Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Le foulard et la robe

La cour d’appel de Douai a rejeté les recours formés par une élève avocate, d’une part, et un avocat, d’autre part, appuyés par le défenseur des droits, contre une délibération du conseil de l’ordre. Par une modification du règlement intérieur, celui-ci entendait en effet interdire à l’avocat de porter, sur la robe, des signes distinctifs à l’occasion de ses activités judiciaires.

par Gaëlle Deharole 21 juillet 2020

La cour d’appel de Douai était saisie de demandes d’annulation d’une délibération du conseil de l’ordre qui, par une modification du règlement intérieur du barreau, interdisait aux avocats de porter à l’occasion de leurs activités judiciaires, sur le costume de leur profession, des signes distinctifs. C’est en audience solennelle que la cour se prononce en l’espèce sur les recours respectivement formés par une élève avocate, un avocat et le défenseur des droits.

Le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Lille avait en effet informé les avocats de son ordre d’une modification du règlement intérieur du barreau auquel était ajouté un alinéa relatif aux rapports aux institutions. Cette disposition prévoyait que « l’avocat ne peut porter avec la robe ni décoration ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique ». Cette modification était, selon le conseil de l’ordre, motivée par le souci de préserver l’unité de la profession et l’égalité entre confrères que symbolise le costume de la profession.

Une élève avocate demandait l’annulation de la délibération du conseil de l’ordre dont elle contestait la compétence pour limiter l’exercice des libertés fondamentales. Elle relevait encore que les avocats, qui ne sont pas des agents publics, ne sont pas tenus à une obligation générale de neutralité. Considérant que la délibération avait été prise à la suite de l’arrivée de la demanderesse à l’école de formation des avocats et aux difficultés qu’y avait suscitées le port de son foulard, un avocat critiquait également la délibération qui rendrait, selon lui, le conseil de l’ordre auquel il appartient coupable d’une grave discrimination basée sur le genre et la religion. Soulignant que cette délibération lésait ses intérêts moraux et portait gravement atteinte à l’image du barreau auquel il appartient, il concluait à la recevabilité de son action. Ces critiques formulées contre la délibération du conseil de l’ordre étaient encore appuyées par le défenseur des droits.

L’affaire soumise à la cour d’appel questionnait donc les recours contre une délibération du conseil de l’ordre (I) qui entendait interdire le port de signes distinctifs sur la robe de l’avocat (II).

I. Les questions relatives à l’exercice du recours contre la délibération du conseil de l’ordre

De façon générale, la matière est régie par l’article 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et par les articles 15 et 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. Selon la première de ces dispositions, « toute délibération ou décision du conseil de l’ordre étrangère aux attributions de ce conseil ou contraire aux dispositions législatives ou réglementaires est annulée par la cour d’appel, sur les réquisitions du procureur général. Peuvent également être déférées à la cour d’appel, à la requête de l’intéressé, les délibérations ou décisions du conseil de l’ordre de nature à léser les intérêts professionnels d’un avocat ». Les articles 15 et 16 du décret du 27 novembre 1991 prévoient, quant à eux, que, « lorsqu’un avocat s’estimant lésé dans ses intérêts professionnels par une délibération ou une décision du conseil de l’ordre entend la déférer à la cour d’appel, conformément au deuxième alinéa de l’article 19 de la loi du 31 décembre 1971 précitée, il saisit préalablement de sa réclamation le bâtonnier par lettre recommandée avec demande d’avis de réception dans le délai de deux mois à compter de la date de notification ou de publication de la délibération ou de la décision » (décr. n° 91-1197, 27 nov. 1991, art. 15). En cas de décision de rejet de la réclamation, l’avocat peut la déférer à la cour d’appel dans le délai d’un mois.

Ces dispositions réservent donc l’exercice de ces actions respectivement au procureur général et aux avocats. La cour d’appel devait donc se prononcer sur la recevabilité de l’action d’une élève avocate (A) qui arguait avoir prêté le « petit serment » et être « assimilée » à un avocat. Elle invoquait encore de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose que toute personne, dont les droits et libertés reconnus par la convention ont été violés, a droit à un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles (B).

A. Une élève avocate peut-elle exercer un recours contre une délibération du conseil de l’ordre ?

Le conseil de l’ordre et le procureur général soutenaient que le recours formé par la demanderesse était irrecevable au motif que celle-ci n’avait pas qualité pour agir dès lors qu’elle n’était pas avocate. La demanderesse soutenait quant à elle que les caractéristiques de l’élève avocat qui a prêté le « petit serment » l’assimilent à un avocat. Elle ajoutait avoir un intérêt né et actuel à l’exercice de ce recours dès lors que la modification du règlement intérieur avait était directement intervenue pour l’empêcher de prêter serment.

Cette argumentation est rejetée par la cour d’appel : le bénéfice des dispositions de l’article 15 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 est réservé à l’avocat, qualité dont ne disposait pas la demanderesse qui ne pouvait donc justifier d’un intérêt professionnel lésé par la délibération. Les juges ajoutent que le fait qu’elle ait prêté serment afin de pouvoir participer à la formation dispensée par une école directement liée dans son fonctionnement et son financement aux barreaux auxquels elle est rattachée n’est pas de nature à assimiler l’élève avocat à un avocat ni à lui conférer la qualité exigée par ce texte.

B. Une élève avocate peut-elle agir en violation des droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l’homme contre une délibération du conseil de l’ordre relative au costume de la profession ?

La demanderesse convoquait l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et soutenait que « toute personne dont les droits et libertés reconnus par la Convention ont été violés a droit à un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ». La cour d’appel rejette cette prétention : n’étant pas soumise au port de la robe, la demanderesse ne peut arguer d’une violation actuelle du droit de porter le foulard.

II. Les questions relatives à l’interdiction des signes distinctifs

Deux questions étaient soumises à la cour d’appel : la première portait sur la compétence du conseil de l’ordre pour prendre la délibération litigieuse (A), la seconde interrogeait directement la cour sur la nullité encourue (B).

A. Le conseil de l’ordre est-il compétent pour interdire le port de signes distinctifs sur la robe ?

La question des signes distinctifs arborés par les avocats sur la robe noire n’est pas nouvelle (Dalloz actualité, 7 déc. 2016, art. A. Portmann ; v. égal. E. Madranges, L’épitoge, accessoire historique du costume judiciaire, JCP 2017. 1273). Au demeurant, plusieurs organisations ont, dans leurs règlements intérieurs, introduit des normes réglementant le port des signes d’appartenance religieuse en leur sein (v. le rapport de M. le bâtonnier Le Mière). Ainsi, le conseil de l’ordre des avocats de Paris a interdit le port des signes distinctifs religieux, communautaires ou politiques sur la robe. Cette interdiction concerne également les élèves avocats lorsqu’ils seront en situation d’audience, c’est-à-dire lors des stages en juridiction, de la prestation du petit serment et des simulations d’audience (Dalloz actualité, 6 juill. 2015, art. A. Portmann). De la même façon, par une délibération du 5 décembre 2016, le conseil de l’ordre du barreau de Toulouse avait posé la règle selon laquelle « l’avocat ne peut porter avec la robe ni décoration ni signe manifestant une appartenance religieuse, communautaire, philosophique ou politique » (Dalloz actualité, 26 sept. 2018, art. J. Mucchielli). Dans le même sens, la conférence des bâtonniers avait, lors de son assemblée générale du 18 novembre 2016, rappelé « son attachement aux principes essentiels de la profession qui doivent conduire chaque avocat dans l’exercice de ses fonctions de défense et de représentation à effacer ce qui lui est personnel au profit de la défense de son client et du droit », affirmé « son attachement au port de la robe comme signe de cette disponibilité à tout justiciable et au service du droit et d’égalité entre les avocats » et appelé « les autorités à réglementer l’usage et la forme du costume d’audience, notamment en prescrivant l’interdiction d’ajouts personnels à la robe à l’exception des décorations françaises pour les audiences solennelles, et en disposant que les avocats se présentent tête nue dans l’exercice public de leurs fonctions d’assistance et de représentation » (E. Le Mière, Le costume de l’avocat est un symbole d’unité de la profession, Gaz. Pal., 29 nov., n° 42, p. 9-10). Saisie de cette question, la Cour de cassation (Civ. 1re, 24 oct. 2018, n° 17-26.166, Dalloz actualité, 25 oct. 2018, art. T. Coustet ; D. 2018. 2284 , note P.-L. Boyer ; ibid. 2019. 91, obs. T. Wickers ; D. avocats 2018. 392, obs. D. Landry  ; B. Beignier, Le rouge et le noir. Du port des insignes des distinctions honorifiques sur la robe d’avocat, JCP G 2018. 1336) avait jugé que « le principe d’égalité ne s’oppose pas à l’existence de décorations décernées en récompense des mérites éminents ou distingués au service de la Nation ». Aussi, « lorsqu’un avocat porte sur sa robe professionnelle les insignes des distinctions qu’il a reçues, aucune rupture d’égalité entre les avocats n’est constituée, non plus qu’aucune violation des principes essentiels de la profession ».

