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GPA : la Cour de cassation demande l’avis de la CEDH

L’assemblée plénière sollicite pour la première fois l’avis de la Cour européenne des droits de l’homme sur la transcription de l’acte étranger à l’égard de la « mère d’intention ».

par Thomas Coustetle 10 octobre 2018

L’odyssée des époux Mennesson se poursuit. Depuis un peu moins de vingt ans, les époux se sont engagés dans une série de recours pour faire transcrire en droit français les actes de naissance de leurs deux filles. 

Rappelons que les enfants du couple sont nés par gestation pour autrui (GPA) en Californie en 2000. Après un premier revers en France, et notamment devant la Cour de cassation (Civ. 1re, 6 avr. 2011, nos 09-66.486, 10-19.053 et 09-17.130, Dalloz actualité, 14 avr. 2011, obs. C. Siffrein-Blanc  ; ibid. 1001, édito F. Rome  ; ibid. 1064, entretien X. Labbée ), les époux ont saisi la juridiction européenne qui leur a donné partiellement raison dans un désormais célèbre arrêt en 2014 (v. 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c. France, et n° 65941/11, Dalloz actualité, 30 juin 2014, obs. T. Coustet  ; ibid. 1806, note L. d’Avout ). Strasbourg y avait reconnu « l’absence d’obstacle » à la transcription de l’acte de naissance étranger dès lors qu’il est conforme à la réalité biologique. Par conséquent, l’acte étranger recevable sera transcrit s’il mentionne les liens de filiation biologique, soit à l’égard du père biologique soit à la fois du père et de la mère porteuse.

Seulement voilà, les requérants veulent faire transcrire l’acte américain qui reconnaît la mère d’intention comme seule mère légale.

Filiation paternelle reconnue

Le premier arrêt (pourvoi n° 12-30.138) rendu sur pourvoi du parquet civil ne posait pas de difficulté majeure. La solution rappelle classiquement qu’à l’égard du père, les effets d’une GPA contractée à l’étranger sont valables. La transcription à son égard de l’acte étranger non falsifié doit être ordonnée (v. déjà, Cass., ass. plén., 3 juill. 2015, n° 14-21.323 et n° 15-50.002, Dalloz actualité, 7 juill. 2015, obs. R. Mésa  ; ibid. 1819, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon  ; ibid. 1481, édito. S. Bollée  ; ibid. 1773, point de vue D. Sindres ).

Le sort de la filiation maternelle est suspendu à Strasbourg

Le second pourvoi (pourvoi n° 10-19.053) a été introduit par les époux eux-mêmes. Forts de l’arrêt européen éponyme de 2014, les requérants ont souhaité le réexamen de l’affaire (cour de réexamen, 16 févr. 2018, n° 001 et 002, Dalloz actualité, 20 févr. 2018, art. F. Mélin isset(node/189258) ? node/189258 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189258). La Cour de cassation, réunie en formation solennelle, sursoit à statuer et choisit d’adresser, en application du protocole 16, une demande d’avis aux juges européens.

Concrètement, les deux questions posées sont les suivantes : 

« 1°) En refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, en ce qu’il désigne comme étant sa “mère légale” la “mère d’intention”, alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le “père d’intention”, père biologique de l’enfant, un État-partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? À cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la “mère d’intention” ? » ;

« 2°) Dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 de la Convention ? ».

Le sort de la filiation d’intention fait débat. En droit français, la mère légale est celle qui donne naissance à l’enfant : cette « règle est en réalité la loi-écran qui empêche toute autre maternité », rappelle le présent rapport annexé à la décision.

La notion évolutive de « réalité »

Si la réalité de l’accouchement est le seul paramètre qui fait foi jusqu’à présent, elle est pourtant insuffisante à rendre compte à elle seule des situations qui peuvent se présenter. Il faut rappeler que la GPA peut être réalisée avec les gamètes de la mère d’intention, voire avec un don de sperme (v. Rouen, 31 mai 2018, n° 17/02084, 13 juill. 2018, art. A. Mirkovic isset(node/191579) ? node/191579 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>191579). Ce contexte contribue à fragmenter encore un peu plus le concept traditionnel de parentalité, et ainsi de maternité. Les juges peuvent avoir à trancher une situation dans laquelle subsistent un lien génétique, un lien dit « gestationnel » (rapport préc.) et le projet parental. 

Ces grandes tensions s’expriment par ricochet en juridiction. Le parquet civil de Nantes continue, par exemple, de faire appel mécaniquement des décisions de transcription totale ordonnées par le tribunal de grande instance (TGI Nantes, 14 déc. 2017, n° 16/04096, Dalloz actualité, 16 févr. 2018, art. T. Coustet isset(node/189148) ? node/189148 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189148). 

Le renvoi devant la Cour européenne des droits de l’homme devrait permettre d’aligner la jurisprudence. La procédure est rendue possible depuis l’entrée en vigueur du protocole 16 le 1er août 2018 (v. Dalloz actualité, 9 fevr. 2018, art. P. Januel isset(node/189081) ? node/189081 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189081). C’est donc une grande première pour une juridiction française.

L’avis attendu sera rendu par la grande chambre statuant en collège de cinq juges.