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La « fraude au président » de nouveau devant la Cour de cassation

Dans deux arrêts rendus le 12 juin 2025, la chambre commerciale rappelle et précise sa jurisprudence sur la mise en jeu de la responsabilité des établissements bancaires pour défaut à leur devoir de vigilance.

Le droit bancaire est à l’honneur avec quatre arrêts rendus le 12 juin 2025 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (v. égal., sur les comptes d’un mineur, Com. 12 juin 2025, n° 24-13.604, nos obs. à paraître au Dalloz actualité ; sur les opérations de paiement non autorisées, Com. 12 juin 2025, n° 24-13.777, nos obs. à paraître au Dalloz actualité).

Aujourd’hui, nous étudions deux de ces décisions qui portent sur un sujet commun, à savoir la fameuse « fraude au président ». Déjà croisée au sein de ces colonnes à l’automne dernier (Com. 2 oct. 2024, n° 23-13.282 F-B, Dalloz actualité, 9 oct. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 33 , note J. Lasserre Capdeville ; RCJPP 2025, n° 01, p. 49, chron. O. Salati et S. Piédelièvre ; RTD com. 2024. 980, obs. D. Legeais ), cette escroquerie a le vent en poupe en raison de sa simplicité qui n’a d’égale que sa redoutable efficacité. L’importance des solutions dégagées par les arrêts du 12 juin 2025 est soulignée par la publication d’un communiqué sur le site internet de la Cour, ce qui n’est pas anodin. Un tel effort de communication permet à la fois de contribuer à l’unification de l’interprétation jurisprudentielle poursuivie par la Haute juridiction mais également de mieux faire connaître les conséquences d’une fraude maintenant répandue. Celle-ci n’implique pas, en effet, un mécanisme de remboursement aussi favorable que les dispositions du code monétaire et financier au titre des opérations de paiement non autorisées. La nuance peut paraître subtile mais elle reste fondamentale. Comme nous allons l’examiner, les fraudes au président reposent sur une autorisation préalable d’une personne habilitée, laquelle a été dupée par l’escroc. Certaines règles favorables aux victimes doivent donc être tenues en échec.

Reprenons les faits pour mieux comprendre les enjeux suscités par les deux pourvois.

En ce qui concerne l’affaire n° 24-13.697, une société titulaire d’un compte auprès d’un établissement conclut une extension de contrat de banque à distance afin de donner mandat à un tiers pour « régir et administrer l’ensemble de ses comptes bancaires » (pt n° 1, nous soulignons). Un salarié du mandataire ordonne, entre le 10 février 2020 et le 9 mars suivant, onze virements à la suite d’une escroquerie par usurpation d’identité. Le montant distrait n’est pas indiqué dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation mais figure au sein de la décision d’appel (Angers, 23 janv. 2024, n° 22/01008, disponible sur la base de données Dalloz). Les onze opérations avaient abouti à une somme de 1 297 158,32 €. Le dirigeant de la société cliente s’est rendu compte de l’escroquerie en raison d’un appel de son établissement bancaire afin de confirmer une augmentation de l’ouverture de crédit.

La situation s’enlise car la banque refuse un remboursement intégral des sommes litigieuses. La société l’assigne donc devant les juridictions compétentes afin d’obtenir réparation du préjudice subi en raison du manquement reproché au devoir de vigilance en la matière. En cause d’appel, les juges du fond font droit à cette demande en caractérisant des anomalies apparentes au sein des virements ordonnés par le salarié du mandataire. Au préalable, la cour d’appel avait écarté l’application des dispositions des articles L. 133-18 et suivants du code monétaire et financier puisque les opérations en question avaient été autorisées au sens de ces textes.

Nous l’aurons compris, la banque se pourvoit en cassation. Cette dernière réitère sa volonté de voir appliquer le corpus de règles spéciales du code monétaire et financier. Elle souhaite, à titre subsidiaire, voir sa responsabilité contractuelle écartée. L’établissement bancaire estime qu’il a pu contacter une personne habilitée à émettre des ordres de virement empêchant la mise en jeu de l’article 1147 ancien du code civil.

En ce qui concerne l’affaire n° 24-10.168, on retrouve la même architecture de fraude. C’est le comptable du client qui a, cette fois-ci été trompé par de faux courriels envoyés au nom du dirigeant. Dans ce contexte, ledit comptable a transmis plusieurs ordres de virement, entre le 14 mai 2019 et le 17 mai suivant, pour un montant de 384 625,41 € au profit d’une société dont le compte était ouvert dans les livres d’une banque située en Hongrie. La lecture de l’arrêt d’appel nous apprend, là-encore, quelques données intéressantes (Paris, 8 nov. 2023, n° 21/20107, disponible sur Judilibre). Le dernier virement opéré a pu être récupéré par l’établissement bancaire français pour une somme de 98 919,50 € laquelle a été restituée à la société cliente. Sur le reliquat de 285 705,91 € (384 625,41 - 98 919,50), cette dernière ne parvient pas à trouver un accord avec sa banque. C’est dans ce contexte que l’affaire est portée devant les juridictions compétentes, la victime arguant d’un manquement au devoir de vigilance de sa banque. En cause d’appel, les juges du fond considèrent qu’aucune anomalie apparente ne peut être caractérisée en l’espèce. Les prétentions de la société sont donc rejetées.

C’est ainsi la cliente qui se pourvoit en cassation en reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir correctement appliqué les critères afin d’identifier une anomalie apparente dans le contexte d’une fraude au président. 

Les deux arrêts du 12 juin 2025 sont particulièrement importants. Même si ces derniers confirment des cheminements désormais connus, les précisions délivrées ne manqueront pas d’intéresser la pratique bancaire.

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