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Hervé Temime, Secret défense

Célèbre avocat pénaliste, Hervé Temime propose une analyse judicieuse et stimulante du secret qui caractérise sa profession, défendant ainsi, envers et contre tout, ce qui constitue pour lui l’un des piliers de son métier, tout en livrant un regard avisé sur les rapports de l’homme de loi avec notre époque médiatique.

par Thibault de Ravel d’Esclaponle 15 octobre 2020

Le propos central du dernier livre – excellent à tous points de vue – d’Hervé Temime rappelle cette phrase d’Oscar Wilde, dans le Portrait de Dorian Gray : « j’aime le secret. C’est je crois la seule chose qui puisse nous rendre la vie mystérieuse ou merveilleuse ». Pour Hervé Temime, c’est le principe cardinal de la vie d’avocat, puisqu’elle se confond avec son activité ; c’est le dernier pré carré de ses devoirs fondamentaux, ce sur quoi il ne faut jamais céder, ne jamais abandonner. Avec des mots très justes, illustrés d’exemples issus d’un quotidien qui n’est pas si banal que cela, le plaidoyer du célèbre avocat part d’un constat judicieux : « le grand programme d’aujourd’hui : personne n’a plus de secret pour personne car le secret est suspect. Même le secret professionnel » (p. 138).

Le livre est une célébration du secret, comme un juste devoir déontologique bien sûr, mais aussi comme un mode de vie. Cela étant, avant tout, Secret défense est un hommage vibrant aux grandes figures du barreau, d’hier et d’aujourd’hui, qui ont émaillé la vie d’Hervé Temime. Sa carrière s’est nourrie de rencontres, d’amitiés et de fructueuses collaborations qui ont fait de l’avocat ce qu’il est aujourd’hui. L’auteur ne cache pas son admiration, parmi bien d’autres, pour Émile Pollack, Henri Leclerc, Robert Badinter et Thierry Levy, « un seigneur ». Son entrée dans la profession s’est faite sous les auspices de personnalités bienveillantes, comme son oncle Jacques, parti très tôt. Par une sorte d’erreur, par l’effraction d’une écriture – « une grosse écriture ronde » (p. 19) – qui déborde un peu, il entre dans sa première affaire criminelle dont les ressorts humains sont complexes. Hervé Temime connaît cette période de l’abolition, et explique combien 1981 s’est trouvé être une date particulièrement importante, évoquant ce « double mouvement de balancier après 1981 : la dramaturgie autour des procès d’assises a baissé de plusieurs crans, mais l’abolition de la peine de mort a été un grand soulagement » (p. 32). Lire les lignes que l’auteur consacre à ces personnalités fascinantes, dans cette époque trépidante, c’est se plonger dans le cœur de ce qui fait la justice pénale : c’est d’abord et avant tout une histoire de femmes et d’hommes. C’est une histoire d’humain.

Hervé Temime s’intéresse au secret. Le secret, pour lui, est la colonne vertébrale de l’avocat. Sans lui, tout l’édifice vacille. L’auteur l’ausculte et l’analyse sous toutes ses formes. Le secret auquel est tenu l’avocat, bien sûr, le concerne au plus haut point. Mais il y a aussi ce secret dont on se déleste, ce soulagement de la conscience qui ne paraît s’apaiser qu’une fois divulgué. De ce point de vue, l’affaire Agnelet est édifiante. À d’autres occasions, Hervé Temime n’hésite pas à rappeler les difficultés auxquelles il a lui-même été confronté, lorsqu’il lui a fallu mettre en accord sa position, chevillée au corps, avec les inévitables cas de conscience. Ainsi consacre-t-il de très intéressants développements à l’affaire Bismuth, ce qui lui permet d’exprimer ses vues sur certaines positions jurisprudentielles avec lesquelles il n’est pas en accord. L’argumentation est soignée, méthodique, convaincante. Libre au lecteur d’y souscrire : mais Hervé Temime demeure cohérent avec ce qu’il pense, notamment quant à l’avenir du secret de l’instruction.

Évoquer le secret ne peut manquer de mener sur la voie de la discrétion. Secret et discrétion sont des notions voisines. L’une ne va pas vraiment sans l’autre. Aussi, les pages consacrées aux rapports entre médias, chroniqueurs judiciaires et avocats rappellent combien, à ce sujet, la pratique de chacun est différente. Il n’en demeure pas moins qu’il est impératif, pour Hervé Temime, de tenir compte de la violence médiatique qui peut affecter, de plein fouet, le client et son avocat. Dans ces conditions, le rapport aux médias n’est pas simple. Tant s’en faut. Et, ainsi que l’auteur le fait observer, la difficulté ne date pas de la diffusion, aujourd’hui massive, des réseaux sociaux, même si ceux-ci participent évidemment de son impressionnante amplification contemporaine.

Au-delà de ces réflexions passionnantes, l’ouvrage d’Hervé Temime se trouve tout entier résumé dans ces deux phrases qui donnent le ton : « les avocats sont des cambrioleurs de cerveaux » (p. 70) et « le métier d’avocat est un magnifique poste d’observation de la nature humaine » (p. 160). L’avocat relate certains de ses dossiers, avec cette passion qui ne le quitte jamais, tout en n’hésitant pas à faire part de ses doutes, de ses conflits, de ses angoisses et des incertitudes qui affectent nécessairement l’exercice de sa profession. Après tout, « le procès est une école de l’humilité et de la nudité » (p. 64), ce qui rend l’ouvrage particulièrement humain, tout comme son métier. Hervé Temime est un homme qui défend le secret. Mais c’est un homme qui sait aussi se livrer, en toute discrétion. Et c’est heureux.

 

H. Temime, Secret défense, Gallimard, coll. « NRF », 2020.