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Fumée verte : renvoi de « l’Affaire du siècle » devant la Cour administrative d’appel de Paris

En faisant application du raisonnement issu de son avis contentieux du 27 juin dernier, le Conseil d’État prononce le renvoi en appel de « l’Affaire du siècle ». Si cette décision n’est pas juridiquement fondée sur la spécificité de l’action en réparation du préjudice écologique prévue par le code civil, elle permet de rappeler que l’exécution par l’État des conclusions à fin d’injonction de prendre des mesures utiles afin de le réparer et prévenir son aggravation, dans le cadre d’une politique climatique globale, constitue le cœur du litige. 

Pour rappel, dans un jugement avant dire droit (TA Paris, 3 févr. 2021, Oxfam FranceNotre affaire à tousGreenpeace FranceFondation pour la nature et l’homme, n° 1904967, Dalloz actualité, 4 févr. 2021, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2021. 239 ; ibid. 2115 ; ibid. 2228 ; ibid. 2115, note H. Delzangles , note J. Bétaille ; D. 2021. 240, obs. J.-M. Pastor ; ibid. 709, chron. H. Gali ; ibid. 1004, obs. G. Leray et V. Monteillet ; JA 2021, n° 634, p. 12, obs. X. Delpech ; AJCT 2021. 255, obs. M. Moliner-Dubost ; RFDA 2021. 747, note A. Van Lang, A. Perrin et M. Deffairi ), le Tribunal administratif de Paris reconnaissait la carence fautive de l’État, constitutive d’un préjudice écologique au sens de l’article 1246 du code civil, pour le dépassement du budget carbone de la période 2015-2018 (Décr. n° 2020-457 du 21 avr. 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la SNBC). Le tribunal ordonnait alors un supplément d’instruction et prononçait une condamnation en réparation du préjudice moral subi par les associations, d’un montant d’un euro symbolique à verser à chacune, sans accueillir les conclusions similaires au titre du préjudice écologique « pur ». Quelques mois plus tard, le tribunal enjoignait au gouvernement de prendre, d’ici fin 2022, toutes mesures utiles pour réparer la part quantifiable de l’excédent restant, de l’ordre de 15 millions de tonnes équivalent CO₂, et pour prévenir son aggravation. Il rejetait également la demande d’astreinte (TA Paris, 14 oct. 2021, Oxfam, n° 1904967, Dalloz actualité, 18 oct. 2021, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2022. 929 , note R. Radiguet ; ibid. 2021. 2063 ; D. 2021. 1924, obs. J.-M. Pastor ).

Enfin, saisi en exécution du jugement de 2021 prononçant l’injonction, le tribunal administratif de Paris refusait de faire droit aux demandes d’exécution supplémentaires et d’astreintes sollicitées par les associations, constatant que des mesures avaient été prises par l’État depuis octobre 2021 et que le dépassement du budget carbone était presque complètement compensé fin 2022 (TA Paris, 22 déc. 2023, Oxfam France, Notre Affaire à Tous, Greenpeace France, n° 23211828/4-1). La pierre d’achoppement avec les associations réside dans le fait que les baisses d’émissions enregistrées à partir de 2020 ne sont pas majoritairement la conséquence de mesures utiles mises en œuvre par l’État sur le plan d’une action climatique mais substantiellement le fait d’un contexte favorable engendré par des événements exogènes (crise du covid-19, climat hivernal plus doux et baisse de la consommation d’énergie fossile depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022).
 

Le fondement juridique du double degré de juridiction dans le cadre de l’« Affaire du siècle »

Les associations avaient initialement saisi le Conseil d’État en cassation contre le jugement de décembre 2023, et non la Cour administrative d’appel de Paris, car les conclusions pécuniaires présentées devant le tribunal se rattachaient a priori, par leur chiffrage symbolique, aux actions indemnitaires dont le montant réclamé est inférieur à 10 000 € (seuil déterminé par les art. R. 222-14 et R. 222-15 CJA) au sens de l’article R. 811-1 du code de justice administrative fixant la liste des litiges jugés en premier et dernier ressort. L’article prévoit toutefois une exception en cas de « connexité avec un litige susceptible d’appel » (art. R. 811-1, al. 19). La connexité visait sans doute à l’origine le cas de conclusions à objet pécuniaire en excès de pouvoir (v. l’art. R. 811-1 dans sa version issue du décr. du 24 juin 2003, qui traitait des « conclusions tendant au versement ou à la décharge des sommes » et non des « actions indemnitaires »).

La combinaison de conclusions indemnitaires faibles et de conclusions à fin d’injonction : un cas de connexité avec un litige susceptible d’appel

En cas de dommage causé par un comportement fautif d’une personne publique (CE 27 juill. 2015, n° 367484, Dalloz actualité, 31 juill. 2015, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon ; AJDA 2015. 1514 ; ibid. 2277 , note A. Perrin ; AJCT 2016. 48, obs. S. Defix ) ou en raison de la faute commise par la personne publique en s’abstenant de mettre fin au dommage à l’issue de l’engagement d’une responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics (CE 6 déc. 2019, Syndicat des copropriétaires du Monte Carlo Hill, n° 417167, Dalloz actualité, 10 déc. 2019, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon avec les concl. ; AJDA 2020. 296 , chron. C. Malverti et C. Beaufils ; ibid. 2019. 2519 ; AJCT 2020. 212, obs. M.-C. Rouault ; RFDA 2020. 121, concl. G. Pellissier ; ibid. 333, note J. Petit ; RTD com. 2020. 307, obs. F. Lombard ), le juge de la responsabilité peut prescrire une injonction, non sur le fondement des articles L. 911-1 et 2 du code de justice administrative, mais au titre de ses pouvoirs propres de pleine juridiction s’il est saisi en ce sens. De telles conclusions à fin d’injonction de mettre fin au comportement fautif et au dommage qui perdurent à la date à laquelle le juge statue, ou à en pallier les effets, doivent, à peine d’irrecevabilité, être présentées en complément de conclusions indemnitaires (CE, avis, 12 avr. 2022, « La Closerie », n° 458176, Dalloz actualité, 21 avr. 2022, obs. E. Maupin ; Lebon ; AJDA 2022. 774 ; AJCT 2022. 467, obs. M.-C. Rouault ; ibid. 635, étude M.-C. Rouault ). Dans un registre...

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