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La France sur la voie de la ratification du protocole n° 16 à la Convention européenne

Annoncée par le président de la République le 31 octobre dernier lors de sa visite à la CEDH (v. Dalloz actualité, 2 nov. 2017, art. T. Coustet187429), la ratification du protocole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme était débattue mercredi par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

par Pierre Januelle 9 février 2018

Ce protocole met en place un mécanisme facultatif de consultation de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) par de « hautes juridictions nationales ». Son but est de renforcer le dialogue entre les juridictions nationales et la CEDH.

Un mécanisme consultatif et préventif

Selon le protocole, les plus hautes juridictions pourront « adresser à la CEDH des demandes d’avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles », concernant une juridiction nationale dans le cadre d’une affaire pendante devant elle. Selon le gouvernement français, cette question de principe renvoie principalement à trois hypothèses :

  • quand l’affaire soulève une question inédite ;
  • quand la juridiction nationale souhaite que la Cour revienne sur une jurisprudence établie ;
  • quand l’affaire fait apparaître un problème structurel ou systémique.

Un collège de cinq juges de la grande chambre étudiera la recevabilité des demandes d’avis, qui pourront être rejetées de manière discrétionnaire (mais ces refus devront être motivés).

Ce sera ensuite la grande chambre qui donnera son avis. Le protocole ne prévoit pas de délai d’examen mais ces demandes bénéficieront d’un traitement prioritaire. Comme le note le rapport de la députée LR Bérengère Poletti, des délais excessifs (plus de trois à six mois) pourraient avoir un effet dissuasif.

Les avis de la grande chambre, bien que publics, n’auront pas de caractère contraignant, ni pour la haute juridiction nationale ni pour la CEDH. Toutefois, comme le note le rapport, « les avis exprimeront l’interprétation des dispositions de la Convention telle que conçue par la CEDH, il serait contraire au bon sens de ne pas les suivre », d’autant qu’en cas de saisine ultérieure, la grande chambre ne devrait pas se déjuger.

Une position française plus enthousiaste qu’ailleurs en Europe

Ouvert à la signature depuis octobre 2013, le protocole n’a été signé que par 18 pays et ratifié par 8 (il en faut 10 pour permettre son entrée en vigueur). Dans son rapport, Bérengère Poletti note que certaines juridictions suprêmes nationales sont très réticentes. Plusieurs États ont d’ailleurs manifesté leur refus (Allemagne, Russie, Pologne, Royaume-Uni), d’autres ayant une position attentiste.

Les hautes juridictions françaises sont au contraire plutôt allantes sur ce protocole, soulignant un bon dialogue avec la CEDH depuis une dizaine d’années. La France ne représente qu’un faible pourcentage du contentieux européen, le nombre d’arrêts restant stable (autour d’une vingtaine, dont la moitié sont des constats de violation). Pour la rapporteure, une autre raison de ce rapprochement est la meilleure prise en compte par la CEDH des particularités nationales (notamment concernant la laïcité ou l’asile).

Selon les représentants de la Cour de cassation et du Conseil d’État, auditionnés par la rapporteure, ce mécanisme d’avis consultatif répond à un véritable besoin. Il évitera aux hautes juridictions de se voir ensuite démentir par la CEDH. D’autant qu’elles garderont la main sur les demandes d’avis formulés. Parmi les cas où ces avis préalables auraient pu être utiles, le rapport cite les arrêts de 2010 sur la garde à vue, celui de 2011 sur la retranscription d’état civil d’enfants nés de GPA à l’étranger ou les arrêts du Conseil d’État sur les libertés syndicales dans l’armée. Toutefois, ces demandes d’avis devraient être rares.

En France, la saisine sera réservée à la Cour de cassation, au Conseil d’État et au Conseil constitutionnel (qui, interrogé par le gouvernement, s’est déclaré favorable). Le Tribunal des conflits n’a pas été inclus à cette liste, qui pourra cependant être modifiée par une simple déclaration auprès du secrétaire général du Conseil de l’Europe.

Des questions sur l’application du protocole

Des difficultés pratiques pourraient toutefois se poser. Le Conseil d’État et la Cour de cassation doivent parfois se prononcer dans des délais très contraints, en particulier en matière pénale, ce qui rendra délicat le dépôt d’une demande d’avis préalable.

Par ailleurs, le rapport explicatif précise que la juridiction pourra être amenée à présenter, « si cela est possible et opportun, un exposé de son propre avis sur la question, y compris toute analyse qu’elle a pu faire de la question ». La Cour de cassation considère qu’un exposé de son propre avis sera peu compatible avec le principe du secret du délibéré. Le Conseil d’État ne partage pas cette réserve.

Se pose aussi la question de l’articulation entre CEDH et Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Comme le rappelle le rapport, « en vertu de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne [TFUE], les juridictions suprêmes françaises sont tenues de saisir la CJUE d’une question préjudicielle en cas de question sur l’interprétation des traités ou sur la validité ou l’interprétation des actes dérivés ». La saisine de la CJUE sera donc prioritaire sur celle de la CEDH. Mais ce protocole ne résoudra pas les conflits de légitimité entre CEDH et CJUE, soulignés par le rapport.

Adopté à l’unanimité par la commission des affaires étrangères, le projet de loi de ratification sera débattu jeudi prochain en séance.