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GAV : focus sur le défaut de notification au gardé à vue de la modification des qualifications reprochées

Il faut retenir de l’arrêt rapporté que le défaut de notification à la personne gardée à vue de la modification de qualification d’une infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre, ordonné par le procureur de la République, ne peut entraîner le prononcé d’une nullité que s’il en est résulté pour elle une atteinte effective à ses intérêts, au sens de l’article 802 du code de procédure pénale.

par Dorothée Goetzle 23 octobre 2019

Lors d’une patrouille nocturne, des policiers constataient qu’un véhicule circulait dangereusement. Le conducteur refusant d’obtempérer aux sommations de s’arrêter, les agents de police judiciaire procédaient à l’interpellation des trois occupants de cette voiture. L’un d’eux était en possession d’une réplique d’arme de poing et d’un couteau. Les intéressés, deux hommes et une femme, étaient ensuite conduits devant l’officier de police judiciaire de permanence qui les plaçait en garde à vue pour refus d’obtempérer et complicité de cette infraction.

Quelques heures après leur placement en garde à vue, le ministère public informait les enquêteurs qu’il ajoutait à la qualification de refus d’obtempérer celles d’association de malfaiteurs et infractions à la législation sur les armes. Suite aux auditions de la passagère du véhicule, le parquet donnait pour instruction aux enquêteurs de notifier aux deux autres personnes la qualification supplémentaire de proxénétisme aggravé.

Une information judiciaire était ouverte notamment des chefs de tentative d’enlèvement et séquestration, infraction à la législation sur les armes, association de malfaiteurs pour lesquels la passagère du véhicule était mise en examen. Elle saisissait sans succès la chambre de l’instruction d’une requête en nullité avant de former un pourvoi en cassation qui était également rejeté par la chambre criminelle.

Dans le premier moyen, elle se prévalait du caractère tardif de la notification de ses droits et de l’information du Procureur de la République de son placement en garde à vue. Fidèle à sa jurisprudence traditionnelle relative au délai de route et au délai d’information du parquet, la chambre criminelle écarte ce moyen. Il est vrai que selon l’article 63 du code de procédure pénale, dès le début de la mesure, l’officier de police judiciaire doit informer le procureur de la République par tout moyen. Cette information du parquet est essentielle car elle doit permettre au procureur d’exercer un contrôle sur le respect des conditions de la mesure mais également sur son déroulement.

En effet, l’article 62-3 du code de procédure pénale précise que la garde à vue s’exécute sous le contrôle du procureur de la République, à qui il revient la triple mission d’apprécier la nécessité et la proportionnalité de la mesure, d’assurer la sauvegarde des droits reconnus à la personne placée en garde à vue et de décider des suites de la garde à vue sur le fondement de l’article 63-8 du code de procédure pénale. L’effectivité de ce contrôle suppose, d’un point de vue pratique, que le parquet soit rapidement informé du placement en garde à vue.

En l’espèce, le ministère public était avisé de la mesure à 3h49, étant précisé que la garde à vue avait débuté à 3h05, heure d’interpellation. Pour la chambre criminelle, ce délai, notamment lié aux circonstances de l’interpellation, répond aux exigences de l’article 63 du code de procédure pénale.

Cette précision est intéressante car, dans un arrêt du 24 mai 2016, la chambre criminelle avait estimé que si aucun élément de la procédure n’établit une circonstance insurmontable justifiant la décision de différer tant la notification de ses droits à l’intéressé que l’information du procureur de la République, un délai d’une demi-heure à trois quarts d’heure entre le placement de la personne en garde à vue et le respect de ces formalités est excessif et justifie l’annulation de la garde à vue et de la procédure subséquente (Crim. 24 mai 2016, n° 16-80.564, Dalloz actualité, 17 juin 2016, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2016. 1597, chron. B. Laurent, L. Ascensi, E. Pichon et G. Guého  ; Dr. pénal 2016. Chron. 8, obs. Lesclous ; Procédures 2016, n° 269, note Chavent-Leclère).

Dans un arrêt plus ancien, elle avait même estimé que sauf circonstances insurmontables, le procureur de la République doit être informé dans les meilleurs délais du placement en garde à vue. L’argument tiré de la complexité de l’interpellation – concomitante à celle de deux autres individus –, et de la lourdeur de celle-ci – de nombreux agents ayant été mobilisés –, ne saurait justifier un délai d’une heure quinze minutes entre l’interpellation d’un individu et l’information du procureur de la République (Crim. 20 mars 2007, n° 06-89.050, D. 2007. 1340 ; AJ pénal 2007. 231, obs. G. Royer ).

