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GPA et transcription de l’acte de naissance de l’enfant : la Cour de cassation persiste et signe

La Cour de cassation confirme que, lorsque l’enfant est issu d’une GPA régulièrement réalisée à l’étranger, la transcription complète de l’acte de naissance indiquant les deux pères d’intention comme parents juridiques est possible (et est désormais la règle ?) dès lors que l’acte est régulier au regard du système juridique étranger.

par Laurence Gareil-Sutterle 3 décembre 2020

Les faits de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 18 novembre 2020 offrent une impression de déjà-vu tant les arrêts relatifs aux conséquences des GPA réalisées à l’étranger se succèdent (v. encore, au début du même mois, Civ. 1re, 4 nov. 2020, nos 19-15.739 et 19-50.042, Dalloz actualité, 12 nov. 2020, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2020. 2172 )…

Un couple d’hommes de nationalité française s’est rendu au Canada pour y avoir recours légalement à une gestation pour autrui. L’acte de naissance de l’enfant qui en est issu indique qu’il a pour parents les deux hommes. De retour en France avec l’enfant, le couple a demandé la transcription de l’acte de naissance. Si le tribunal de grande instance de Nantes a accepté la transcription complète de cet acte au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, la cour d’appel de Rennes, elle, n’a autorisé qu’une transcription partielle au profit de celui qu’elle suppose être le père biologique de l’enfant (il ressort des moyens annexés que les juges ne savent pas avec certitude lequel des deux hommes serait le père biologique). Le refus de transcription complète était fondé sur le constat que « les faits déclarés [dans l’acte de naissance de l’enfant] ne correspondaient pas à la réalité biologique de l’enfant ». La cour d’appel avait en outre affirmé que « le refus de transcription de la filiation paternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique prohibée » et elle avait rejeté toute atteinte disproportionnée au respect de la vie familiale « dès lors que l’accueil de l’enfant au sein du foyer constitué par son père et son compagnon n’est pas remis en cause par les autorités françaises et que ce dernier aura la possibilité de créer un lien de filiation avec l’enfant par un biais autre que la transcription, n’étant pas établi que la voie de l’adoption serait fermée au motif qu’il figure dans l’acte de naissance comme parent ». Elle avait en conséquence écarté toute violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il convient de préciser immédiatement que la cour d’appel de Rennes a statué le 13 mai 2019. Depuis, les temps ont changé et c’est donc sans surprise que la Cour de cassation, au visa, désormais classique en la matière, des articles 3-1 de la CIDE, 8 de la Convention européenne et 47 du code civil, a cassé sans renvoi l’arrêt d’appel ce qui aboutit à ordonner une transcription complète de l’acte de naissance canadien sur les registres français.

Cette solution était en effet totalement prévisible au regard de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, en quelques années, a permis puis facilité la transcription de l’acte de naissance de l’enfant issu d’une GPA régulièrement réalisée à l’étranger (sur cette évolution, qui a déjà été retracée dans ces colonnes, v. Dalloz actualité, 12 nov. 2020, L. Gareil-Sutter, préc.).

Du reste, la Cour de cassation ayant opté pour une motivation enrichie, l’arrêt fait lui-même référence aux précédents rendus sur la question. Les juges rappellent ainsi, pêle-mêle, la salve d’arrêts du 5 juillet 2017 (§ 12 ; Civ. 1re, 5 juill. 2017, nos 15-28.597, 16-16.901, 16-50.025 et 16-16.455 ; v. not. Dalloz actualité, 6 juill. 2017, art. T. Coustet ; D. 2017. 1737, note H. Fulchiron ; ibid. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2018. 528, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 641, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2017. 482 ; ibid. 375, point de vue F. Chénedé ; ibid. 643, Pratique P. Salvage-Gerest ; Rev. crit. DIP 2018. 143, note S. Bollée ), la jurisprudence postérieure de l’assemblée plénière du 4 octobre 2019 (§ 10 et 13 ; Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, n° 10-19.053, Dalloz actualité, 8 oct. 2019, art. T. Coustet ; D. 2019. 2228, et les obs., note H. Fulchiron et C. Bidaud ; ibid. 1985, édito. G. Loiseau ; ibid. 2000, point de vue J. Guillaumé ; ibid. 2423, point de vue T. Perroud ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 677, obs. P. Hilt ; ibid. 843, obs. RÉGINE ; ibid. 951, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1696, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; JA 2019, n° 610, p. 11, obs. X. Delpech ; AJ fam. 2019. 592, obs. J. Houssier , obs. G. Kessler ; ibid. 481, point de vue L. Brunet ; ibid. 487, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2019. 817, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 841, obs. A.-M. Leroyer ; ibid. 2020. 459, obs. N. Cayrol  ; JCP 2019, n° 1184, note A. Gouttenoire et F. Sudre ; Dr. fam. 2019, n° 261, note J.-R. Binet) rendu après avis de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, avis, 10 avr. 2019, n° P16-2018-001, Dalloz actualité, 19 avr. 2019, obs. T. Coustet ; D. 2019. 1084, note H. Fulchiron  ; ibid. 1016, obs. S. Clavel ; AJDA 2019. 788 ; ibid. 1803, chron. L. Burgorgue-Larsen ; AJ fam. 2019. 289, obs. P. Salvage-Gerest ; ibid. 233, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2019. 286, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 307, obs. A.-M. Leroyer  ; JCP 2019. 551, note F. Sudre et A. Gouttenoire ; RJPF 2019, n° 5, note M.-C. Le Boursicot) et enfin les deux arrêts du 18 décembre 2019 (§ 11 et 14 ; Civ. 1re, 18 déc. 2019, nos 18-12.327 et 18-11.815, Dalloz actualité, 20 déc. 2019, art. T. Coustet ; D. 2020. 426, note S. Paricard ; ibid. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 843, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2020. 131 ; ibid. 9, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2020. 81, obs. A.-M. Leroyer ) rendus dans des circonstances similaires à la présente espèce (couple d’hommes ayant eu recours à une GPA à l’étranger et dont les noms figuraient sur l’acte de naissance de l’enfant).

On nous permettra de trouver que l’articulation de ces décisions telle qu’elle est présentée dans l’arrêt n’est pas des plus limpides, en particulier quant à la portée des arrêts du 5 juillet 2017 (préc.). Il reste que la Cour de cassation reprend ici au mot près le raisonnement mené dans les arrêts du 18 décembre 2019 (préc.). Simplement, intégrant dans sa démonstration la solution dégagée par ces arrêts, elle affirme qu’ils ont conduit à « une évolution de la jurisprudence en ce sens qu’en présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant, qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, ni celle que cet acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme père ne constituent des obstacles à la transcription de l’acte sur les registres de l’état civil, lorsque celui-ci est probant au sens de l’article 47 du code civil » (§ 14). La Cour de cassation inscrit donc l’arrêt sous examen dans le droit prolongement des solutions dégagées onze mois auparavant.

Or il semblait bien acquis depuis les arrêts du 18 décembre 2019 (préc.) que, alors que la loi française prohibe toujours le recours à la gestation pour autrui (C. civ., art. 16-7 : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle »), l’acte de naissance d’un enfant issu d’une telle procréation, dès lors qu’il est régulier au regard du pays dans lequel elle a eu lieu, pourra être transcrit sans difficulté en France, y compris s’il désigne les parents d’intention comme parents juridiques de l’enfant.

La question qui subsistait était celle de savoir si la transcription devait désormais être considérée comme une solution exceptionnelle, comme une solution parmi d’autres ou comme le principe.

À s’en tenir à l’avis de la Cour européenne (CEDH, avis, 10 avr. 2019, préc.), la réponse est très nette : en raison de l’importante marge d’appréciation reconnue aux États, la Cour pose une obligation de résultat – reconnaître le lien entre l’enfant et la mère d’intention au plus tard lorsque celui-ci s’est concrétisé – mais laisse chaque État libre de déterminer les moyens pour y parvenir, la transcription étant un moyen parmi d’autres (ibid. § 53). Si on s’attarde sur l’arrêt de l’assemblée plénière (Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, préc.), on ne peut que souligner les circonstances exceptionnelles (durée de la procédure, refus de la mère de demander l’adoption et enfants devenues majeures) sur lesquelles les juges se sont fondés pour privilégier la transcription. On pourrait enfin souligner que, dans les arrêts du 18 décembre 2019 (préc.), comme dans l’arrêt sous examen, la Cour de cassation affirme que le refus d’une transcription totale décidée dans les arrêts de 2017 (Civ. 1re, 5 juill. 2017, préc.) « ne peut trouver application lorsque l’introduction d’une procédure d’adoption s’avère impossible ou inadaptée à la situation des intéressés ». On aurait pu conclure de ce qui précède que la transcription gardait un caractère « exceptionnel ».