C’est en l’espèce la compétence du conseil de l’ordre pour modifier le règlement intérieur à ce sujet qui était posée à la cour. Dans son rapport, le bâtonnier Le Mière (rapport préc., p. 7) soulignait qu’« en charge du respect de la dignité de la profession, le conseil de l’ordre peut intervenir pour éviter que se développent des fantaisies vestimentaires transformant la robe en accessoire de mode ou en panneau d’affichage de revendications politiques, philosophiques ou religieuses. Le principal argument de motivation d’une telle réglementation est le suivant : lorsque l’avocat plaide pour son client, le port de la robe est le signe de l’effacement de ce qui lui est personnel au profit de la seule cause du client. Dès lors, lorsqu’on plaide, la règle pourrait être : “la robe, toute la robe, rien que la robe”. Une distinction peut être faite lorsque l’avocat porte son costume en dehors de la défense d’un justiciable : cérémonies, audiences solennelles, intervention en qualité de bâtonnier ou par délégation. Ici, le port de la robe est le signe de l’appartenance au barreau dans sa glorieuse dimension historique. Dans ce cas, le port des décorations pourrait être autorisé, dans la mesure où elles contribuent au rayonnement du barreau. En tout état de cause, il pourrait être constaté que le port de la toque est tombé en désuétude et serait aujourd’hui, non pas signe de dignité et d’indépendance, mais cause de ridicule pour la profession. Ainsi, il pourrait être disposé que les avocats plaident désormais tête nue, restant sauve la possibilité de se présenter aux audiences solennelles la toque à la main, conformément à l’usage en vigueur dans la magistrature ». 

Dans le même sens, la cour d’appel de Douai relève en l’espèce que le costume d’audience est une question intéressant l’exercice de la profession des avocats inscrits au barreau et considère que le conseil de l’ordre de ce barreau est bien compétent pour adopter une telle modification.

B. La délibération interdisant le port de signes distinctifs doit-elle être annulée ?

Jugée recevable, la demande d’annulation formée par l’avocat concerne la délibération dans son ensemble. Elle ne distingue donc pas selon les différents signes en question, qu’il s’agisse de signes religieux ou de décorations.

De façon générale, l’article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 impose aux avocats de revêtir, dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession (B. Bonnet et J. Ferron, Le port de signes religieux par les avocats, JCP A 2018. 2203). En l’espèce, la cour d’appel rappelle que ce costume est décrit par l’arrêté des consuls de la République du 2 nivôse, an II : « aux audiences de tous les tribunaux, les gens de loi et les avoués porteront la toge de laine, fermée sur le devant, à manches larges ; toque noire, cravate pareille à celle des juges ; cheveux longs ou ronds » (Dalloz actualité, 15 nov. 2013, art. M. Penverne). Ce costume de la profession est « le symbole de l’uniformité et de l’égalité entre les avocats » (E. Campana, cité par M. Penverne, art. préc. ; v. égal., Dalloz actualité, 18 févr. 2014, art. M. Babonneau). Sous cet éclairage, l’objectif recherché par le conseil de l’ordre est, selon la cour d’appel, « bien légitime et proportionné » car il « concourt à assurer l’égalité des avocats et, à travers celle-ci, l’égalité des justiciables qui est un élément constitutif du droit au procès équitable » (W. Meynet, Couvrez cet avocat que je ne saurais voir !, Rev. pratique de la prospective et de l’innovation 2017. 1). Selon la cour d’appel de Douai, en l’espèce, « afin de protéger les droits et libertés d’autrui et en l’espèce ceux du justiciable que l’avocat représente ou assiste, chaque avocat dans l’exercice de ses fonctions de défense et de représentation se doit d’effacer ce qui lui est personnel au profit de la défense de son client et du droit, le port de la robe sans aucun signe distinctif étant nécessaire afin de témoigner de cette disponibilité à tout justiciable. Dès lors l’interdiction édictée par la délibération litigieuse du 24 juin 2019 ne peut pas empêcher une femme portant le foulard de prêter serment et de devenir avocate, mais seulement restreindre la possibilité de garder le foulard quand cette avocate intervient devant une juridiction pour assister ou représenter un justiciable, la liberté qui lui est reconnue de manifester sa religion devant céder, lorsqu’elle intervient comme auxiliaire de justice, concourant au service public de la justice, devant la protection des droits et la liberté du justiciable ».

La cour conclut que « l’objectif recherché est ainsi bien légitime et l’exigence proportionnée, cette interdiction ne valant que lors des seules missions de l’avocat de représentation ou d’assistance d’un justiciable devant une juridiction ».