En outre, la chambre criminelle considère qu’en l’espèce le délai de vingt minutes écoulé entre la présentation de la requérante à l’officier de police judiciaire de permanence au commissariat de police et son placement en garde à vue, qui inclut la notification des droits afférents à cette mesure, ne peut donner lieu à son annulation, compte tenu des circonstances de l’interpellation, de la zone dans laquelle elle a eu lieu et des délais de transport (Crim. 26 nov. 2008, Dr. pénal 2009. Chron. 8, obs. Lesclous).

Dans le second moyen, la requérante se prévalait de la violation des articles 6, § 1 et 3, de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaire, et des articles 63, 63-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. Son argument central était le suivant : les droits, dont la personne placée en garde à vue dispose, doivent lui être notifiés ensemble avec la qualification des faits qui lui sont reprochés. En conséquence, au cours de sa garde à vue, elle doit être informée de la nature et de la date des nouvelles infractions qu’elle est soupçonnée avoir commises. En l’espèce, elle excipe de la nullité au motif que l’officier de police judiciaire ne lui a pas notifié la modification de qualification décidée par le parquet. Elle fait valoir que la qualification d’association de malfaiteurs lui a été notifiée le 6 janvier 2018 à 2h00 lors de la prolongation de sa garde à vue. Or, elle avait déjà été interrogée sur des faits pouvant recevoir cette qualification lors de sa seconde audition de la veille.

Pour écarter ce moyen de nullité, les juges du fond relevaient qu’au cours de sa première audition, elle avait désigné les deux autres occupants de la voiture comme étant ses proxénètes. Ce n’est qu’au cours de sa troisième audition qu’elle avait reconnu qu’elle devait attirer les clients pour permettre à ses comparses de les voler. Cette situation justifiait, pour les juges du fond, de procéder à la notification de la qualification d’association de malfaiteurs, conformément aux réquisitions du ministère public, lors de la prolongation de la garde à vue le 6 janvier 2018 à 2h00. En d’autres termes, leur raisonnement revient à considérer que ce n’était qu’après cette seconde audition qu’il leur était apparu que l’intéressée pouvait être soupçonnée du chef d’association de malfaiteurs.

La Cour de cassation ne partage pas cette vision. En effet, la chambre criminelle reproche aux juges du fond d’avoir considéré que la notification de la qualification pouvait être reportée à l’issue de l’audition, dès lors que le procureur de la République avait ordonné, en application de l’article 63 du code de procédure pénale, la modification de qualification des faits, le 5 janvier 2018, à 11h15.

Pour autant, elle écarte le moyen. Les Hauts magistrats rappellent en effet que le défaut de notification à la personne gardée à vue de la modification de qualification d’une infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre, ordonné par le procureur de la République, ne peut entraîner le prononcé d’une nullité que s’il en est résulté pour elle une atteinte effective à ses intérêts, au sens de l’article 802 du code de procédure pénale. En l’espèce, cette condition n’était pas remplie car l’intéressée, en répondant aux questions des enquêteurs, n’avait tenu aucun propos par lequel elle s’était incriminée sur les faits d’association de malfaiteurs.

Cette solution importante présente deux intérêts.

D’abord, il s’agit de la confirmation d’une jurisprudence récente selon laquelle lorsqu’une personne a été placée en garde à vue du chef d’une infraction, l’omission, dans la notification prévue à l’article 63-1 du code de procédure pénale, d’autres infractions qu’elle est soupçonnée d’avoir commises ou tenté de commettre, emporte l’annulation des seules auditions effectuées pendant la garde à vue lorsqu’il en est résulté pour elle une atteinte effective à ses intérêts, et des actes dont elles sont le support nécessaire (Crim. 31 oct. 2017, n° 17-81.842, Dalloz actualité, 5 déc. 2017, obs. S. Fucini ; D. 2017. 2253 ; ibid. 2018. 196, chron. B. Laurent, G. Barbier, E. Pichon, L. Ascensi et G. Guého ; ibid. 1611, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2018. 50, obs. Y. Capdepon ; RSC 2018. 145, obs. N. Jeanne ).

Ensuite, l’arrêt rapporté rappelle que les normes de procédure destinées à octroyer une plus grande protection des droits de la défense doivent être protégées. Toutefois, si les règles de procédure ont pour but légitime – et il faut s’en féliciter – la protection des droits des parties, elles ne doivent pas se transformer en vecteurs d’amoindrissement de la protection de l’ordre public. C’est, à nos yeux, le sens du rejet de ce pourvoi, étant précisé que la Cour de cassation a été en mesure de s’assurer au vu de l’examen du procès-verbal d’audition litigieux, qu’en répondant aux questions des enquêteurs, l’intéressée n’a tenu aucun propos par lequel elle se serait incriminée sur les faits d’association de malfaiteurs. En l’espèce, c’est donc à bon droit que la chambre de l’instruction a dit n’y avoir lieu à annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure.