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Article
La grande chambre de la CEDH précise l’application de l’article 18 de la Convention
La grande chambre de la CEDH précise l’application de l’article 18 de la Convention
Par le biais de cet arrêt portant sur le contrôle de l’arrestation et la détention provisoire d’un ancien ministre de Géorgie appartenant désormais à l’opposition politique, la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) précise son interprétation de l’article 18.
par Tennessee Soudainle 8 décembre 2017
Le requérant de cette affaire, M. Ivane Merabishvili, est une personnalité politique publique, qui a activement participé à la « révolution des roses » en 2003 en Géorgie et fut ministre puis Premier ministre de 2005 à 2012. En 2012, lorsque le mouvement politique (MNU), alors au pouvoir, a perdu les élections législatives, le requérant est devenu secrétaire général du mouvement devenu la principale formation d’opposition du pays. Dès la fin de l’année 2012, le requérant a fait l’objet d’une procédure pénale pour détournement de fonds et abus d’autorité pour avoir créé des emplois fictifs dans le cadre d’un programme public pour demandeurs d’emploi. Le requérant faisait également l’objet d’autres procédures pénales distinctes notamment pour abus d’autorité à propos d’une résidence privée. En 2013, le requérant fut arrêté, inculpé puis placé en détention provisoire car il existait des éléments démontrant un risque de fuite et/ou de pressions à l’encontre de témoins qui pouvaient servir à l’enquête et qui lui étaient précédemment subordonnés. Toutes les demandes de libération du requérant avant son procès ont été rejetées. Le jugement final du tribunal en février 2014, confirmé par la cour d’appel, a décidé de le condamner à une peine d’emprisonnement de cinq ans qu’il purge actuellement. Le requérant invoque également avoir été extrait de sa cellule la nuit du 14 décembre 2013 afin que de hauts responsables politiques exercent une pression sur lui, dans le but de recueillir des informations sur d’autres activistes politiques. Les enquêtes successives n’ont jamais abouti à corroborer les allégations du requérant contestées par le gouvernement.
Le requérant a saisi la CEDH en alléguant que son arrestation et sa détention provisoire avaient été irrégulières et injustifiées, qu’il n’avait pas obtenu de contrôle juridictionnel adéquat de sa détention, et que la restriction de son droit à la liberté avait été appliquée à des fins politiques, autres que celles pour lesquelles elle avait été prévue. Il invoque donc la violation des articles 5, § 1, 3 et 4, et 18 combiné à l’article 5, § 1, de la Convention européenne.
La présente décision de la grande chambre confirme, dans l’ensemble, la décision rendue précédemment par la chambre. Sur l’arrestation du requérant, la CEDH ne reconnaît par de violation de l’article 5, § 1, car elle a été régulièrement effectuée « selon les voies légales ». Quant au contrôle de la détention provisoire, la Cour estime que la décision initiale de détention provisoire est conforme à l’article 5, § 3, car elle n’était pas illimitée et était justifiée par les risques de fuite et de pression du requérant sur la tenue de l’enquête. En revanche, la décision de maintien de la détention provisoire a été jugée contraire à l’article 5, § 3, de la Convention européenne car les juges nationaux n’ont pas suffisamment motivé leur décision et se sont contentés de reprendre la décision initiale, sans examiner si la situation avait changé au cours du temps.
L’élément central de cette décision de grande chambre concerne le contrôle et l’application par la CEDH de l’article 18 combiné à l’article 5, § 1. Rarement invoqué et interprété par la Cour, l’article 18 prévoit que « les restrictions qui, aux termes de la présente Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues ». Conscients de l’absence d’une jurisprudence abondante à propos de cet article, les juges ont dû clarifier la doctrine de la Cour et les principes qui s’en dégagent. Les précédentes décisions de la Commission et de la Cour ont précisé l’interprétation de l’article 18, à savoir qu’il ne peut pas s’appliquer seul, mais il peut être violé sans pour autant qu’il y ait violation de l’article avec lequel il est combiné, et qu’il ne peut être violé que si le droit découlant de la Convention auquel il a été porté atteinte n’est pas absolu – et peut faire l’objet de restrictions (aff. Kamma c. Pays-Bas, n° 4771/71, rapport de la Commission du 14 juillet 1974, confirmé par CEDH 19 mai 2004, Goussinski c. Russie, n° 70276/01). À propos de la charge de la preuve, les précédentes affaires ont permis à la CEDH d’établir la présomption générale selon laquelle les autorités internes agissaient de bonne foi, sauf si le requérant démontrait de façon convaincante que le but dans lequel les autorités avaient restreint ses droits découlant de la Convention ou de ses Protocoles était en réalité autre que le but autorisé par ces instruments invoqué par elles (CEDH 31 mai 20, Khodorkovskiy c. Russie, n° 5829/04). Enfin, la CEDH n’avait pas, jusqu’au présent arrêt, clairement déterminé comment un but non conventionnel et son caractère prédominant peuvent être prouvés.
Dans cet arrêt, la Cour européenne poursuit donc l’avancée de sa jurisprudence quant à l’interprétation et l’application de l’article 18 de la Convention. En ce qui concerne une situation de pluralité de buts, la CEDH considère qu’une restriction peut être compatible avec la disposition normative de la Convention qui l’autorise, dès lors qu’elle poursuit un des buts énoncés par cette disposition, et en même temps être contraire à l’article 18 au motif qu’elle vise principalement un autre but qui n’est pas prévu par la Convention. À l’inverse, si le but prévu par la Convention est le but principal, alors la restriction ne méconnaît pas l’article 18 si elle poursuit également un autre but (§ 305). Il devient donc primordial de déterminer si le but non conventionnel est le but prédominant ou non. Quant à la charge de la preuve, la CEDH estime qu’elle doit s’en tenir à son approche habituelle : la charge de la preuve ne pèse pas sur l’une ou l’autre partie mais la Cour étudie l’ensemble des éléments en sa possession d’où qu’ils proviennent, le critère de la preuve retenu devant elle est celui de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », et la Cour apprécie en toute liberté la recevabilité, la pertinence et la valeur probante de chaque élément du dossier (§ 311, 314, 315).
Appliqués à l’affaire, ces principes mènent les juges à constater, à une courte majorité, la violation de l’article 18 combiné à l’article 5, § 1. Pour cela, ils rappellent que l’arrestation et la détention provisoire du requérant ont précédemment été considérées comme poursuivant un but conventionnel, prévu à l’article 5, § 1. Les juges ont donc dû déterminer si les buts non conventionnels invoqués par le requérant étaient prédominants ou non. En ce qui concerne l’exclusion de la scène politique du requérant, la CEDH conclut que le contexte de l’antagonisme politique violent contre le MNU ne suffit pas à prouver que le but principal de sa détention était son exclusion de la vie politique géorgienne. En revanche, elle juge suffisamment convaincantes et prouvées les allégations du requérant d’après lesquelles il a été secrètement extrait de sa cellule de prison. De ce fait, alors que le but prédominant initial à la détention du requérant était conventionnel, ce but a changé au cours du temps. Au début, il s’agissait d’enquêter sur la base de raisons plausibles de soupçonner le requérant d’avoir commis les infractions, il s’est agi par la suite d’obtenir des informations sur deux personnalités principales du MNU, en faisant pression sur le requérant.
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