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Gare au point de départ de la prescription de l’action en responsabilité !

La chambre commerciale vient apporter des précisions sur le point de départ d’une action en responsabilité dirigée contre une banque à la suite de l’octroi d’un crédit ayant engendré des conséquences judiciaires pour l’emprunteur à cause du refus de signer un acte authentique de vente conditionné à l’octroi dudit prêt. 

Il est acquis que le début de l’année 2022 est placé sous le signe du point de départ de la prescription extinctive, que ce soit en matière de cautionnement (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325, Dalloz actualité, 18 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 68 ) ou en matière de prêt à intérêt (Civ. 1re, 5 janv. 2022, quatre arrêts n° 20-16.031, n° 19-24.436, n° 20-18.893 et n° 20-16.350, Dalloz actualité, 17 janv. 2022, obs. C. Hélaine). L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 9 février 2022 s’inscrit dans la même lignée : il permet d’ailleurs de remarquer l’harmonisation de la question entre les différentes chambres de la Haute juridiction.

Rappelons les faits qui sont classiques dans le contentieux du point de départ de la prescription. Une personne physique conclut une promesse d’achat portant sur un immeuble sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt. Le prêt est débloqué en novembre 2009 par un établissement bancaire grâce à un courtier en opérations de crédit. Malgré la réalisation de la condition suspensive, le promettant refuse toutefois de signer l’acte notarié le 19 janvier 2010 en estimant que le prêt était excessif eu égard à ses capacités financières. Les vendeurs et l’agence immobilière par l’intermédiaire de laquelle la promesse d’achat a été conclue décident d’assigner le promettant en réparation de leur préjudice respectif. Un arrêt du 26 janvier 2012 de la cour d’appel d’Agen condamne le promettant au paiement de 10 000 € de dommage-intérêts au profit des vendeurs pour rupture fautive du contrat de vente et un arrêt de la même cour du 16 janvier 2013 le condamne également à 7 000 € de dommages-intérêts au profit de à l’agence immobilière en réparation de la perte de chance de percevoir une commission. Le promettant ainsi condamné assigne le courtier en opérations de crédit et l’établissement bancaire sur le fondement de l’article 1382 du code civil devenu 1240 du même code. Le tribunal de grande instance d’Agen déclare prescrite cette dernière action si bien que le demandeur interjette appel. En cause d’appel, la cour d’appel d’Agen confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris. L’action en responsabilité délictuelle est déclarée prescrite puisque le dommage ne résulte pas des décisions de justice mais de l’octroi du crédit et de ses conséquences juridiques et financières dont le demandeur a eu connaissance dès le mois de novembre 2009 au moment de l’octroi du crédit. Au jour des assignations introduites les 19 et 22 décembre 2014, l’action en responsabilité délictuelle était donc prescrite de quelques semaines. 

Le promettant se pourvoit en cassation en arguant qu’il ne s’agit pas du bon point de départ de la prescription de son action en responsabilité délictuelle contre la banque lui ayant consenti un prêt alors qu’il n’avait pas les capacités financières pour y faire face et qui avait été, ce faisant, à l’origine de son refus de signer l’acte authentique de vente. Il soutient que ce point de départ ne peut être fixé qu’à partir de sa condamnation à payer les sommes dues au titre de dommages-intérêts consécutivement à son refus de signer l’acte de vente final. La chambre commerciale casse l’arrêt d’appel en estimant que « alors que le dommage dont M. [Z] demandait réparation ne s’était pas manifesté aussi longtemps que les vendeurs et l’agent immobilier n’avaient pas, en l’assignant, recherché sa propre responsabilité, soit au plus tôt le 3 septembre 2010, de sorte que, à la date des assignations qu’il a lui-même fait signifier à la banque et au courtier, les 19 et 22 septembre 2014, la prescription n’était pas acquise » (nous soulignons).

Voici un arrêt permettant d’expliquer la méthodologie pour retracer le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité délictuelle s’inscrivant dans un contexte fourni de solutions sur le même sujet.

De la méthodologie pour déterminer le point de départ de la prescription

La chambre commerciale vient donc préciser que le point de départ de la prescription ne peut pas être fixé à un moment antérieur au 3 septembre 2010, soit à la première assignation du vendeur victime de la violation de la promesse par le promettant. Autrement dit, le dommage résultant de l’octroi du crédit n’a pu se matérialiser qu’au moment de la première assignation en dommages-intérêts. Ainsi, aux 19 et 22 septembre 2014 – dates de l’assignation initiale de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté – l’action en responsabilité délictuelle du promettant envers la banque n’était pas prescrite. Rappelons bien que l’action intentée vise à réparer le préjudice subi par la condamnation du promettant au paiement de dommages-intérêts dont il pense que la source se situe par l’octroi du crédit litigieux. En somme, vu que ce crédit était inadapté à ses ressources, il n’avait d’autres choix que de refuser de signer l’acte de vente, ce qui avait eu pour effet domino de cristalliser un litige avec les bénéficiaires de la promesse d’achat qu’il avait conclue.

