un acte, il est communiqué sous la forme d’un fichier séparé du fichier au format XML contenant l’acte sous forme de message de données ». La jonction juridique de l’article 85 (et d’autres textes du code de procédure civile) a une traduction informatique. Le droit et l’informatique impliquent d’ailleurs une action concrète – celle de joindre – qui va au-delà de la concomitance des envois. Si la CPVE, c’est « de la procédure civile avant tout » (C. Bléry et J.-P. Teboul, JCP 2012. 1189), elle passe par un formalisme informatique résultat de la démarche d’équivalence suivie pour le titre XXI du livre I du code de procédure civile (la CPVE, version 1). En fait, l’annonce de la jonction des conclusions à venir aurait dû être faite dans le champ informatique (RPVA) de la déclaration d’appel et les conclusions elles-mêmes adressées en pièce jointe par le même envoi RPVA.

En outre, ici faisait défaut la preuve de la remise d’un tel message, prétendument adressé via le RPVA, par le conseil de la société appelante. Celui-ci n’aurait pas produit d’avis électronique attestant de cette réception conformément aux exigences de l’article 748-3 du code de procédure civile. Or, on sait que, si « avec l’avis de réception, tout est bon ! », sans cet avis, l’avocat doit se faire du souci (la Cour de cassation a rendu divers arrêts en ce sens, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et de l’Union européenne 2021/2022, S. Guinchard [dir.], Dalloz Action, 10e éd., 2020, n° 273.112 et les réf.) : l’arrêt est une nouvelle illustration de cette jurisprudence. C’est assez logique si les conclusions n’ont pas été adressées en pièce jointe à la déclaration d’appel…

L’arrêté du 30 mars 2011 est aujourd’hui abrogé, mais l’article 4 de l’arrêté du 20 mai 2020 précité reproduit la règle posée à l’article 6 visé par notre arrêt pour la jonction. Il faut donc la retenir tant qu’il sera techniquement difficile de motiver directement dans la déclaration d’appel… faute de place suffisante dans le RPVA pour ce faire (v. J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, op. cit., n° 533 : « l’avocat ne parait ainsi pas pouvoir se dispenser de prendre des conclusions qu’il joindra au message électronique transmettant sa déclaration d’appel, ne serait-ce qu’en raison du fait que l’état des arrêtés techniques et du développement des outils de communication présidant aux transmissions ente avocats et cour d’appel interdisant l’inclusion, dans le corps de la déclaration d’appel d’une motivation détaillée » – l’auteur renvoie en note à la circulaire NOR JUSC1721995, du 4 août 2017. Dans le même sens, C. Lhermitte, Procédures d’appel, op. cit., n° 1712 : « l’alternative n’existe pas et en pratique, la partie appelante devra opter pour les conclusions jointes à la déclaration d’appel »).

Si la Cour de cassation n’a pas admis la jonction en l’état des textes (et ne l’admettrait pas davantage sous l’empire du nouvel arrêté technique), elle a, heureusement, a été plus souple et offert une autre « planche de salut » à l’appelant : il s’agit là de la réitération d’une jurisprudence récente.

Seconde question : adresser les conclusions visées à l’article 85 avant l’expiration du délai d’appel pouvait-il être analysé comme une régularisation de la déclaration d’appel ?

La société considérait que c’était bien le cas, de même que la Cour de cassation. La deuxième chambre civile reproche dès lors à la cour d’appel de ne pas avoir recherché « si les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 11 septembre 2019 pour la société Yingli, qui étaient visées dans l’arrêt, ne comportaient pas la motivation de l’appel formé par une déclaration du même jour » : elle casse l’arrêt d’appel pour manque de base légale au regard des articles 85 et 126 du code de procédure civile.

La Cour de cassation réaffirme ici une solution de bon sens (C. Lhermitte, Procédures d’appel, op. cit., n° 1715), récemment posée (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-17.630 F-P+B+I, Dalloz actualité, 5 nov. 2020, obs. C. Lhermitte) et déjà reprise, en ce qu’elle est conforme à l’article 6, § 1, de la Conv. EDH (Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-12.257 F-P+B+I, Dalloz actualité, 20 janv. 2021, obs. G. Sansone ; D. 2021. 25 ; ibid. 543, obs. N. Fricero ). La seule question qui se posait pour sa mise en œuvre était de savoir si les conclusions étaient bien motivées conformément aux exigences de l’article 85. Ce que la cour d’appel contestait… ou n’avait pas vérifié, de sorte qu’elle doit « revoir sa copie »…

Ce qu’il faut retenir :

  • l’appel sur la compétence peut décidément être régularisé quand la motivation exigée à l’article 85 fait défaut…
  • la motivation fait défaut si des conclusions ne sont pas jointes à la déclaration d’appel « muette » ; or l’envoi concomitant des deux actes ne vaut pas respect du formalisme informatique, issu de l’arrêté technique applicable hier ou aujourd’hui ;
  • sans l’avis de réception de l’article 743-3, rien ne va !