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Fusion du CSA et de la HAPODI : l’ARCOM aura-t-elle les moyens de ses ambitions ?

La loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique a été publiée au Journal officiel. Saisi par plus de soixante sénateurs, le Conseil constitutionnel a jugé le projet de loi partiellement conforme.

Par communiqué de presse publié le 26 octobre 2021, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et la Haute Autorité pour la diffusion et la protection des droits sur internet (HADOPI) se sont félicités de la publication de ce texte qui consacre la naissance de l’ARCOM au 1er janvier 2022. Présentée non pas comme une « simple juxtaposition de compétences » mais comme « le support et le moteur d’une nouvelle politique publique en modernisant l’exercice de la régulation », l’ARCOM devrait permettre de constituer un régulateur aux compétences élargies notamment en matière de lutte contre la contrefaçon sur internet. En sus de ses nouvelles missions, l’ARCOM devrait être amenée à traiter « d’importants dossiers » dès sa naissance, et l’on pense nécessairement au projet de fusion TF1/M6 qui a été annoncé pour la fin de l’année 2022, et ce dans « un souci de pluralité de l’offre et d’équilibre économique du paysage ».

Quelle est la composition de l’ARCOM ? Quels sont les compétences, missions et outils à la disposition de l’ARCOM ? Quels sont les nouveaux mécanismes mis en place ? Les sanctions seront-elles plus dissuasives que celles de la HADOPI ?

Composition de l’ARCOM

L’ARCOM sera composée de neuf membres nommés par décret en raison de leurs compétences en matière économique, juridique, technique ou de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication audiovisuelle ou électronique.

Le président de l’ARCOM sera nommé par le président de la République. Trois membres seront désignés par le président de l’Assemblée nationale et trois autres par le président du Sénat. Enfin, un membre en activité du Conseil d’État et un de la Cour de cassation seront désignés respectivement par le vice-président du Conseil d’État et le premier président de la Cour de cassation.

Le mandat de ces membres sera de six années non renouvelable.

Les compétences et missions de l’ARCOM

La loi n° 2021-1382 modifie l’article L. 331-13 du code de la propriété intellectuelle en énonçant les trois principales missions de l’ARCOM :

  1. une mission de protection des œuvres et objets auxquels sont attachés un droit d’auteur, un droit voisin ou un droit d’exploitation audiovisuelle mentionné à l’article L. 333-10 du code du sport, à l’égard des atteintes à ces droits commises sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ;
     
  2. une mission d’encouragement au développement de l’offre légale et d’observation de l’utilisation licite et illicite des œuvres et objectifs mentionnés au 1) ;
     
  3. une mission de régulation et de veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d’identification des œuvres et des objets protégés.

L’ARCOM hérite des missions jusqu’à présent confiées à la fois au CSA et à la HADOPI et devient ainsi l’organe central de régulation de la communication. La régulation audiovisuelle qui était de la compétence du CSA est étendue à l’ensemble de la communication au public par voie électronique.

L’ARCOM dispose donc d’une compétence ainsi que de pouvoirs élargis : elle assurera une mission de conciliation mais sera également dotée d’un pouvoir d’information et d’enquête qu’elle exercera par le biais de ses agents. Les compétences et les pouvoirs de contrôle et d’enquête dont le CSA disposait sont modernisés.

La nouvelle autorité pourra également échanger des informations avec l’Autorité de la concurrence, notamment lorsqu’elle sera consultée pour avis sur des projets de concentration et de fusion dans le secteur de l’audiovisuel, « sans que le secret des affaires puisse y faire obstacle » (L. n° 86-1067, 30 sept. 1986, art. 41-4 mod.).

Les outils mis à la disposition de l’ARCOM pour lutter contre le piratage en ligne

Le sujet majeur à la genèse du projet de loi était la lutte contre les nouvelles pratiques digitales illicites. Deux constats avaient été formulés : la modification des pratiques digitales des Français qui ont de plus en plus accès aux œuvres par streaming, téléchargement en direct ou IPTV et la forte augmentation des biens culturels dématérialisés qui s’accompagne d’un regain des pratiques illicites.

Un des objectifs principaux de la loi est la lutte de manière plus efficace contre le streaming illégal, contre lequel la HADOPI ne pouvait pas agir, par la mise en place de deux mécanismes innovants.

L’article L. 331-25 du code de la propriété intellectuelle est modifié afin de prévoir un système de « liste noire » que l’ARCOM pourra rendre publique. Elle y inscrira le nom et les agissements de sites qui portent atteinte « de manière grave et répétée » aux droits d’auteur ou aux droits voisins, à partir de constats d’infractions recueillis. Cette liste pourra notamment servir d’appui pour les actions judiciaires des ayants droit.

Le deuxième mécanisme consiste à lutter contre les sites miroirs. L’article L. 331-27 du code de la propriété intellectuelle tel qu’énoncé dans la loi prévoit que lorsqu’une décision judiciaire passée en force de chose jugée ordonne toute mesure propre à empêcher l’accès à un service de communication au public en ligne, l’ARCOM peut demander à toute personne visée par cette décision d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service condamné.

Ces outils sont destinés à lutter contre le phénomène de répétition des infractions sur internet, dans la mesure où les sanctions judiciaires de blocage ou de déréférencement des sites illicites sont facilement détournées en pratique par la création d’un nouveau site accessible par un autre nom de domaine.

Le mécanisme de réponse graduée est par ailleurs enrichi de la possibilité donnée à un ayant droit individuel de saisir directement l’ARCOM d’une demande d’intervention, alors que cette possibilité n’était auparavant donnée qu’à un organisme de gestion collective.

Enfin, il convient de saluer la précision effectuée par la loi selon laquelle le droit de s’opposer aux radiodiffusions et aux exploitations en ligne rentre dans le champ d’application du droit voisin des entreprises de communication audiovisuelle visées à l’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle ainsi que la création d’un mécanisme ad hoc de référé pour lutter contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives (live streaming), un enjeu important pour les futurs détenteurs des droits de diffusion des Jeux olympiques de 2024.

La riposte graduée de la HADOPI conservée

L’ARCOM détient un pouvoir de sanction avec notamment un système de pénalités contractuelles afin d’assurer le respect des obligations conventionnelles et inflige des sanctions proportionnées à la gravité du manquement.

Ce mécanisme de sanction n’apparaît pas différent du principe de la réponse graduée mis en place par la HADOPI : un e-mail d’avertissement était adressé à l’internaute pour un téléchargement illégal, en cas de récidive dans les six mois, un deuxième avertissement, en cas de troisième récidive dans les douze mois, le cas était examiné par la commission qui pouvait saisir le tribunal du dossier. L’internaute encourrait alors une amende de 1 500 €. Or le bilan de la HADOPI, onze ans après sa création, est  extrêmement mitigé et on peut se poser la question de la pertinence du maintien de cette riposte en matière de piratage sur internet.

La procédure de sanction de l’ARCOM comprendra trois étapes : l’envoi d’une mise en demeure par le collège de l’autorité de régulation, le déclenchement d’une procédure de poursuites par un rapporteur indépendant désigné par le vice-président du Conseil d’État, le prononcé de la sanction par le collège de l’autorité.

La fusion entre le CSA et la HADOPI s’inscrit dans le sens de l’histoire. On observe en effet un mouvement identique de regroupement des régulateurs à l’étranger. Au Royaume-Uni, par exemple, l’Office of communications (Ofcom) est l’équivalent britannique du CSA et de l’ARCEP français réunis (il a été défini en 2002 par l’Office of communications Act 2002). Fallait-il aller plus loin et intégrer dans l’ARCOM des organismes tels que la CNIL ou l’ARCEP (v. not. la création d’un département commun) avec lesquels existent déjà des liens et des partenariats très actifs ? Cela n’est pas certain. Sept textes sont déjà intervenus en moins de trois ans pour élargir les missions et enrichir le pouvoir de régulation du CSA (v. not. l’ord. du 21 déc. 2020 transposant la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) et la loi Avia du 24 juin 2020 sur la lutte contre la haine en ligne).

Cet accroissement de compétences, ajouté à l’intégration d’une cinquantaine d’agents de la HADOPI au sein des trois cents agents du CSA, en plus de l’augmentation de sept à neuf du nombre de membres dans le collège, va nécessairement alourdir le fonctionnement de l’institution.

Ainsi, la création de l’ARCOM permettra sans doute de lutter contre toutes les formes d’atteinte aux droits des titulaires de programmes audiovisuels, culturels et sportifs sur internet par le biais de mécanismes innovants (liste noire, sites miroirs, référé en matière de live streaming sportif). Il faut encore espérer la mise en place de moyens humains et budgétaires à la hauteur de ses prérogatives.