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Frais de logement adapté : caractère réparable du préjudice économique de la victime indirecte

L’assureur du responsable est tenu d’indemniser les victimes par ricochet du préjudice économique constitué par les frais engagés pour l’adaptation de leur propre logement au handicap de la victime initiale. 

par Anaïs Hacenele 19 octobre 2017

Le principe de réparation intégrale qui consiste à « rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et [de] replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu » (Civ. 2e, 25 mai 1960, Bull. civ. II, n° 342) s’applique tant à l’égard de la victime directe que de la victime par ricochet. L’arrêt sous commentaire en donne un bel exemple.

En l’espèce, à la suite d’un accident du travail, une victime se retrouva paraplégique. Ses proches assignèrent l’employeur et ses assureurs successifs en responsabilité et en indemnisation de leurs préjudices. La cour d’appel de Grenoble fit droit à leur demande et condamna in solidum la société employeur et ses assureurs. Un des assureurs forma un pourvoi en cassation, reprochant aux juges du fond de faire jouer la garantie alors que l’activité ayant donné lieu à l’accident n’entrait pas dans le cadre des activités déclarées de l’entreprise à son assureur et d’admettre l’indemnisation des préjudices subis par ricochet en aménagement leur domicile pour tenir compte du handicap de la victime directe alors que le préjudice d’adaptation du logement à la suite d’un handicap est un préjudice propre à la victime initiale dont elle est la seule à pouvoir demander et obtenir réparation.

La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt au visa des articles 565 et 566 du code de procédure civile reprochant à la cour d’appel d’avoir déclarer la demande d’une des victimes par ricochet irrecevable car sa demande était formée pour la première fois en appel alors qu’elle avait le même fondement que les demandes initiales et la même fin d’indemnisation du préjudice. En ce sens, elle complétait les demandes faites en première instance et elle n’avait rien de nouveau. Il s’agit là d’une application classique de l’exception, prévue par l’article 566 du code de procédure civile, au principe d’interdiction des prétentions nouvelles en cause d’appel (V. déjà, Civ. 2e, 1er févr. 2006, n° 05-13.291, Bull. civ. II, n° 28 ; D. 2006. 465 ; Gaz. Pal. 6-7 juill. 2007, p. 19, note E. du Rusquec ; V. sur ce point, Rép. pr. civ., Demandes nouvelles, par I. Pétel-Teyssié, n° 65).

Mais elle rejette deux des arguments du pourvoi.

D’une part, elle considère que l’accident est survenu pendant que la victime effectuait, à la demande de son employeur, une intervention sur une empileuse en planches et que par une appréciation souveraine, les juges du fond en ont conclu à l’utilisation de la machine dans le cadre des activités déclarées par l’entreprise à son assureur. Par conséquent, et en toute logique, la garantie de l’assureur doit s’appliquer.

D’autre part, et c’est, nous semble-t-il, l’apport le plus intéressant de l’arrêt, la Cour se prononce sur le préjudice constitué par les frais de logement adapté (FLA) au handicap de la victime directe à l’égard de celle-ci mais aussi de la victime par ricochet.

Elle confirme, dans un premier temps, que l’aménagement du logement de la victime directe pour l’adapter aux contraintes liées à son handicap est un préjudice qui lui est propre dont elle seule peut en demander réparation. La solution est ici classique. Elle s’inspire du Rapport Dintilhac (J.-P. Dintilhac (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, Doc. fr., 2006, p. 33) qui prévoit, au sein de la nomenclature des dommages corporels, un préjudice « logement adapté » comprenant les frais déboursés par la victime directe à la suite d’un dommage pour adapter son logement à son handicap et bénéficier d’une habitation tenant compte de celui-ci. Selon le Rapport, celui-ci peut résulter du simple aménagement du domicile préexistant comme de l’acquisition d’un domicile mieux adapté.

Les victimes de grand handicap (paraplégie, tétraplégie…) ne peuvent pas rester dans le logement qu’elles occupaient avant la survenance de l’accident sans, au moins, procéder à des modifications d’agencement. Soit elles continuent d’occuper ce logement en l’aménageant et se font indemniser des frais engagés. Soit elles sont contraintes d’en changer (par exemple elles sont en location et qu’elles ne peuvent pas effectuer de travaux). La question s’est posée de savoir si elles pouvaient obtenir une indemnisation du coût de l’acquisition du nouveau logement. Les assureurs se sont bien évidemment prononcés contre en avançant le fait que cela constituerait pour la victime un enrichissement personnel qui contreviendrait au principe de la réparation intégrale. Pour eux, seuls les frais d’adaptation du logement et le surcoût de l’acquisition due au handicap sont directement imputable à l’accident. Pas le reste.

