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Harcèlement moral : responsabilité du commettant du fait de ses préposés

La faute pénale du préposé matérialisée par le délit de harcèlement moral, et dont résulte la faute civile, ne peut plus être contestée par le commettant, fût-ce à l’occasion d’un procès ayant pour objet la seule action civile, lorsqu’elle constitue le fondement d’une condamnation pénale définitive.

par Méryl Recotilletle 30 novembre 2018

Par cet arrêt du 13 novembre 2018, la Cour de cassation s’est prononcée sur la responsabilité d’un établissement de santé et des membres de son personnel pour des faits de harcèlement moral dont a été victime une assistante de direction.

Le directeur général a été cité directement devant le tribunal correctionnel par le procureur de la République, de même que la clinique, comme civilement responsable. La responsable des ressources humaines a, quant à elle, été citée directement par la salariée devant cette juridiction, qui a joint les procédures. La clinique a été mise hors de cause et le directeur général a été relaxé contrairement à la responsable des ressources humaines qui a interjeté appel. Le ministère public a quant à lui formé appel principal à l’encontre du directeur général et un appel incident contre la responsable des ressources humaines. Enfin, la partie civile a interjeté appel en ce qui concerne l’action civile. La cour d’appel a condamné le directeur de la clinique et la responsable des ressources humaines à 3 000 € d’amende du chef de harcèlement moral et a prononcé l’engagement de la responsabilité civile de la clinique (le commettant) en raison de la faute civile résultant du comportement infractionnel de la directrice des ressources humaines (la préposée). Cette décision a alors été remise en cause devant la Cour de cassation.

Le premier problème dont la chambre criminelle était saisie concernait l’engagement de la responsabilité pénale du directeur de la clinique au titre du harcèlement moral réprimé à l’article 222-33-2 du code pénal. Pour entrer en voie de condamnation, la cour d’appel a retenu que le prévenu avait refusé des contacts de collaboration directe, proféré des paroles agressives et humiliantes et exerçait une surveillance très étroite sur l’emploi du temps de la victime. Or, pour le prévenu, le délit de harcèlement moral ne saurait être confondu avec l’exercice, même autoritaire, du pouvoir d’organisation et de contrôle d’un supérieur hiérarchique. Sur le terrain de la preuve, les juges du second degré ont estimé que la plaignante s’est montrée convaincante à l’audience et qu’aucun témoignage pouvant lui être défavorable n’a été recueilli par le prévenu. Ce dernier n’aurait pas non plus produit d’attestation approuvant le comportement qu’il avait d’une manière générale à l’égard de son personnel. Le prévenu, en désaccord avec cette solution, a argué dans son pourvoi que les juges se sont fondés exclusivement sur les déclarations de la plaignante ainsi que sur des témoignages indirects de personnes non corroborés. De plus, il leur a reproché d’avoir inversé les règles gouvernant la charge de la preuve et méconnu le principe de la présomption d’innocence pour avoir manifestement ignoré les courriers de la présidente de la clinique rejetant vigoureusement les allégations de la victime. Se prononçant par les mêmes motifs que la cour d’appel, la Cour de cassation confirme la solution de cette dernière en ce qu’elle a caractérisé à l’encontre du directeur général des agissements répétés ayant eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de la victime susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Cette solution semble se justifier car, d’une part, en ce qui concerne les modalités matérielles de l’infraction, les actes de harcèlement moral peuvent être constitués par une surveillance excessive du salarié (v. à ce propos TA Dijon, 3 mai 2018, n° 1600632, AJFP 2018. 338, et les obs. ). D’autre part, pour ce qui est de la preuve de l’infraction, on soulignera que, compte tenu des difficultés qui pèsent sur la victime à apporter la preuve du harcèlement, le juge pénal a quelque peu « allégé » la charge incombant à cette dernière. L’établissement d’« un système de preuve qui repose sur les dépositions des victimes, sur des témoignages (v. not. Rennes, 31 mai 2007, n° 07/969, AJ pénal 2007. 376, note C. Saas ), et surtout sur un faisceau de présomptions concordantes » (v. Rép. pén.,  Harcèlement, par P. Mistretta, n° 71) permet ainsi de comprendre les éléments de preuve sur lesquels les juges se sont appuyés pour conclure au harcèlement moral. Au surplus, depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, les règles relatives à l’administration de la preuve en matière de harcèlement sont identiques à celles applicables en matière de discrimination. Ainsi, l’article L. 1154-1 du code du travail prévoit que le salarié s’estimant victime d’un harcèlement (moral ou sexuel) doit dorénavant présenter des éléments de fait laissant seulement supposer l’existence d’un harcèlement.