Le raisonnement de la cour d’appel était intéressant. Estimant que « le dommage ne résulte donc pas des décisions de justice l’ayant condamné envers les vendeurs et l’agent immobilier, à payer aux premiers des dommages-intérêts, et au second une commission, à la suite de sa décision de refuser d’acquérir l’immeuble qui avait fait l’objet d’un compromis de vente auquel il avait consenti, mais de l’octroi d’un financement et ses conséquences juridiques et financières » (nous soulignons), les juges du fond étaient restés sur l’appréciation de l’octroi du crédit. En réalité, le dommage ne résulte, en effet, pas des décisions de justice mais ce sont les premières assignations qui l’ont fait apparaître aux yeux du promettant. La nuance est subtile mais importante. Sans ces assignations, le titulaire du droit à réparation n’aurait jamais eu à agir ou, du moins, il n’aurait pas pu orienter ainsi une telle action.

Cette méthodologie implique de rester très vigilant. La naissance du droit ne coïncide pas nécessairement avec le point de départ de la prescription qui s’y attache puisque le titulaire dudit droit peut le connaître à retardement alors qu’il se matérialise déjà dans son patrimoine théoriquement. Le dommage ne se réalise ici que par la délivrance des assignations ayant conduit d’ailleurs à deux condamnations en raison de la violation de la promesse conclue. Tout dépend, en réalité, de la nature de l’action en responsabilité délictuelle en jeu. C’est parce que l’action du promettant visait à réparer le préjudice subi des deux condamnations que la solution est formulée de cette manière. Sur le fond, la cour d’appel de renvoi de Bordeaux devra apprécier cet éloignement entre le fait générateur (l’octroi du crédit) et le refus de régulariser l’acte de vente par le promettant. On peut raisonnablement supposer qu’une telle démonstration sera difficile à mener. 

Cette décision du 9 février 2022 renforce l’intérêt de l’adaptation du point de départ de la prescription pour chaque action prise dans son individualité sous l’égide d’un même principe directeur.

Un contexte pluriel des points de départ de la prescription

L’intégralité des solutions rendues depuis le 5 janvier 2022 par la Cour de cassation peuvent paraître bien plurielles. Le point de départ dit « adapté » invite à être extrêmement précautionneux dans la lecture de chaque dossier faite par les praticiens, sous peine d’engager leur responsabilité. Il n’en reste pas moins que se dégagent des constantes selon nous que ce soit devant la première chambre civile ou devant la chambre commerciale de la Cour de cassation puisque les solutions restent les mêmes.

L’intégralité des arrêts sur la question se fondent, en effet, logiquement sur l’article 2224 du code civil et ne sont que la manifestation de la terminaison de l’article lequel précise que le point de départ de la prescription extinctive court « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Les décisions peuvent conduire à, matériellement, retenir des éléments factuels différents : premier incident de paiement pour le devoir de mise en garde de la caution (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325 FS-B, préc.), jour où l’emprunteur a eu connaissance du défaut de garantie du risque qui s’est réalisé (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 19-24.436, Dalloz actualité, 17 janv. 2022, obs. C. Hélaine), etc. Ces solutions quoique plurielles vont donc dans un même sens, en fonction de l’action engagée. L’unification du point de départ à un même évènement précis aurait pu être plus lisible mais ce choix aurait perdu en sens eu égard à l’article 2224 du code civil.

Pour l’action en responsabilité, le point de départ de la prescription correspond au jour où le dommage se manifeste si bien qu’il faut avoir une approche précise des faits pour déterminer comment dans chaque espèce ceci se concrétise. Dans le cas étudié, c’est parce que le promettant a été condamné qu’il souhaitait engager la responsabilité délictuelle de l’établissement bancaire et du courtier. C’est pour cette raison que le point de départ de la prescription de l’action ne peut pas être fixé avant la date de la première assignation ayant conduit auxdites condamnations. 

En somme, mieux vaut toujours commencer par se demander si l’action en responsabilité introduite n’est pas prescrite en déterminant son point de départ avec soin. Prudence est mère de sûreté, surtout dans ce contentieux où chaque détail peut compter. Cet arrêt n’est assurément pas le dernier à évoquer cette question aussi épineuse que passionnante.