La Cour de cassation a pourtant décidé que le responsable et son assureur sont tenus d’indemniser la victime à hauteur du prix d’achat du nouveau logement. Elle a une conception large du préjudice d’adaptation du logement. Elle considère que si la nature du handicap de la victime la contraint à acheter un logement et à réaliser dedans des aménagements nécessaires, le préjudice d’adaptation du logement peut être constitué par tous les frais qui en résultent jusqu’au coût entier de l’acquisition (Civ. 2e, 9 oct. 1996, n° 94-19.763, D. 1996. 234 ; 11 juin 2009, n° 08-11.127 ; 3 nov. 2011, n° 10-26.997 ; 5 févr. 2015, n° 14-16.015 ; 3 mars 2016, n° 15-16.271, D. 2016. 2187, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; 2 févr. 2017, n° 15-29.527 ; 18 mai 2017, n° 16-15.912, Dalloz actualité, 8 juin 2017, obs. N. Kilgus , note G. Hilger ). Elle décide également que l’assureur du responsable est tenu de garantir à la fois les frais engagés par l’aménagement du logement des parents hébergeant la victime puis l’achat d’un nouveau logement pour celle, une fois son état consolidé (Civ. 2e, 14 avr. 2016, n° 15-16.625 et n° 15-22.147, Dalloz actualité, 21 avr. 2016, obs. N. Kilgus ; ibid. 2187, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 375, obs. M. Mekki ; RGDA 2016. 305, note J. Landel)

C’est donc « le critère de la nécessité de l’acquisition, au regard de la situation de la victime, qui détermine la décision du juge » (Y. Lambert-Faivre et S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, 8e éd., Dalloz, 2016, n° 177, p. 158).

Ce préjudice reste toutefois propre à la victime initiale. Ce que la Cour de cassation confirme dans l’arrêt du 5 octobre 2017. Par conséquent, les victimes par ricochet ne peuvent pas demander réparation d’un préjudice constitué par l’aménagement du logement de la victime.

Dans un second temps, elle précise, néanmoins, qu’elles peuvent le faire pour leur propre logement. Si, pour tenir compte du handicap de la victime directe, ses proches modifient leur propre habitation, cette modification peut constituer un préjudice réfléchi dont elles peuvent demander réparation. Les frais ainsi engagés sont susceptibles de donner lieu à un préjudice économique subi personnellement par les victimes indirectes. Ainsi, pour savoir si le préjudice est propre à la victime directe ou s’il est réfléchi, il convient de regarder le logement qui subit les modifications.

L’accident de la victime principale peut entraîner des dépenses pour ses proches. À ce propos, la nomenclature Dintilhac prévoit la possibilité d’indemnisation des préjudices patrimoniaux des victimes indirectes d’un dommage corporel subi par la victime directe. Elle vise notamment des frais engagés par les proches avant et après consolidation du dommage comme le transport, l’hébergement ou la restauration. Cette liste n’étant pas limitative, la Cour n’hésite pas à l’étendre à d’autres préjudices sans les rattacher de façon formelle à la nomenclature (V., par ex., pour l’achat d’une voiture par un proche de la victime directe pour aller lui rendre visite, Civ. 2e, 4 juill. 2013, n° 12-24.164, inédit).

Le caractère réparable des frais engagés par les proches de la victime directe dépend du lien de causalité avec l’accident. Ce lien de causalité est apprécié souverainement par les juges du fond (V., Y. Lambert-Faivre et S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, op. cit.), ce que rappelle, ici, la Cour de cassation en affirmant que ce son eux qui apprécient si ce préjudice économique est constitué. Les modifications apportées aux différents logements doivent être la conséquences des séquelles de l’accident et non d’un choix purement personnel (Civ. 2e, 18 mai 2017, préc.). En l’espèce, les modifications faites par les parents et le frère de la victime directe pour adapter leur logement au handicap de celle-ci étaient suffisamment justifiées pour constituer un préjudice réfléchi économique donnant lieu à une prise en charge par l’assureur du responsable.

Rappelons que la Cour de cassation a d’abord décidé que la rémunération d’une tierce personne et l’aménagement du logement constituaient des préjudices propres à la victime directe dont ne pouvait pas demander réparation la victime par ricochet (Civ. 2e, 19 mars 1997, n° 94-21.978, Bull. civ. II, n° 87), avant d’accepter qu’elle puisse demander une indemnisation pour les frais engagés pour la rémunération d’une tierce personne au titre d’un préjudice personnel (Civ. 2e, 13 juin 2013, n° 12-15.632, D. 2013. 2658, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; Gaz. Pal., 8 oct. 2013, p. 27).

Par l’arrêt du 5 octobre 2017, la deuxième chambre admet la possibilité pour la victime par ricochet, au titre de son préjudice économique personnel, de se faire indemniser des frais engagés pour l’aménagement de son propre logement. Elle étendait le préjudice « logement adapté » au handicap de la victime directe aux victimes par ricochet, au point de revenir entièrement sur sa position initiale.

Finalement, par cet arrêt, la Cour de cassation reste fidèle à la politique jurisprudentielle qu’elle mène depuis longtemps au profit des victimes de graves dommages corporels et depuis quelques années, au profit de leurs proches. La solution, moins favorable aux assureurs, pourrait être l’occasion de raviver la controverse qu’elle soulève quant au respect du principe de la réparation intégrale.