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La France est dépourvue d’estimation officielle de la fraude fiscale et sociale. Un nouveau rapport parlementaire minimise le phénomène. Pourtant, plusieurs études laissent entendre que le manque à gagner pour les finances publiques est colossal.
par Ludovic Arbeletle 4 avril 2019
« Est-ce que votre pays estime le manque à gagner en matière d’impôt sur les bénéfices des entreprises ou prévoit de le faire ? » Cette question, posée par la Commission européenne, semble déranger la France, le Royaume-Uni et l’Irlande. Ce sont les seuls États membres de l’Union européenne qui n’y avaient pas répondu à la date de mi-2017. Depuis la révélation de cette information, la France s’est engagée à faire officiellement la lumière sur un phénomène plus large, celui du chiffrage de la fraude fiscale et sociale – et même plus généralement de celui du manque à gagner. En septembre dernier, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des comptes publics, a annoncé la création d’un observatoire. Mais six mois plus tard, aucun résultat n’est sorti de cette structure qui se cherchait toujours un président il y a un mois.
Pourtant, « les fraudes fiscale et sociale sont les principales atteintes aux finances publiques », rappellent les députés Ugo Bernacilis et Jacques Maire dans un rapport qu’ils viennent de publier. Est-ce à dire que les deux parlementaires font des révélations sur les sommes en jeu ? Non. Ils ont même tendance à minimiser le phénomène. « Les rapporteurs ont fait le choix de ne pas s’appesantir sur le sujet de la fraude fiscale d’autant que la question de son évaluation, très complexe, est traitée de façon détaillée dans le rapport de la mission d’information relative à l’évasion fiscale internationale des entreprises, publié le 12 septembre 2018 ».
Quid de la fraude sociale ?
Or que dit cette mission d’information de 2018 ? Elle prétend que les montants éludés en France, chaque année, varient entre 2,4 et 80 milliards d’euros, sans que l’on sache où se situe la réalité dans cette fourchette extrêmement large (V. ci-dessous ce qui peut expliquer les écarts). Et encore, ce document ne fournit que des estimations du manque à gagner fiscal. La fraude aux cotisations sociales n’est pas chiffrée. Pourtant, les sommes en jeu sont potentiellement considérables avec là aussi des écarts conséquents selon les études. Le problème numéro un réside dans le travail dissimulé.
Selon l’ACOSS, il représenterait, dans le secteur privé, chaque année, selon la méthode utilisée, entre 4,4 et 24,7 milliards d’euros de cotisations sociales éludées – ces données portent toutefois sur l’année 2012. On arrive donc à une fraude fiscale et sociale qui pourrait atteindre près de 105 milliards d’euros (80 + 24,7) par an si l’on cumule l’estimation du syndicat Solidaires finances publiques sur la fraude fiscale et celle de l’ACOSS sur la fraude sociale.
Fraude fiscale et sociale : d’où viennent les écarts considérables
La mission d’information parlementaire de 2018 sur l’évasion fiscale internationale des entreprises évoque un manque à gagner fiscal qui varie entre 2,4 et 80 milliards d’euros par an. Ces écarts tiennent à plusieurs raisons. Tout d’abord parce que les études abordent parfois des notions qui sont différentes. Par exemple, certaines s’intéressent à la fraude fiscale alors que d’autres y ajoutent la zone grise de l’évasion fiscale. Cette notion d’évasion est ambivalente car elle peut recouvrir une pratique illégale, ainsi assimilée à de la fraude, comme légale, ainsi assimilée à de l’optimisation.
Autre facteur, celui de l’approche utilisée laquelle peut donner des résultats différents.Les méthodes dites directes, également appelées top-down ou macros, déterminent les prélèvements obligatoires théoriques pour en déduire le manque à gagner. Les méthodes indirectes, également dénommées bottom-up ou micros, s’appuient quant à elles sur l’observation d’un échantillon de contribuables pour en déduire des conclusions générales.
Une étude chiffre à 11 % le poids de l’économie parallèle en France
Le rapport de ces deux députés occulte également la publication d’une autre étude dont les médias se sont peu fait l’écho. Réalisée par Richard Murphy – un enseignant et expert-comptable très engagé dans la lutte pour la justice fiscale – pour le groupe parlementaire européen des socialistes et démocrates, elle conclut que le poids de l’économie souterraine avoisinait en France en 2015 un taux de 11,09 % du PIB, soit l’équivalent d’une fraude fiscale et sociale de 118 milliards d’euros. Il est important de noter que cette étude se base sur trois sources de données dont une provenant du fonds monétaire international (FMI) et une autre publiée par la Commission européenne laquelle avait pour origine d’estimer le manque à gagner de la France en matière de TVA – une notion qui est plus large que la seule fraude – et dont le montant s’élèverait à 21 milliards d’euros en 2016.
Bref, il y a du grain à moudre. Pourtant, pour l’éditorialiste des Echos Dominique Seux, « il n’y a pas de trésor caché. Les comportements répréhensibles et condamnables existent, mais il est difficile, par définition, d’en évaluer l’importance ». Une position curieuse : comment peut-on à la fois affirmer qu’il n’y a pas de trésor (public) caché, reconnaître que la fraude existe et qu’il est difficile de quantifier le phénomène ? La question n’est pas de savoir s’il existe un trésor caché. Elle est de connaître son montant, de détecter où il se trouve et de comprendre pourquoi il existe. D’où l’intérêt d’un observatoire pour sortir de l’omerta.
La France aurait perdu 118 milliards d’euros de recettes publiques en 2015 (montants en milliards d’euros)
Source : The European Tax Gap, Richard Murphy, janvier 2019 ; montants, en milliards d’euros, des recettes fiscales et sociales éludées en raison de l’économie souterraine.
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