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Le gouvernement lance le débat sur son pré-projet de loi immigration et asile

Le GISTI a diffusé les grands axes du pré-projet de loi immigration et asile. Encore soumis à concertation, il sera ensuite présenté en conseil des ministres, avant d’être débattu au Sénat en janvier et à l’Assemblée en mars. Les mots d’ordre de cette trentième loi immigration depuis 1980 sont identiques aux précédentes : accélérer les procédures, simplifier un droit trop complexe et mieux intégrer.

par Pierre Januel, Journalistele 1 décembre 2022

Le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) a révélé mardi la teneur du pré-projet de loi immigration-asile, après avoir dévoilé des premiers articles déjà rédigés. Cosigné par le ministère de l’Intérieur et celui du Travail, le document indique les grandes lignes du projet de loi à venir.

Le gouvernement s’est appuyé sur deux rapports : le rapport Stahl, demandé au Conseil d’État en 2020, que Dalloz actualité avait dévoilé (Dalloz actualité, 28 sept. 2020, obs. P. Januel) et le rapport rédigé en 2022 par le président de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet. Le droit de l’immigration et de l’asile étant très encadré par les engagements internationaux, le texte est parfois contraint de répéter ou de complexifier des dispositifs déjà existants.

Cibler les étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public

Sur les expulsions, le gouvernement a deux priorités : les étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public (notamment ceux condamnés pénalement) et les déboutés du droit d’asile. Il propose de mettre dans la loi les dispositions qui permettent le retrait et le non-renouvellement de la carte de résident en cas de menace grave pour l’ordre public, cas pourtant déjà couvert par le droit.

Le gouvernement souhaite également lever les protections contre l’éloignement pour motif d’ordre public : ces protections concernent les étrangers arrivés en France avant treize ans, y résidant depuis dix ans, ou marié à un conjoint français depuis trois ans. Le gouvernement certifie qu’elles ne bénéficient ni de protections constitutionnelles, ni conventionnelles et que les droits au recours ainsi qu’à la vie privée et familiale seront maintenus.

Le gouvernement veut également revenir sur une disposition censurée de la loi séparatisme (Dalloz actualité, 7 sept. 2021, obs. P. Januel) : elle avait voulu permettre le refus d’un titre à un étranger s’il avait « manifesté un rejet des principes de la République ». Le conseil constitutionnel avait jugé la disposition trop imprécise. Le gouvernement veut donc mieux définir cette notion de rejet des principes de la République. Elle recouvrira l’obligation de respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, les symboles républicains et le fait de ne pas remettre en cause le caractère laïc de la République.

Rationaliser les procédures d’expulsions

Le gouvernement veut aussi rationaliser le nombre de procédures. Actuellement le contentieux embolise les juridictions administratives (45 % des recours au tribunal administratif, 55 % des appels), qui doivent juger rapidement des Obligations de quitter le territoire français (OQTF) qui sont très peu exécutées. Proposition principale : qu’il n’y ait, au lieu des douze procédures contentieuses, plus que trois, en fonction du degré réel d’urgence. Procédure normale, procédure d’urgence sept jours et procédure d’extrême urgence 48 heures.

La note ne détaille pas ces trois procédures. Le rapport Stahl évoquait une procédure normale pour tous les refus de titre avec mesure d’éloignement et les OQTF, dès lors qu’aucune mesure de contrainte ne les accompagne. Le requérant aurait alors un mois pour faire un recours, qui serait statué sous six mois, en formation collégiale, après instruction écrite et conclusions d’un rapporteur public. La procédure d’urgence sept jours, serait elle statuée par juge unique, sans conclusion d’un rapporteur. La procédure 48 heures, serait applicable pour les étrangers en rétention ou en zone d’attente. Le délai de recours serait limité à 48 heures et le jugement à 96 heures. Toutefois, l’imprécision de la note indique que l’article pourrait évoluer.