Pourtant, ni dans les arrêts de décembre 2019 (préc.) ni dans l’arrêt sous examen, qui ont tous abouti à une transcription complète, la Cour de cassation ne semble chercher à caractériser le caractère exceptionnel de la situation ou l’impossibilité de l’adoption ou son caractère inopportun dans l’espèce considérée.

En effet, dans l’arrêt sous examen, après avoir rappelé les motifs de la cour d’appel ayant amené les juges à refuser la transcription, la Cour de cassation affirme de façon lapidaire, comme dans les arrêts du 18 décembre 2019 (préc.) : « En statuant ainsi, alors que, saisie d’une demande de transcription d’un acte de l’état civil étranger, elle constatait que celui-ci était régulier, exempt de fraude et avait été établi conformément au droit de l’État de Colombie britannique, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». La Cour de cassation ne relève donc nullement les raisons pour lesquelles la solution de la transcription s’imposerait alors même que, dans la troisième branche de son moyen – non reproduite dans l’arrêt –, le couple tentait manifestement de démontrer la particularité de sa situation. En outre, ce couple ne semblant pas être marié, cela aurait suffi à « légitimer » le recours à la transcription, toute adoption de l’enfant du conjoint étant alors exclue. Enfin, la cour d’appel de Rennes évoquait également, en l’écartant toutefois, l’obstacle éventuel lié au fait que l’acte de naissance faisait figurer le nom du père d’intention ce qui rendrait impossible l’adoption plénière de sa part. Rien de tout cela n’est évoqué dans les motifs de la Cour de cassation.

Il semble donc bien que la transcription totale soit véritablement le principe dès lors que l’acte est régulier au regard des règles juridiques du pays dans lequel elle a eu lieu. Cela avait été pressenti après les arrêts du 18 décembre 2019 (préc. ; v. J.-R. Binet, GPA : les digues cèdent en France, Dr. fam. 2020, comm. n° 39, qui évoque une autonomisation de l’action aux fins de transcription de l’acte de naissance ; égal. A. Gouttenoire, obs. ss Civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-12.327, D. 2020. 1696 ). Cela nous semble pleinement confirmé par l’arrêt sous examen.

La Cour de cassation acte ainsi un peu plus ce qu’on a pu appeler « le schisme entre loi et jurisprudence » (S. Paricard, La transcription totale des actes étrangers des enfants nés d’une GPA : un schisme entre loi et jurisprudence, D. 2020. 426 ). Et, même si certains font de la résistance (v. not. l’amendement au projet de loi relatif à la bioéthique, proposé par B. Retailleau et adopté par le Sénat en début d’année, visant précisément à interdire une telle transcription complète), il n’est pas certain que le schisme ne perdure pas au-delà de la réforme des lois bioéthiques tant le législateur, comme le note ce même auteur, « semble, en effet, être sourd à cette jurisprudence qu’il n’entend ni consacrer ni combattre, bienheureux, semble-t-il, que les magistrats gèrent un sujet aussi politiquement clivant » (S. Paricard, art. préc.).

La solution viendra peut-être de la Conférence de La Haye de droit international privé, qui, dans le cadre de ses travaux sur le projet « Filiation/Maternité de substitution » ; v. égal. Bureau permanent de la HCCH, GPA et Conférence de La Haye, AJ fam. 2018. 575), pourrait proposer des solutions pour une approche plus cohérente de ce tourisme procréatif. En effet, on rappellera que l’une de ses missions consiste en l’élaboration d’un « protocole consacré à la reconnaissance des décisions judiciaires étrangères en matière de filiation rendues à la suite de conventions de maternité de substitution à caractère international ».

Affaire (encore) à suivre…