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Formalisme et proportionnalité du cautionnement à durée indéterminée : assouplissement

Le cautionnement à durée indéterminée prévoyant qu’il est consenti « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues » est valable dès lors que cette mention ne modifie pas le sens et la portée de la mention manuscrite légale.
La disproportion manifeste de l’engagement de la caution s’apprécie par rapport à ses biens, sans distinction, quand bien même certains d’entre eux ne pourraient être engagés pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution.

par Vincent Brémondle 28 novembre 2017

Formalisme et proportionnalité du cautionnement constituent, à eux seuls, plus de la moitié du contentieux du cautionnement. Ces deux accès de fixation sont réunis dans l’arrêt sous commentaire qui est appelé à recevoir une large diffusion. Il marque la volonté ferme de la Cour de cassation de mettre un frein à cet irritant contentieux.

En l’espèce, une personne physique, mariée sous le régime de la communauté légale, s’est rendue seule caution solidaire envers une société créancière en garantie du paiement de factures dues par une seconde société. Cette dernière ayant été mise en liquidation judiciaire, la société créancière a assigné la caution en exécution de ses engagements. Celle-ci, après avoir été condamnée au paiement d’une somme proche de 250 000 €, forme un pourvoi en cassation articulé sur deux griefs : d’une part, le non-respect du formalisme relatif au cautionnement à durée indéterminée ; d’autre part, la disproportion de son engagement.

Formalisme relatif au cautionnement à durée indéterminée

Sur le premier point, la Cour de cassation accentue la fermeté de sa position relative au contenu de la mention manuscrite prescrite par l’ancien article L. 341-2 du code de la consommation (devenu art. L. 331-1). Elle ne cède pas aux argumentations spécieuses des cautions consistant à soulever une différence minime entre la mention requise à peine de nullité et celle effectivement apposée par la caution. Elle rejette ainsi, depuis 2004 (Civ. 1re, 9 nov. 2004, n° 02-17.028, Bull. civ. I, n° 254 ; D. 2005. 2836, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ), la nullité de l’acte dès lors que les différences « n’affectent ni le sens ni la portée de la mention manuscrite ». Cependant, il en était autrement ici puisqu’il s’agissait de la mention relative à la durée de l’engagement au sujet de laquelle le texte ne précise pas la manière dont elle doit être exprimée. En l’espèce, l’engagement souscrit était un cautionnement à durée indéterminée de dettes présentes, lequel, pour respecter l’exigence de précision de la durée requise par l’ancien article L. 341-2 du code de la consommation, indiquait « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues ». La Cour de cassation, après avoir rappelé que, conformément à l’ancien article L. 141-6 du code de la consommation, le cautionnement à durée indéterminée est valide, rejette le pourvoi qui soulevait la non-conformité de la formule insérée à celle légalement imposée. Elle relève, en effet, que la mention litigieuse « ne modifiait pas le sens et la portée de la mention manuscrite légale ».

Par cette solution, la Cour de cassation semble assouplir encore les exigences formelles posées par le texte. En effet, elle avait jugée, par sa chambre civile toutefois (Civ. 1re, 9 juill. 2015, n° 14-24.287, Dalloz actualité, 8 sept. 2015, obs. V. Avena-Robardet , note H. Kassoul ; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 1955, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2015. 916, obs. P. Crocq ), au sujet d’une mention relative à la durée de l’engagement se contentant d’indiquer « pour la durée de l’opération garantie + 2 ans », que, « s’agissant d’un élément essentiel permettant à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement, cette mention devait être exprimée sans qu’il soit nécessaire de se reporter aux clauses imprimées de l’acte ». La chambre commerciale, quant à elle, ne semble pas se préoccuper de savoir si la mention litigieuse a permis ou non à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement, et exige seulement que la mention ne modifie pas le sens et la portée de la mention manuscrite légale, ce qui est infiniment moins subjectif. En outre, la mention litigieuse ne renvoyait pas expressément à une durée figurant dans les clauses imprimées de l’acte, puisque celle-ci visait le paiement effectif de toutes les sommes garanties, ce qui est un événement incertain. Au demeurant, la mention litigieuse ne renvoie-t-elle pas à la définition de l’engagement de la caution qui « se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même » (C. civ., art. 2288) ? Par cette mention, la caution est, ainsi, mise en mesure d’appréhender que son engagement de payer à la place d’un autre dure tant que les sommes dues par le débiteur principal n’ont pas été payées, ce qui confine à la compréhension de ce qu’est un engagement de cautionnement. Les faits étant différents de ceux de l’arrêt rendu par la première chambre civile le 9 juillet 2015 (préc.), il est délicat d’en déduire avec certitude que la solution rendue le 15 novembre 2017 par la chambre commerciale entre en contradiction avec la précédente.

Disproportion de l’engagement de la caution à durée indéterminée

En revanche, sur le second point, la Cour de cassation opère un réel revirement. Toutefois, celui-ci n’est pas franchement une surprise tant de précédents arrêts le suggéraient. En l’espèce, la caution, mariée sous le régime de la communauté légale, avait souscrit son engagement en l’absence du consentement exprès de son conjoint. Ainsi, aux termes de l’article 1415 du code civil, la caution n’engageait que « ses biens propres et ses revenus ». Or les juges du fond avaient écarté le grief de disproportion de l’engagement de la caution en prenant en considération un bien dépendant de la communauté, autrement dit insaisissable par le créancier. Saisie de la question par la caution, la Cour de cassation juge que « la disproportion manifeste de l’engagement de la caution s’appréciant, selon l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, par rapport, notamment, à ses biens, sans distinction, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que celui de M. Baudry dépendant de la communauté devait être pris en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du code civil ». La Cour de cassation opère, ainsi, un franc et complet découplage entre l’assiette des biens faisant l’objet de l’appréciation de la proportion du cautionnement aux biens et revenus de la caution et l’assiette des biens offerts en gage au créancier.

Deux arrêts précédents de la même chambre commerciale suggéraient récemment cette solution. D’une part, un arrêt du 18 janvier 2017 (Com. 18 janv. 2017, n° 15-12.723, D. 2017. 212 ; AJ Contrat 2017. 122, obs. D. Houtcieff ; Rev. sociétés 2017. 282, note J.-J. Ansault ; RTD com. 2017. 625, obs. A. Lecourt ) avait décidé que l’engagement de la caution (conforme à la garantie Oséo), prévoyant que le créancier s’interdisait d’avoir recours à certaines procédures d’exécution forcée (notamment sur le logement principal de la caution), ne modifiait pas la consistance du patrimoine de la caution pouvant être prise en compte pour apprécier la proportion de son engagement. D’autre part, un arrêt du 22 février 2017 (Com. 22 févr. 2017, n° 15-14.915, Dalloz actualité, 7 mars 2017, obs. X. Delpech ; ibid. 2119, obs. V. Brémond ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; Rev. sociétés 2017. 586, note S. Pla-Busiris ) avait affirmé que « le consentement exprès donné en application de l’article 1415 du Code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint ayant pour effet d’étendre l’assiette du gage du créancier aux biens communs, c’est à bon droit que la cour d’appel a apprécié la proportionnalité de l’engagement contracté par M. X…, seul, tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté, incluant les salaires de son épouse ». Alors qu’en apparence il semble y avoir corrélation entre l’assiette du gage offert au créancier et l’assiette des biens servant à l’appréciation de la proportion de l’engagement de la caution, il n’est pourtant pas certain que cela soit le cas, car la doctrine majoritaire soutient qu’en cas d’accord exprès du conjoint de la caution, les biens communs du couple sont, certes, engagés, mais à l’exception des salaires du conjoint de la caution, au moins dans la proportion prévue par l’article 1414 du code civil (sur tous ces points, v. D. 2017. Pan. 2119, obs. V. Brémond ). Dès lors, bien que de façon implicite, la Cour de cassation semblait déjà découpler assiette du gage et assiette des biens servant à l’appréciation de la proportion de l’engagement. C’est désormais chose faite, expressément cette fois, par cet arrêt du 15 novembre 2017.

Cette solution doit sans doute être approuvée. Outre que, comme le relève la Cour de cassation, le texte légal (devenu art. L. 332-1) vise, sans distinction, les « biens et revenus » de la caution, plusieurs arguments peuvent être invoqués en sa faveur.

D’abord, le découplage entre biens saisissables et biens servant d’assiette pour apprécier la proportion de l’engagement de la caution existe pour toute caution personne physique, qu’elle soit mariée ou non. Ainsi, concernant une caution célibataire, il est évident que tous ses biens et revenus, servant d’assiette d’appréciation de la proportion de son engagement, ne pourront être saisis par le créancier. Ainsi en va-t-il, notamment, de ses rémunérations professionnelles, dont le code du travail rend une partie importante insaisissable par tout créancier, sauf exception. Dès lors, un découplage existe bien (il en irait de même en cas de bien appartenant à la caution en indivision avec un tiers, alors que le créancier ne pourrait le saisir en application de C. civ., art. 815-17, al. 1). Il en va, du reste, de même pour l’exception à la déchéance du droit du créancier prévue par l’ancien article L. 341-4 (devenu art. L. 332-1) du code de la consommation : « à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ». Comme le pronom « lui » le suggère, ce sont tous les biens et revenus de la caution au moment où celle-ci est appelée qui seront pris en considération et non ceux que pourrait, éventuellement, saisir le créancier en cas d’exercice d’une procédure civile d’exécution.

Ensuite, une telle solution ne doit, en définitive, pas surprendre. D’abord car, si l’on se penche du côté des sûretés réelles, il est permis de constituer une hypothèque sur un bien, pourtant insaisissable par le créancier bénéficiaire (Com. 11 juin 2014, n° 13-13.643, Dalloz actualité, 26 juin 2014, obs. X. Delpech ; ibid. 1610, obs. P. Crocq ; ibid. 2015. 1339, obs. A. Leborgne ; RTD civ. 2014. 693, obs. P. Crocq ), ce qui, de prime abord, est autrement plus surprenant que la solution commentée. Puis, parce qu’il est parfaitement cohérent de dissocier l’exécution volontaire de la caution et l’exécution forcée à l’initiative du créancier. Ces deux voies ne reposent pas sur les mêmes ressorts juridiques et moraux. Au demeurant, il est vraisemblable que tant la caution que le créancier découplent la composition des biens de la caution au moment de la constitution de son engagement et la saisissabilité de ces derniers, ne serait-ce que, et c’est inhérent à toute garantie personnelle, parce que l’assiette du gage offert au créancier au moment de l’engagement de la caution n’est pas cristallisée : le patrimoine est un flux. Ainsi est-il probable qu’une caution (et pareillement un emprunteur…) apprécie la proportion de son engagement au regard de tous les biens qui lui appartiennent et non seulement de ceux que le créancier pourrait, le cas échéant, poursuivre. Dit autrement, la caution (ou l’emprunteur) cautionne (ou emprunte) 50 parce qu’elle a un patrimoine de 100 et non parce que le créancier ne pourrait saisir que 75. Et il est à peine paradoxal de suggérer que la caution, qui s’engage alors que l’ampleur de son patrimoine devrait l’en dissuader, entretient un rapport identique avec le réel, soit qu’elle n’envisage pas de devoir un jour payer la dette d’un autre, soit qu’elle parie sur son retour à meilleure fortune. Ces observations interrogent, en définitive, la véritable nature de la déchéance en cas de disproportion de l’engagement de la caution. Mécanisme un peu mystérieux, cette cause de déchéance a toujours été écartelée entre la théorie des vices du consentement (vice nécessairement exceptionnel puisque l’erreur sur la valeur n’en est pas un) et la lésion (lésion nécessairement spéciale puisque s’insérant dans un contrat unilatéral), entre subjectivisme et objectivisme. Par son arrêt du 15 novembre 2017, la Cour de cassation subjectivise la cause de déchéance prévue par l’ancien article L. 341-4 du code de consommation : le ressenti de la caution et du créancier l’emporte sur le risque réellement enduré.

Enfin, parce que, comme l’a souligné un auteur (M. Bourassin, Appréciation de la proportionnalité du cautionnement : clair-obscur sur les biens [in]saisissables, Gaz. pal. 13 juin 2017, n° 22, p. 70), cette solution (que l’auteur appelait de ses vœux) s’avère former un équilibre satisfaisant entre efficacité du cautionnement et protection de la caution : l’efficacité du cautionnement est préservée en évitant de trop nombreuses déchéances dues à la disproportion de l’engagement de cautions (au surplus souvent de mauvaise foi) ; la protection de la caution (et, le cas échéant, de sa famille) est assurée, a posteriori, par le contingentement des moyens offerts au créancier pour poursuivre l’exécution forcée du cautionnement. Plus que tout autre contrat, le cautionnement, et plus généralement toute garantie de paiement, constitue un « pari ». Laissons aux parties en courir le risque ! Et Dieu sait que ce risque est grand pour le créancier lorsque le cautionnement est souscrit par un époux commun en biens sans l’accord exprès de son conjoint, puisque celui-là devra, le cas échéant, affronter, d’une part la restriction de son gage et d’autre part de redoutables difficultés probatoires dues à la nécessité de renverser la présomption de communauté posée par l’article 1402 du code civil (v., en dernier lieu, Civ. 1re, 15 juin 2017, n° 16-20.739, D. 2017. 2119, obs. V. Brémond ; RTD civ. 2017. 735, obs. N. Cayrol ). Ne pas ajouter une source supplémentaire d’inefficacité du cautionnement s’impose !