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Harmonisation de l’office du juge administratif dans les contentieux sociaux

Le Conseil d’État généralise le recours de plein contentieux à l’égard des requêtes relevant de l’article R. 772-5 du code de justice administrative.

par Jean-Marc Pastorle 11 juin 2019

Quatre arrêts donnent au Conseil d’État l’occasion de faire évoluer l’office du juge administratif statuant en matière de contentieux social. À l’invitation de son rapporteur public, Rémi Decout-Paolini, il généralise le plein contentieux aux requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi. Une avancée qui n’est cependant pas une révolution ; la section du contentieux se place dans le prolongement des solutions déjà dégagées en matière de revenu de solidarité active portant sur le droit à l’allocation et la récupération d’un indu (CE, sect., 16 déc. 2016, n° 389642, Dalloz actualité, 21 déc. 2016, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2017. 272 , chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; ibid. 2016. 2464 ; AJCT 2017. 152, obs. H. Bouillon ) et sur la remise gracieuse de l’indu (CE 22 févr. 2016, n° 381272, Dalloz actualité, 21 mars 2016, obs. J.-M. Pastor ).

Le justiciable prime sur l’acte

Ce faisant, en étendant le plein contentieux subjectif, le juge administratif statue alors directement sur les droits du requérant au regard de la réglementation, sans s’intéresser aux « vices propres » de la décision de refus (v. AJDA 2017. 272, chron. préc.). Il fait ainsi primer la personne du justiciable sur la légalité de l’acte.

Dans les arrêts du 3 juin 2019, la section du contentieux généralise son considérant de principe de la décision de décembre 2016 : « Lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l’administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d’une personne en matière d’aide ou d’action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d’emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu’à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d’examiner les droits de l’intéressé, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait qui résultent de l’instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l’article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d’annuler ou de réformer, s’il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l’intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l’administration afin qu’elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement ».

Dans la première espèce (requête n° 423001), le contentieux portait sur les droits au revenu de remplacement des travailleurs privés d’emploi, le Conseil d’État précise que « c’est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer ». L’intéressé remplissant les conditions auxquelles est subordonné l’octroi de l’allocation de solidarité spécifique, le Conseil d’État annule la décision refusant cet octroi mais, l’état de l’instruction ne permettant pas de déterminer le montant exact des ressources de l’intéressé, ce dernier est renvoyé devant l’administration pour le calcul. C’est également au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au moment de la demande que le juge tranche un litige portant sur une demande de carte de stationnement pour personnes handicapées ou de carte « mobilité inclusion » mention « stationnement pour personnes handicapées ». Mais, dans ce cas, il décide lui-même de la délivrance du titre. Dans l’espèce n° 422873, le Conseil d’État reconnaît que le requérant avait droit à la carte et décide que le président du conseil départemental de l’Hérault doit la délivrer au demandeur.

Une solution à géométrie variable

En revanche, dès lors que le litige ne concerne ni la récupération d’un indu ni une sanction prononcée à l’encontre de l’allocataire mais porte sur le bénéfice de la prestation ou la remise gracieuse de l’indu, la solution diffère quelque peu. En cas de recours dirigé contre une décision de l’administration refusant ou ne faisant que partiellement droit à une demande de remise gracieuse (requête n° 415040), l’examen du juge est limité aux droits de l’intéressé sans se pencher sur d’éventuels vices propres de la décision. Il appartient au juge administratif, « d’examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est susceptible d’être accordée, en se prononçant lui-même sur la demande au regard des dispositions applicables et des circonstances de fait dont il est justifié par l’une et l’autre parties à la date de sa propre décision ». S’agissant d’un recours dirigé contre une décision refusant le bénéfice d’une prestation (en l’espèce n° 419903, il s’agissait du refus de prise en charge d’un jeune majeur par le service de l’aide sociale à l’enfance), il appartient au juge, sous réserve du large pouvoir d’appréciation du président du conseil départemental en la matière (CE 15 mars 2019, n° 422488, Département de Meurthe-et-Moselle, Lebon ; AJDA 2019. 604 ; AJ fam. 2019. 284, obs. A. Bouix , « d’annuler, s’il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l’intéressé s’il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d’appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en œuvre, qu’un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l’action sociale et des familles relatives à la protection de l’enfance et en renvoyant l’intéressé devant l’administration afin qu’elle précise les modalités de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement ».