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Fourniture de masques aux avocats : rejet du référé-liberté

Le Conseil d’État a rejeté, lundi 20 avril, le référé-liberté lui demandant d’enjoindre à l’administration de fournir des masques et du gel hydroalcoolique aux avocats assurant leur mission en période d’épidémie.

par Julien Mucchiellile 21 avril 2020

Si les avocats sont un « rouage essentiel » du service public de la justice, dont les contentieux « essentiels », à l’ère du confinement sanitaire, perdurent, alors, disent les requérants (barreaux de Paris et de Marseille), les avocats qui assurent cette mission doivent être équipés de masques au même chef que les magistrats et personnels de justice, doivent être pourvus en gel hydroalcoolique, en somme, ils devraient faire l’objet par la Chancellerie d’une considération égale à celle portée aux autres acteurs, aux autres rouages du service public de la justice. C’était l’objet du référé-liberté soutenu mardi 14 avril devant le Conseil d’État, qui a rejeté, lundi 20 avril, la requête qui lui était présentée.

Les requérants, lors de l’audience, avaient mis en avant les obstacles très concrets empêchant la « distanciation sociale » et le respect des « gestes barrières », dans l’assistance des personnes poursuivies par la section P12 du parquet de Paris (traitement des infractions en temps réel), et dans l’assistance des gardés à vue. « L’exercice même de la défense induit une irréductible proximité physique entre l’avocat et son client. De fait, cette proximité est rendue obligatoire par l’extrême exiguïté des locaux dans lesquels ces derniers sont placés ensemble », expliquent les requérants, qui décrivent des boxes de deux mètres carrés sans aération, dans lequel l’avocat et son client échangent durant trente minutes, sans masque ni gel. Les requérants insistent sur le fait que « l’ensemble des échanges est placé sous le sceau du secret et de la confidentialité, et protégé au titre des droits de la défense ». Ainsi, même si la configuration des locaux permet que l’avocat se tienne à plus d’un mètre de son client, l’impératif de discrétion serait alors illusoire, et la confidentialité « inévitablement sacrifiée ». « À l’exiguïté, voire la vétusté des locaux, poursuivent les requérants, s’ajoute le fait que la personne suspectée puis éventuellement poursuivie dans le cadre d’une comparution immédiate aura été successivement en contact avec de nombreuses personnes, sans avoir pu avoir, parfois pendant plusieurs jours, accès à des produits d’hygiène, ou à une douche. »

Dans ces conditions, il est primordial pour les avocats de disposer du matériel nécessaire pour se protéger du virus (et éviter d’être un agent contaminant), tout en continuant à assurer sa mission « essentielle ».

Or, par un décret du 23 mars 2020, le gouvernement a réquisitionné l’ensemble des stocks de masques et a encadré la vente des gels hydroalcooliques. Ainsi, ni l’ordre des avocats au barreau de Paris ni même les avocats pris individuellement ne sont en mesure d’assurer leur propre protection – même à leurs frais – faute de pouvoir disposer du matériel disponible « dont la mise en œuvre est inhérente au fonctionnement actuel du service public », disent les requérants. Les juridictions ne peuvent pas davantage garantir un tel accès à leurs personnels ainsi qu’aux justiciables et auxiliaires de justice puisque la distribution des stocks de masques ou encore l’allocation de moyens financiers destinés à acquérir du gel hydroalcoolique dépendent entièrement de la décision gouvernementale et non de celle des chefs de juridictions.

De ce fait, les avocats n’ont d’autre choix que de se tourner vers l’administration, seule à même de fournir l’équipement adéquat à ses personnels et à ceux qui apportent leur concours au service public de la justice, en dépit des quelques efforts et aménagements faits par certaines juridictions, notamment Paris, qui ne peut, à son échelle, répondre aux besoins exprimés par les requérants.

Dès lors, l’absence à l’heure actuelle de tels moyens de protection au profit des avocats exerçant dans le cadre des contentieux d’urgence en matière pénale révèle, suivant le raisonnement des requérants, une carence grave et avérée de l’administration, laquelle suffit à caractériser l’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales. Sont également invoqués, comme dans toutes les requêtes en référé-liberté introduites depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, le droit à la vie et le droit à la protection de l’intégrité physique, garantis par les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, et présentant un « caractère absolu ».

Afin de démontrer que l’État n’était pas « en carence », l’administration, en réplique, a rappelé que la pénurie de masques, malgré l’effort important produit pour y remédier, perdure. Le 28 mars, le stock était de 117 millions de masques, selon les informations données en conférence de presse par le ministre de la santé. Ce stock doit être renforcé par les commandes de masques effectuées auprès de la Chine dès février 2010 (250 millions), et les 10 millions de masques produits en France chaque semaine – elle sera probablement autonome d’ici à la fin de l’année. De plus, la production d’industries et d’entreprises a été réorientée vers celle des masques. Par ailleurs, le total des commandes en Chine est désormais de 2 milliards de masques, et la passation de commandes continue. Il a été reçu la première semaine d’avril, 21 millions de masques arrivés grâce à un pont aérien. En attendant, la priorité est logiquement donnée aux personnels de santé qui, exposés plus que quiconque au virus covid-19, demeurent insuffisamment protégés. En outre, si le port de masques peut éventuellement être présenté comme un complément, dit l’administration, il ne doit pas induire un sentiment de fausse sécurité. Citant le directeur général de l’OMS, qui a déclaré qu’il était encore à prouver que les masques offrent réellement une barrière de protection aux populations, et que le stock limité devait d’abord échoir aux personnels soignants, l’administration a nuancé l’importance de fournir des masques aux avocats, surtout en regard de leur nombre limité.

Elle a surtout mis en avant les efforts consentis par le gouvernement, qui œuvre désormais à la fourniture de masques pour tout le monde, notamment les masques « alternatifs », dont l’efficacité certes limitée n’est pas nulle. Elle rappelle que les avocats peuvent se laver les mains et bénéficient, depuis les ordonnances prises le 25 mars, de la possibilité de s’entretenir avec leur client par voie électronique. Elle rappelle aussi que, le 8 avril dernier, le Conseil d’État avait estimé que les mesures prises par l’administration pénitentiaire pour faire face à l’épidémie en milieu carcéral ne révélaient « pas de carence de l’autorité publique portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées » (CE 8 avr. 2020, n° 439827).

Le Conseil d’État a détaillé les « efforts » fournis par l’administration, et noté qu’au vu de la situation actuelle, il ne pouvait retenir une « carence » dans l’action de l’administration, le gouvernement suivant une stratégie en matière d’approvisionnement et de fournitures de masques. Il a estimé que les avocats étaient en mesure de se procurer du gel hydroalcoolique, et que les efforts consentis pour l’organisation du travail (dématérialisation, distanciation lorsque cela est possible) devaient être soulignés. S’agissant des masques, le juge a dit : « Face à un contexte de pénurie persistante à ce jour des masques disponibles, il lui appartient d’en doter d’abord ses agents, à l’égard desquels il a, en sa qualité d’employeur, une obligation spécifique de prévention et de sécurité pour garantir leur santé et, tant que persiste cette situation de pénurie, d’aider les avocats qui, en leur qualité d’auxiliaires de justice, concourent au service public de la justice, à s’en procurer lorsqu’ils n’en disposent pas par eux-mêmes, le cas échéant en facilitant l’accès des barreaux et des institutions représentatives de la profession aux circuits d’approvisionnement ».