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Fouilles en détention : un rapport appelle à la clarification du régime et à une hausse des moyens

La mission d’information relative au régime des fouilles en détention vient de rendre son rapport d’information le mardi 2 octobre 2018.

par Pauline Dufourqle 11 octobre 2018

À la suite du mouvement de grève des surveillants pénitentiaires en janvier 2018, une mission d’information a été créée afin de mener une réflexion sur le régime des fouilles en détention. Le 2 octobre 2018, les députés Xavier Breton et Dimitri Houbron ont déposé devant l’Assemblée nationale leur rapport d’information. Ce rapport offre un panorama du dispositif légal actuellement en vigueur et propose des perspectives de réflexion afin d’encadrer davantage cette pratique tout en cherchant à définir un point d’équilibre entre les considérations sécuritaires et les nécessités de respect de la dignité de la personne incarcérée. 

Pendant longtemps, les contours du régime concernant les fouilles en détention n’étaient pas clairement définis. Ils puisaient leurs sources dans des décrets ou circulaires ministérielles, sans autres fondements légaux stricto sensu. C’est ainsi qu’un détenu pouvait faire l’objet d’une fouille sur la simple décision du chef d’établissement et sans que soit imposée une quelconque motivation.

Une telle situation avait alarmé plusieurs organismes nationaux et internationaux. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, le Comité contre la torture des Nations unies ou encore les commissions d’enquête de l’Assemblée nationale et du Sénat avaient en effet dressé un constat très critique de cette absence d’encadrement des fouilles en détention (Rapport d’information relatif au régime des fouilles en détention, 2 oct. 2018).

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait également été amenée à se prononcer sur ce point. Dans l’arrêt remarqué Frérot contre France en 2007 (CEDH 12 juin 2007, Frérot contre France, n° 79204/01, Dalloz jurisprudence), la juridiction strasbourgeoise a précisé que si les fouilles peuvent être justifiées eu égard à des considérations sécuritaires, de tels actes ne peuvent être réalisés qu’en respectant des modalités adéquates. Selon la CEDH, le degré de souffrance ou d’humiliation subi par les détenus ne doit pas dépasser celui que comporte inévitablement cette forme de traitement. Elle concluait dans cette affaire à la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, en considérant que le requérant avait été fouillé systématiquement avec investigations corporelles internes sans qu’un indice particulier ait pu le justifier à chaque fois. De même, dans l’arrêt Khider contre France (CEDH 9 juill. 2009, réq. n° 39364/05, Dalloz actualité, 2 sept. 2009, obs. S. Lavric ; D. 2009. 2462 , note M. Herzog-Evans ; ibid. 2825, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; ibid. 2010. 1376, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2009. 372, obs. M. Herzog-Evans ; RSC 2010. 225, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 645, chron. P. Poncela ), la CEDH avait jugé que l’application d’un régime systématique de fouilles intégrales s’analysait en un traitement inhumain et dégradant, contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Parallèlement, le Conseil d’État s’était également exprimé dans un arrêt de 2008 aux termes duquel il avait encadré la pratique des fouilles en précisant que, « si les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l’application à un détenu d’un régime de fouilles corporelles intégrales répétées, c’est à la double condition, d’une part, que le recours à ces fouilles intégrales soit justifié, notamment, par l’existence de suspicions fondées sur le comportement du détenu, ses agissements antérieurs ou les circonstances de ses contacts avec des tiers et, d’autre part, qu’elles se déroulent dans des conditions et selon des modalités strictement et exclusivement adaptées à ces nécessités et ces contraintes ; qu’il appartient ainsi à l’administration de justifier de la nécessité de ces opérations de fouille et de la proportionnalité des modalités retenues » (CE 14 nov. 2008, n° 315622, El Shennawy, Dalloz actualité, 19 nov. 2008, obs. E. Royer ; AJDA 2008. 2145 ; ibid. 2389 , chron. E. Geffray et S.-J. Liéber ; D. 2008. 3013, obs. E. Royer ; ibid. 2009. 1376, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2009. 89, obs. É. Péchillon ; RFDA 2009. 957, obs. D. Pollet-Panoussis ; RSC 2009. 431, chron. P. Poncela ).

Il faudra attendre la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, pour que soit consacré, en son article 57, un régime juridique relatif aux fouilles intégrales réalisées en détention sur les détenus. Cet article fixe trois principes impératifs et cumulatifs : les principes de nécessité, de proportionnalité et de subsidiarité.

Il prévoit en effet que les fouilles doivent être justifiées par la « présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien de l’ordre dans l’établissement ». Il précise en outre que leur nature et leur fréquence doivent être strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des détenus. Enfin, les fouilles à nu « ne sont possibles que si les fouilles par palpation et les moyens de détection électronique s’avèrent insuffisants ». La décision de recourir à une mesure de fouille doit donc être individualisée, autrement dit avec prise en considération de la personne à qui elle doit être appliquée.