Le gouvernement n’a pas non plus repris une proposition des rapports Stahl et Buffet : une étude à 360° des dossiers, consistant, à procéder dès le stade administratif, à un examen complet de la situation des étrangers au regard du droit au séjour, sur l’ensemble des motifs d’attribution.

Le gouvernement souhaite également étendre le recours à la vidéo-audience en centre de rétention et en zone d’attente, qui serait alors quasiment obligatoire.

Enfin, le gouvernement souhaite punir de quinze ans de prison l’infraction de facilitation des séjours irréguliers commis en bande organisée, voire de vingt ans pour les dirigeants des réseaux.

Les déboutés du droit d’asile

Le gouvernement veut accélérer les procédures d’asile, qui sont actuellement de cinq mois à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de six mois à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Il souhaite la création d’espaces « France asile ». Des agents de l’OFPRA pourraient y accueillir les demandes au plus près des guichets uniques (GUDA) avec des agents de l’Office français immigration intégration (OFII) et des préfectures. Un point qui questionne l’indépendance de l’OFPRA.

Le gouvernement souhaite également territorialiser la CNDA. Actuellement c’est une juridiction nationale unique. Elle serait déconcentrée au niveau des cours administratives d’appel. Si cela permettrait de rapprocher la juridiction des demandeurs, cela pose la question de l’harmonisation des jurisprudences. Par ailleurs, cela remettrait en cause la spécialisation actuelle des chambres par pays d’origine des requérants. Le gouvernement veut également élargir les cas où la CNDA décide par juge unique sans assesseur.

Surtout, le gouvernement souhaite que pour les déboutés du droit d’asile, la décision de rejet de l’OFPRA aboutisse au prononcé immédiat d’une mesure d’éloignement. Dans les cas où l’appel sur la demande d’asile est suspensif, la mise à exécution serait reportée à la décision de la CNDA. Les associations craignent une usine à gaz entre les différents niveaux de juridiction.

Faciliter l’intégration et le travail

Le gouvernement souhaite conditionner les cartes de séjour pluriannuelle à l’obtention d’un niveau A1 de langue. La contribution des employeurs à la formation linguistique sera également renforcée, via la formation professionnelle.

Certains demandeurs d’asile pourront travailler avant le délai de six mois, lorsqu’ils ont de grande chance d’obtenir une protection internationale (afghans par exemple). Le gouvernement prévoit également de créer une voie d’accès au séjour spécifique pour répondre aux métiers en tension. Les étrangers déjà en France pourront changer d’employeur sans demander une nouvelle autorisation de travail. Même si les délais d’obtention de cette autorisation sont courts, cette procédure est actuellement dans la main des employeurs.

Le gouvernement veut faciliter les sanctions d’employeurs de travailleurs sans papiers. Si la loi sanctionne de cinq ans de prison l’embauche d’un travailleur clandestin, le gouvernement regrette qu’il n’y ait que 500 procédures par an, avec une centaine de condamnations. Il propose une nouvelle sanction administrative. Il veut également réguler les plateformes de livraison et de transport.

Enfin le gouvernement veut simplifier la carte passeport talent et l’élargir aux médecins et professions médicales.

Une omission : l’exécution des OQTF

Pour faire adopter son texte, le gouvernement devra trouver une majorité. Il risque alors d’être tiraillé entre la NUPES et LR, qui ont critiqué le texte pour des raisons opposées.

Les Républicains pourraient s’engouffrer dans un point peu abordé dans le pré-projet : la faible exécution des OQTF. L’an dernier le gouvernement a procédé à 10 000 retours forcés, alors qu’il a prononcé 124 000 OQTF. Une instruction du 17 novembre de Gérald Darmanin a entraîné une nouvelle augmentation du nombre d’OQTF.

Mais, faute de laissez-passer consulaires, seule une petite partie d’entre elles sont exécutées. Comme l’avait noté le rapport Stahl, « En dépit de l’importance de ses enjeux, le contentieux des étrangers tend à inspirer à de nombreux magistrats administratifs un sentiment d’inutilité de leur action ».