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Harcèlement moral au cœur d’un contentieux familial

L’infraction de harcèlement moral n’est pas constituée lorsque les propos ou comportements reprochés au prévenu résultent d’un fait unique et qu’une dégradation des conditions de vie de la victime se traduisant par une atteinte à sa santé physique ou mentale n’a pas été suffisamment démontrée.

par Méryl Recotilletle 6 juin 2018

Le délit de harcèlement moral possède un régime répressif en constante expansion. Lors de la création de cette infraction en 2002 (L. n° 2002-73, 17 janv. 2002, art. 170), il s’agissait surtout de sanctionner pénalement la souffrance subie par un salarié sur son lieu de travail. Puis, la loi du 9 juillet 2010 (L. n° 2010-769, 9 juill. 2010, art. 31) a introduit à l’article 222-33-2-1 une nouvelle incrimination de harcèlement au sein du couple (v. à ce propos J. Sygut, Harcèlement au travail, harcèlement au sein du couple : quand les faits de même nature produisent le même droit, Gaz. Pal. 2010. 2. Doctr. 2786). Enfin, une infraction générale de harcèlement moral a été créée par la loi du 4 août 2014 (L. n° 2014-873, 4 août 2014, art. 41 ; v. à ce propos D. Chauvet, Mérites ou démérites du délit général de harcèlement moral créé par la loi du 4 août 2014 ?, D. 2015. 174  ; M. Benillouche, Pour la création d’une qualification unique de harcèlement, Dr. pén. 2015. Étude 18). Toutefois, la qualité rédactionnelle du délit de harcèlement moral est décriée par les auteurs qui condamnent les formules opaques et insaisissables employées par le législateur telles que les agissements répétés ou la dégradation des conditions de vie et l’altération de la santé physique ou mentale (v. not. Rép. pén., Harcèlement, par P. Mistretta, nos 41 s.). Le caractère vague et imprécis des éléments constitutifs de cette infraction peut en effet rendre délicate leur appréciation ainsi qu’en témoigne cet arrêt du 9 mai 2018 qui nous offre, par la même occasion, une illustration du délit de harcèlement moral dans le cercle familial.

Le prévenu est poursuivi pour harcèlement moral sur son ancienne conjointe et sur sa fille. D’une part, il a adressé au collège dans lequel son ex-compagne travaille deux courriers contenant divers documents relatifs à leur contentieux conjugal, destinés à d’autres professeurs. Pour la cour d’appel, en agissant ainsi, le prévenu a eu pour objectif de divulguer largement un contentieux privé, dans l’intention délibérée de nuire à la victime. D’autre part, il a révélé l’existence du contentieux familial aux amis de sa fille en les contactant par messages ou par un réseau social. Sa fille était elle-même destinataire de plusieurs SMS qui faisaient constamment référence au contentieux parental. Les juges du second degré ont considéré que les agissements répétés du prévenu à l’égard de sa fille étaient culpabilisants et de nature à la fragiliser psychologiquement. Le prévenu s’est alors pourvu en cassation.

Le premier moyen de cassation a conduit la chambre criminelle à se prononcer sur la question de savoir si l’envoi d’un seul courrier, fût-il multiple, aux enseignants du collège où exerçait la victime permettait de caractériser les agissements répétés. Le harcèlement moral appartient à la catégorie des infractions d’habitude (J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 7e éd., Cujas, 2017, p. 345, n° 467 ; v. égal., pour plus de précisions sur l’habitude, C. Claverie-Rousset, L’habitude en droit pénal, LGDJ, coll. « Thèses », sous-coll. « Bibliothèque des sciences criminelles », t. 57, 2014). À ce titre, il faut au moins le renouvellement d’un acte identique au premier pour pouvoir caractériser une répétition. Même si aucune liste exhaustive des faits qui sont de nature à faire présumer un harcèlement moral n’existe (M.-A. Cochard, La définition du harcèlement moral dans la jurisprudence de la chambre sociale et de la chambre criminelle de la Cour de cassation, Rev. pénit. 2016. 341), la jurisprudence de la Cour de cassation démontre que c’est « la répétition et la systématisation » des agissements « qui sous l’effet de la réitération deviennent punissables » (v. Rép. pén., préc., n° 57). Cela explique la solution de la Cour de cassation dans l’arrêt du 9 mai 2018. Après avoir rappelé que l’infraction prévue par l’article 222-33-2-1 du code pénal n’était constituée que si les propos ou comportements qu’il vise sont répétés, la Cour de cassation a considéré que l’envoi concomitant de courriers identiques ou similaires à des collègues de la victime, sur leur lieu de travail commun, ne caractérise qu’un fait unique. En conséquence, elle n’a pas retenu le délit de harcèlement moral dont l’ex-conjointe a été victime et a cassé l’arrêt d’appel sur ce point.

Le deuxième moyen de cassation a mis en avant que le harcèlement moral n’était caractérisé que pour autant que les agissements poursuivis sont dirigés directement contre la victime. Mais, en reprochant au prévenu l’envoi de messages aux amies de sa fille, par SMS ou par le réseau Facebook, tout harcèlement à l’encontre de sa fille était exclu. Les juges de la haute juridiction se sont ralliés à la position de la cour d’appel sur ce point. Ils ont en effet reconnu que des propos ou comportements répétés adressés à des tiers caractérisaient le délit de harcèlement moral, dès lors que le prévenu ne pouvait ignorer que ces propos ou comportements parviendraient à la connaissance de la personne qu’ils visaient. Toutefois, pour être pleinement constitué, le harcèlement moral nécessite la preuve d’une altération de la santé physique ou mentale de la victime. Or une telle démonstration est une entreprise délicate en raison des difficultés d’établissement d’un lien de causalité entre les agissements de l’auteur du harcèlement et l’état de santé de la victime (J. Pradel et M. Danti-Juan, précit. n° 468). C’est cette absence de caractérisation suffisante par la cour d’appel d’un lien entre les actes reprochés au prévenu et une altération de la santé de sa fille qui a été mise en avant dans le deuxième moyen de cassation. Accueillant favorablement cette argumentation, la Cour de cassation a invalidé l’arrêt d’appel au visa de l’article 222-33-2-2 du code pénal. Elle a estimé en effet que les juges du second degré ne sont pas parvenus à caractériser en quoi les actes reprochés au prévenu ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime se traduisant par une atteinte à sa santé physique ou mentale.