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GPA : contrariété à l’ordre public procédural d’une décision étrangère établissant la filiation à l’égard des parents d’intention

La Cour de cassation donne des précisions sur les conditions de régularité des jugements étrangers établissant des liens de filiation pris dans le cadre des conventions de mère porteuse conclues à l’étranger : la motivation du jugement étranger doit s’apprécier à l’aune de la vulnérabilité des parties à la convention, des dangers inhérents à ces pratiques, et des droits fondamentaux.

Deux enfants sont nés au Canada en 2014 en exécution d’un contrat de gestation pour autrui. Un mois après leur naissance, une décision de la Superior Court of Justice de l’Ontario du 24 juin 2014 a déclaré que deux hommes français étaient légalement reconnus comme étant les pères de ces enfants, que Mme D. n’en était pas la mère, que M. D n’en était pas le père et que Mme Z. n’en était pas la mère non plus. La Cour étrangère a ordonné l’enregistrement de la naissance des enfants de manière à faire figurer les deux hommes comme leurs parents.

Les deux hommes ont assigné le procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Paris pour voir prononcer l’exequatur de cette décision étrangère. La demande est rejetée par la Cour d’appel de Paris, qui estime que la décision n’est pas motivée et contrevient à l’ordre public procédural, en ce qu’elle ne fait pas état d’une convention de gestation pour autrui, ne précise les qualités de M. et Mme D. ni de Mme Z., ni leur consentement à une renonciation à leurs éventuels droits parentaux.

Les demandeurs forment alors un pourvoi en cassation. Ils estiment que la décision étrangère est correctement motivée dans la mesure où elle vise les textes de fond de la loi canadienne pour reconnaître aux deux hommes la qualité de parents légaux. Ils soutiennent subsidiairement que la cour d’appel aurait dû examiner la conformité de sa décision aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention internationale des droits de l’enfant. À cet égard, ils avancent que le refus de reconnaître la filiation des enfants établie par la décision canadienne, fut-elle irrégulière, qui résidaient depuis plusieurs années avec les parents désignés, porte atteinte au droit au respect de la vie privée, à l’interdiction des discriminations et n’est pas guidé par l’intérêt supérieur de l’enfant.

La Cour de cassation répond au visa de l’article 509 du code de procédure civile, et rappelle que les jugements relatifs à l’état des personnes, bien que bénéficiant d’une présomption de régularité internationale, peuvent être contrôlés s’il est demandé au juge français de constater cette régularité. Elle rappelle ensuite les conditions à remplir par un jugement étranger, telles qu’issues des arrêts Cornelissen (Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082, Cornelissen c/ Avianca Inc (Sté), D. 2007. 1115, obs. I. Gallmeister , note L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 891, chron. P. Chauvin ; ibid. 1751, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2007. 324 ; Rev. crit. DIP 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt ) et Gazprombank (Civ. 1re, 30 janv. 2013, n° 11-10.588, Dalloz actualité, 12 févr. 2013, obs. S. Menetrey ; Gazprombank (Sté), D. 2013. 371 ; ibid. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD com. 2013. 389, obs. P. Delebecque ; ibid. 2014. 459, obs. P. Delebecque ). C’est la condition de conformité à l’ordre public international procédural qui est ici discutée.

La Cour de cassation rappelle le principe selon lequel « est contraire à la conception française de l’ordre public international de procédure la reconnaissance d’une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d’équivalent à la motivation défaillante. Il incombe au demandeur de produire ces documents ».

La cour d’appel ayant relevé que le jugement ne précisait pas les qualités des différentes personnes qui y étaient mentionnées ni leur consentement à une renonciation à leurs éventuels droits a justement retenu que la motivation de la décision canadienne était défaillante. Contrevenant à l’ordre public français procédural en matière internationale, la décision canadienne n’était donc pas susceptible de reconnaissance. Quant à une éventuelle atteinte aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, la Cour de cassation confirme encore la décision de la cour d’appel qui a relevé que les intéressés ne fournissaient aucun élément permettant d’apprécier in concreto la réalité de cette atteinte.

Elle rejette alors le pourvoi.

La décision sous examen, rendue le même jour qu’une autre décision qui paraît faussement plus laxiste (Civ. 1re, 2 oct. 2024, n° 23-50.002, D. 2024. 1721 ; AJ fam. 2024. 485, édito. V. Avena-Robardet ), peut rassurer ceux qui craindraient une porte grande ouverte aux décisions étrangères en matière de gestation pour autrui. La Cour de cassation apporte des précisions à deux égards : d’abord, sur l’exigence de motivation comme composante de l’ordre public international, ensuite, sur l’office du juge en matière de contrôle de proportionnalité.

L’exigence de motivation renforcée

En ce qui concerne la condition de motivation du jugement étranger, elle n’est pas nouvelle (Civ. 1re, 17 oct. 1972, RC DIP 1973. 556, note Francescakis ; 9 oct. 1991, n° 90-13.449, Rev. crit. DIP 1992. 516, note C. Kessedjian ) et appartient à l’ordre public procédural qui impose de contrôler notamment l’élaboration du jugement. La Cour de cassation donne des éléments sur la façon d’apprécier cette motivation s’agissant d’une décision établissant la filiation d’un enfant né d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger.

Cette motivation doit s’apprécier à l’aune de deux critères :

  • d’une part, les risques de vulnérabilité des parties à la convention de gestation pour autrui et les dangers inhérents à ces pratiques ;
  • d’autre part, le droit de l’enfant et de l’ensemble des personnes impliquées au respect de leur vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’intérêt supérieur de l’enfant constituant une considération primordiale.

La Cour de cassation affirme en conséquence que « le juge de l’exequatur doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou les documents de nature à servir d’équivalent qui lui sont fournis, d’identifier la qualité des personnes mentionnées qui ont participé au projet parental d’autrui et de s’assurer qu’il a été constaté que les parties à la convention de gestation pour autrui, en premier lieu la mère porteuse, ont consenti à cette convention, dans ses modalités comme dans ses effets sur leurs droits parentaux ».

C’est dire si l’exigence de motivation, composante de l’ordre public de procédure, se teinte en la matière de considérations plus substantielles qui ne sont pas sans rappeler les préoccupations du groupe de travail qui œuvre au sein de la Conférence de La Haye pour l’élaboration d’un instrument international visant à encadrer la reconnaissance et la circulation des situations créées en exécution d’une gestation pour autrui (v. les nombreux travaux sur le site de la Conférence de La Haye de droit international privé).

Dans l’affaire sous examen, le juge canadien, qui avait vérifié que les conditions de la Loi sur la Réforme du droit des enfants étaient bien réunies, a insuffisamment motivé sa décision au regard des exigences françaises. En dépit de la demande de la juridiction française du fond contrôlant la régularité de cette décision, les pères d’intention n’ont apporté aucun élément pour suppléer le défaut de motivation sur la qualité des personnes qui étaient intervenues dans leur projet parental, ni sur leur consentement à une renonciation à leurs droits parentaux, malgré la réouverture des débats à cette fin. La motivation de la décision étrangère ne peut pas, selon la Cour de cassation, reposer uniquement sur le droit étranger. Encore faut-il que certaines garanties soient présentées, dans la motivation ou dans des éléments extrinsèques apportées par les demandeurs à l’exequatur pour s’assurer du consentement des parties au projet parental d’autrui à la renonciation à leurs droits parentaux.

Le contrôle de proportionnalité précisé

Plus importante encore paraît la précision apportée par la Cour de cassation à propos du contrôle de proportionnalité. Les droits tirés de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention internationale des droits de l’enfant ne sont plus une notion incantatoire....

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