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Grève des avocats : « Si on fait ça, c’est par amour du droit »

Mercredi 15 janvier, des avocats volontaires du barreau de Paris ont assuré un troisième jour de « défense massive » des prévenus dans les deux chambres de comparutions immédiates, la 23.1 et la 23.2. 

par Julien Mucchiellile 15 janvier 2020

Au troisième jour de la « défense massive », aux comparutions immédiates du tribunal judiciaire de Paris, les prévenus sont de moins en moins nombreux. « Quatre dossiers, dont un sur renvoi », s’étonne un avocat de permanence à la chambre 23.2. Ils ne sont guère plus à la 23.1, où deux bâtonniers se tiennent face au tribunal, qui prend place à 14h10. Pierre-Olivier Sur et de nombreux confrères se tiennent droit derrière le bâtonnier Olivier Cousi, qui prononce une allocution solennelle pour rappeler les conséquences désastreuses, selon eux, de la réforme du régime des retraites des avocats, exhortant la magistrature à comprendre le sens de leur démarche, qui n’est pas une démarche d’entrave à la justice mais s’explique par leur « amour du droit, par amour de la justice », a déclaré Me Pierre-François Rousseau, en débutant l’exposé de sa question prioritaire de constitutionnalité (rejetée). C’est ainsi que, par amour du droit, la veille à 23 heures, des avocats ont obtenu de la même chambre (différemment composée) l’annulation de plusieurs procédures et la remise en liberté des prévenus pour des vices procéduraux variés. C’est ainsi que, lundi, la 23.2 a libéré dix prévenus au motif que leur délai de vingt heures était dépassé.

À la 23.2, ce mercredi, seul le dossier venu sur renvoi a été jugé. Les autres furent renvoyés après 20 heures, sur décision du tribunal. À la 23.1, les avocats accablent d’emblée le tribunal de nombreuses questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et développent des moyens de nullité, et, pendant ce temps, au dépôt, un délai court. C’est celui de monsieur D…, qui doit comparaître avant 17h45 pour que son délai soit interrompu. Ses avocats Dominique Bréard et Claude Vincent avertissent le tribunal qu’ils ne se sont pas encore entretenus avec leur client et descendent donc au dépôt pour prendre connaissance de la procédure auprès de M. D… Pendant ce temps, Me Rousseau interroge la constitutionnalité de l’article 397-4 du code de procédure pénale en ce qu’il permet de décerner un mandat de dépôt en comparution immédiate sans minimum de peine, tandis qu’un seuil est fixé à un an dans les autres chambres correctionnelles. La loi instituant cette disposition avait déjà été déclarée conforme par le Conseil constitutionnel en 1980 mais l’avocat a argué du changement de situation de fait susceptible de conférer un caractère nouveau à la question posée (comme l’admettait une récente décision du Conseil). Le tribunal refuse cet argument.

Pendant ce temps-là, la présidente Françoise Quilès ne perd pas de vue son délai. Elle a ordonné à l’escorte de faire remonter M. D… Dans la salle, les bancs des avocats bruissent : il y aurait eu une altercation entre Mes Bréard et Vincent et les policiers, qui voulaient emmener leur client avant qu’ils n’aient pu finir de s’entretenir. Des avocats sont sur place et, soudain, Claude Vincent arrive essoufflée dans la salle pour annoncer « qu’ils vont le monter », alors que le tribunal reprend place ; cinq avocats se placent derrière la barre et, chacun leur tour, plaident ce qui leur passe par la tête, sans pouvoir être interrompu, afin que la présidente ne puisse interrompre le délai qui sera échu dans quinze minutes. À 17h40, enfin, Mme Quilès parvient à élever la voix au-dessus du nuage de robes noires, à décliner l’identité de M. D…, interdit dans son box, qui n’entend rien à ce qu’il se passe, et, cette formalité établie, elle considère avoir interrompu le délai dans le respect de l’article 803-3 de code de procédure pénale. Tard dans la soirée, l’affaire de M. D… fut renvoyée.

La formalité accomplie, il est enfin temps de prendre le dossier défendu par Me Rousseau au fond. Le prévenu se lève : c’est un homme SDF de 42 ans, dont quatorze en prison, du fait de cinquante condamnations, dont vingt devant ce tribunal, et l’enquête sociale rapide le présente comme « un homme sans espoir ». On lui reproche deux vols : en janvier 2019, deux bouteilles d’alcool « parce que je suis alcoolique » et une poignée de pièces de monnaie. En octobre 2019, des kilos de bijoux dans une bijouterie en travaux. L’homme explique qu’il a trouvé les bijoux sur un échafaudage, mais il n’est pas cru, et la procureure requiert dix-huit mois de prison ferme avec mandat de dépôt. Me Rousseau plaide sur l’enquête : « Une belle enquête de comparution immédiate, c’est-à-dire strictement rien ». Le prévenu est condamné à dix-huit mois dont six avec sursis avec mise à l’épreuve, et un procès-verbal d’audition est annulé.

« Quels sont les avocats qui sont la proie de cette réforme ? », entame Me Emmanuel Mercinier après cet intermède dans le fond d’un dossier, « ce sont les avocats qui sont à l’aide juridictionnelle, ceux dont l’engagement est quasi christique, ce sont ces confrères qui n’ont pas de quoi bouffer ! », lance-t-il en introduction de sa QPC. L’article 31 du code de procédure pénal est-il conforme à la Constitution en regard de l’exigence constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi ? « Le ministère public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi, dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu » : mais le parquet n’est pas impartial, plaide Me Mercinier. La QPC est rejetée car, selon le tribunal, « dépourvue de caractère sérieux ». La QPC suivante est également rejetée et l’audience s’étire dans d’interminables suspensions d’audience où les avocats, sans relâche, plaident, concluent, défendent au mieux leurs clients pour mieux protéger leurs droits.