Ce régime a été modifié par la suite avec l’adoption de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, laquelle a conduit à un assouplissement du régime de fouilles en détention. L’article 111 de la loi prévoit ainsi le recours à tous types de fouilles en cas de suspicions sérieuses d’introduction d’objets ou de substances interdits en détention, ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens, sans qu’il soit nécessaire d’individualiser cette décision au regard de la personnalité du détenu. Ces mesures ne peuvent cependant être ordonnées qu’à la condition de respecter les principes de nécessité, de subsidiarité et proportionnalité. Elles doivent être spécialement motivées et faire l’objet d’un rapport circonstancié transmis au procureur de la République territorialement compétent et à l’administration pénitentiaire.

L’adoption de cette nouvelle disposition a fait l’objet de vives critiques par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants dans le cadre de son rapport daté de 2016. Selon le Comité, « le caractère exceptionnel des fouilles intégrales ne semble pas toujours limité aux principes de nécessité et de proportionnalité » (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, Rapport sur la France 2016, § 99). La contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Mme Adeline Hazan, a quant à elle estimé que ces prévisions « élargissent de façon considérable et disproportionnée la possibilité de procéder à des fouilles intégrales (en permettant) de recourir aux fouilles intégrales sans qu’il soit nécessaire d’individualiser cette décision au regard du comportement ou de la personnalité de la personne détenue, en contradiction avec l’esprit de l’alinéa 1er de l’article 57 ». Elle dénonçait en outre l’existence d’abus dans certains établissements pénitentiaires tant dans le caractère systématique des fouilles que dans la façon dont elles sont réalisées ou dans le manque de motivation de la décision de fouille (Rapport d’information relatif au régime des fouilles en détention, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 2 oct. 2018 ; OIP – section française, « Fouilles à nu : souvent illégales, toujours humiliantes », 3 oct. 2018).

Au surplus, les derniers travaux de l’Observatoire international des prisons (OIP) interrogent sur l’effectivité d’un tel régime de fouille. Selon l’Observatoire, « rien ne permet d’imputer l’augmentation des objets/substances interdits saisis à la diminution du recours aux fouilles intégrales qui […] n’a été significative que dans quelques établissements. À l’inverse, il est possible d’affirmer que le recours massif à cette mesure de contrôle n’empêche pas l’entrée et la circulation d’objets/substances prohibés en détention » (OIP, « Les fouilles intégrales en détention, cadre juridique et pratiques », 31 mai 2018). De même, seules 2,5 % des fouilles menées à l’issue d’un parloir aboutissent à la saisie d’un ou plusieurs objets (OIP – section française, « Fouilles à nu : souvent illégales, toujours humiliantes », préc.).

Dans ces circonstances, l’OIP promeut la suppression des fouilles intégrales et, à tout le moins à court terme, un usage très exceptionnel de ces mesures de contrôle. À cette fin, il développe deux axes de réflexion : 1) permettre et organiser l’entrée en détention d’objets ou substances aujourd’hui prohibées, 2) déployer des moyens modernes de détection.

À l’aune de ces observations, les rapporteurs concluent « qu’il n’est pas possible d’abroger l’article 57 de la loi pénitentiaire sans contrevenir à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Conseil d’État. En revanche, une inscription dans la loi du régime exorbitant individuel pour les détenus dangereux sur un laps de temps limité permettrait de clarifier le régime juridique des fouilles ».

Le rapport fait également état de la nécessité de prioriser le développement des mesures alternatives aux fouilles, notamment l’équipement des établissements pénitentiaires en moyens de détection électronique, le développement de contrôles à l’aide d’équipes cynophiles et la mise en place de dispositifs antiprojection dans les établissements pénitentiaires. Par ailleurs, il est précisé que l’instauration de moyens renforcés destinés à lutter contre les trafics d’objets illicites doit être complétée par le renforcement des garanties entourant les fouilles en prison.

Il mentionne enfin neuf propositions formulées comme suit :

  • Proposition n° 1 : consacrer dans la loi la jurisprudence du Conseil d’État permettant de mettre en place un régime de fouilles systématiques pour certains détenus particulièrement dangereux sur une période limitée.
     
  • Proposition n° 2 : développer l’équipement des établissements pour peine en portiques à ondes millimétriques et mettre en place une évaluation systématique de l’utilité de chaque portail après son installation.
     
  • Proposition n° 3 : développer les équipes cynotechniques spécialisées dans la recherche de produits stupéfiants, d’armes, d’explosifs et d’argent liquide.
     
  • Proposition n° 4 : poursuivre la mise en place de dispositifs antiprojection dans les établissements pénitentiaires.
     
  • Proposition n° 5 : renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires notamment par la modernisation du système de vidéoprotection.
     
  • Proposition n° 6 : engager une réflexion sur les moyens de lutter contre le survol des établissements pénitentiaires par des drones.
     
  • Proposition n° 7 : favoriser un développement rapide des téléphones fixes en cellule et renforcer les dispositifs de brouilleurs d’ondes.
     
  • Proposition n° 8 : permettre aux avocats qui font une demande motivée auprès du directeur d’établissement pénitentiaire d’avoir accès aux informations contenues dans le registre des fouilles.
     
  • Proposition n° 9 : prendre en compte la problématique des projections dans la construction des futurs établissements pénitentiaires.

Il est indéniable que la sécurité et la garantie des droits de la personne détenue ne pourront être renforcées qu’au moyen d’une clarification du régime des fouilles en détention conformément aux standards internationaux et de l’octroi de moyens budgétaires plus importants destinés à la sécurité des établissements pénitentiaires.