Le second problème soumis à la Cour de cassation concernait l’engagement de la responsabilité civile de la clinique, le commettant, du fait la directrice des ressources humaines, sa préposée (v. Rep. trav., Responsabilité des commettants, par F. Bénac-Schmidt et C. Larroumet, n° 32). Dans son pourvoi, la clinique tentait de remettre en cause la faute pénale de sa préposée matérialisée par l’infraction de harcèlement moral et dont il résultait une faute civile. La chambre criminelle expose alors que la faute pénale du préposé, dont résulte la faute civile ne peut plus être contestée par le commettant, fût-ce à l’occasion d’un procès ayant pour objet la seule action civile, lorsqu’elle constitue le fondement d’une condamnation pénale devenue définitive. En l’espèce, dans la mesure où la directrice des ressources humaines a été déchue de son pourvoi en cassation, les dispositions sur sa déclaration de culpabilité qui ont permis d’établir le harcèlement moral à son encontre sont devenues irrévocables. En conséquence, la clinique, dont la responsabilité civile est engagée n’est plus recevable à contester l’existence de la faute commise par sa préposée. La Cour de cassation conclut finalement à l’engagement de la responsabilité de la clinique en application des règles de droit civil, qui régissent les relations entre le commettant et le préposé, fondées sur les dispositions de l’article 1384, alinéa 5, ancien, devenu l’article 1242, alinéa 5, du code du travail, et dont il résulte en substance que pèse une présomption de responsabilité du commettant du fait de son préposé.

En revanche, comme la Cour de cassation le fait remarquer, il était toujours possible pour la clinique d’invoquer une cause d’exonération de sa responsabilité civile en établissant que ses préposés, la directrice des ressources humaines mais aussi le directeur général, se sont placés hors des fonctions auxquelles ils étaient employés (Cass., ass. plén., 17 juin 1983, n° 82-91.632, Bull. ass. plén., n° 8 ; R., p. 38 ; GAJC, 11e éd., n° 211-215 [III] ; D. 1984. 134, note Denis ; JCP 1983. II. 20 120, concl. Sadon, note Chabas ; RTD civ. 1984. 315, obs. Durry ; v. Rép. civ.,  Responsabilité du fait d’autrui, par J. Julien, n° 61). La clinique a ainsi tenté d’invoquer l’abus de fonctions de ses préposés, en vain. En effet, la chambre criminelle considère, après avoir analysé le contexte et les circonstances dans lesquels la partie civile a été l’objet d’un harcèlement moral sur son lieu de travail de la part de la responsable des ressources humaines du directeur général, que ces derniers ont agi dans le cadre de leurs fonctions. En conséquence, le commettant n’a pas pu s’exonérer de sa responsabilité civile. Finalement, cette solution illustre bien qu’une faute pénale intentionnelle, en l’espèce le harcèlement moral, « n’est pas nécessairement constitutive d’un abus de fonctions » (N. Rias, Responsabilité civile des associations sportives du fait de leurs membres : une rigueur à toute épreuve !, D. 2018. 1680 , obs. sous. Civ. 2e, 5 juill. 2018, P, n° 17-19.957). Et ceci n’a rien d’étonnant dans la mesure où la Cour de cassation adopte une conception très stricte de cette notion d’abus de fonctions du préposé pouvant exonérer le commettant de sa responsabilité civile (v. not. Civ. 2e, 21 mai 2015, n° 14-14.873, D. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout ).